Que faut-il retenir de l’accord national interprofessionnel ?

Cropped Favicon Economi Matin.jpg
Par Claude Bodeau Modifié le 30 avril 2013 à 0h28

L'Assemblée nationale a adopté le texte définitif du projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi le 24 avril dernier. Après la proposition de la commission mixte du 23 Avril 2013, le texte sera soumis au Sénat le 14 Mai.

Nous revenons donc au texte que l'Assemblée avait amendé, les deux points que les sénateurs avaient modifié n'ont pas été retenus par la commission paritaire mixte.

Le travail parlementaire a apporté certains changements et évolutions au texte issu de la commission des affaires sociales.

Cet accord et sa transcription dans la loi sont une « révolution » potentielle pour le dialogue social, alors que Bercy admet que l'emploi ne rebondira pas avant 2014 et que la priorité pour l'emploi est devenue une priorité nationale.

En effet, ce texte de loi permet d'installer le socle nécessaire en France pour faire évoluer durablement les règles du dialogue social. A la demande du législateur, il sera désormais possible d'anticiper et de partager les orientations stratégiques de l'entreprise avec une participation accrue du CE.

Ceci permet de pouvoir évoquer les besoins de transformation de l'entreprise, d'une filière ou d'un établissement et donc de se mettre en capacité d'anticiper dans le temps ces évolutions et leurs impacts en termes d'emploi.

Les entreprises connaissent, tous secteurs confondus, des cycles d'évolution rapides : aucune entreprise en France ne possédera les mêmes positionnements dans les cinq ans qui viennent. Certaines filières vont disparaître du fait de l'apparition de nouvelles technologies, de transfert de production vers des pays à bas coûts, de la demande décroissante sur certains marchés, de la baisse de la commande publique. A contrario, des investisseurs vont capitaliser de nouvelles filières ou redévelopper des marchés profitant d'une main d'œuvre qualifiée, d'infrastructures existantes, de politiques incitatives de la part des territoires et de l'Etat ...

L'ensemble de ces tendances doit naturellement amener les partenaires sociaux et les entreprises à repenser leur dialogue social : c'est un des outils qu'offre l'ANI.
Pour anticiper ces évolutions du marché du travail, l'ANI et sa transcription remettent en avant les accords de méthode et les accords GPEC, et ont également une influence sur la politique de formation.

Privilégier le dialogue social en amont des difficultés potentielles doit notamment permettre d'anticiper les impacts pour l'emploi. L'ambition est ici de résoudre ce paradoxe français (confirmée par l'enquête annuelle de Pôle Emploi et par l'alerte donnée par le MEDEF), où l'on observe un taux élevé de chômage parallèlement à des postes non pourvus qui réclament une qualification.

A partir du moment où les organisations syndicales et les entreprises respecteront l'ANI dans le dialogue en amont des futures difficultés, ils pourront signer des accords GPEC pertinents et de qualité, préparant les salariés concernés par ces mutations, aux évolutions des demandes de compétences des employeurs dans leurs bassins d'emploi.

En 2011, on déplorait la fuite des cerveaux et le manque de moyens accordés à la recherche. Un autre exemple aujourd'hui parmi tant d'autres : la France manque notamment de soudeurs (source : DCNS), sachant qu'en parallèle on compte des salariés ayant une expérience technique significative qui présentent des qualifications proches de celles demandées dans le soudage, dont les emplois sont menacés (ouvriers spécialisés en mécanique, etc.). L'effort peut porter en GPEEC et en formation à permettre à ces salariés d'avoir à terme les qualifications de soudeur et à maintenir leur employabilité.


La dernière enquête ANDRH sur l'ANI indique par ailleurs que 54 % des DRH considèrent ces mesures efficaces pour améliorer la flexibilité des entreprises, et seulement 44% d'entre eux retiennent de ces mesures une plus grande capacité de sécurisation de l'emploi. Dans leur grande majorité, les DRH restent dans l'expectative quant aux bénéfices à attendre de la nouvelle loi. Ce point est dommageable : il est important que les DRH profitent de cette opportunité et prennent l'initiative de diffuser une nouvelle posture au sein de l'entreprise, notamment au niveau des CODIR, COMEX, Directions Générales.

Parallèlement, ne soyons pas angéliques, il est à rappeler aussi que deux organisations syndicales se sont abstenues de signer l'ANI et que leurs positions dans les mois à venir restent incertaines...

Un nouveau climat entre les partenaires sociaux doit s'instaurer, ce qui prendra du temps et sera semé d'embûches, mais une plus grande sécurisation et flexibilité passent par ce nouveau climat. Les partenaires doivent apprendre à co-construire durablement.

Par ailleurs il faut souligner les points positifs de la réforme qui reste une avancée à la fois pour les entreprises via une plus grande flexibilité et pour les salariés par l'acquisition de nouveaux droits. L'enjeu majeur de cet accord est de mettre les acteurs en capacité d'anticiper davantage les évolutions économiques et du marché du travail, en favorisant en amont la montée en compétence et la formation des salariés et dans le cas des entreprises en difficultés économiques de favoriser de manière plus efficiente et par le dialogue social, la mobilité et la reconversion des collaborateurs concernés.

Une lecture plus détaillée des textes amène à mettre en perspective les impacts des articles successifs et leurs incidences.

Les impacts de l'adoption du projet de loi pour les entreprises :

> La négociation triennale sur la mobilité interne sera finalement une possibilité et non une obligation pour les entreprises.

> Cependant, au vue de l'article 10 sur la mobilité interne, des mesures en faveur du salarié resteront à prendre en compte et ne faciliteront pas nécessairement les marges de manœuvre de l'entreprise : les limites de mobilité existeront au regard de la vie personnelle et familiale du salarié, de situation de handicap, etc. Le texte de loi indique que le licenciement qui sera de nature économique suite à un refus de mobilité du salarié ouvrira des possibilités de mesures d'accompagnement et de reclassement adaptées.

> Sur les procédures de licenciement collectif (article 13), il est constaté qu'un certain nombre de points de contrôle sont prévus pour garantir que l'entreprise respecte la procédure d'information – consultation dans les cas concernés.

o La possibilité pour l'employeur d'ouvrir une négociation en amont de l'information – consultation, sans délit d'entrave au fonctionnement et au calendrier du CE, aura pour effet de faciliter le dialogue social et de lisser davantage et dans le temps les échanges entre directions et IRP.
o Le rallongement de 7 jours du délai de validation de l'accord majoritaire portant sur le PSE, sera donc désormais de 15 jours auquel s'ajoutera le délai de 21 jours dont dispose la DIRECCTE pour homologuer le PSE.

Il est toujours intéressant de constater au passage que les entreprises et les partenaires sociaux sont satisfaits de constater le retour de l'administration pour l'homologation des PSE et limiter, c'est un souhait général, l'allongement « judiciaire » des délais.

> L'ordre des licenciements pourra toujours correspondre en priorité à un critère de qualité professionnelle mais la loi ne s'oppose pas à d'autres logiques, considérant qu'un critère ne peut être privilégié davantage qu'un autre (article 15).

> La création d'une indemnité forfaitaire (article 16) se fera selon un barème fixé, permettant ainsi à l'entreprise d'en anticiper le coût tout en sachant cependant que d'autres indemnités éventuelles, légales ou négociées, pourront toujours être versées.

> Le raccourcissement de la période de prescription de 5 ans à 2 ans sur les salaires faisant suite à une rupture du contrat de travail, nécessitera une provision additionnelle des entreprises dans l'anticipation du coût financier des licenciements, de même que la taxation des contrats courts qui a été adoptée comme telle, ainsi que la durée minimale des temps partiels fixée à 24h (articles 7 et 8).

• Le texte de loi a retenu sur le temps partiel (article 8) de ne pas déroger au principe de coupure unique de deux heures maximum, ou alors en apposant certaines contraintes à l'entreprise : fixer les amplitudes horaires maximales, la répartition des horaires et les contreparties que le salarié peut demander.

> La volonté est affichée de souhaiter limiter les contrats courts.

> Enfin, le rôle de la DIRECCTE sera déterminant dans la communication sur les nouvelles modalités données au temps partiel pour limiter les suppressions de poste.

> La mise en place et la gestion de la base de données unique d'informations économiques et sociales relatives à l'entreprise, est un élément important.

Les impacts de l'adoption du projet de loi pour les salariés :

> La généralisation de la couverture santé et prévoyance est confirmée. Il s'agit d'un socle minimum légal de prestations qui pourra être amélioré au gré du dialogue social. (article 1). C'est une grande avancée pour potentiellement 4,5 millions de salariés.

Même si le message a été brouillé avec les questions relatives à la distorsion de concurrence et que rien n'a été réellement prévu sur les impacts engendrés sur d'autres assurances individuelles pour les retraités ou les chômeurs. Il y a certainement là un message adressé vers le paritarisme.

> La confirmation a été donnée sur la création d'un compte personnel de formation (le CPF – article 2), ainsi que sur la mobilité volontaire sécurisée du salarié et les droits rechargeables à l'assurance chômage qui ont été adoptés en l'état.

> La mobilité volontaire sécurisée (article 3) vise à faire en sorte que le salarié soit davantage acteur de son parcours professionnel et capable d'initiatives qui lui permettent une moins forte dépendance de son parcours au devenir économique ou aux choix pris par son employeur. Par davantage de mobilité, le rapport du salarié avec l'accès au marché du travail, évolue.

> La consultation du CE aux orientations stratégiques de l'entreprise, avec l'obligation de formuler une réponse argumentée à la remise de son avis, a pour but d'objectiver le dialogue social (article 4).

> La mise en place d'une base de données unique d'informations économiques et sociales relatives à l'entreprise (article 4), a été enrichie par rapport au projet initial de davantage d'informations sur l'entreprise et auxquelles les délégués du personnel auront également accès, favorisant ainsi la transparence sur l'état de l'entreprise. Cette base de données est additionnelle aux données sociales à transmettre aux administrations.

> La mise en place d'une instance de coordination des CHSCT commune à plusieurs établissements, en complément des CHSCT locaux, favorisera un dialogue social davantage coordonné en appui aux négociations locales. (article 4)

> La mise en place d'une représentation des salariés dans les instances de gouvernance (article 5), l'introduction notamment de la parité, le renforcement du rôle du CE, la possibilité de formation des administrateurs à la gestion des entreprises ... autant de mesures qui visent à accompagner le CE dans un rôle où il est plus impliqué dans la connaissance et les choix stratégiques de l'entreprise.

> Les droits rechargeables à l'assurance chômage (article 6), les limites fixées dans la mobilité interne notamment dans le cas des salariés handicapés, complètent ces mesures favorables aux collaborateurs.

L'évolution des accords GPEC avec une attention prioritaire aux salariés les moins formés, la mise en évidence des compétences et qualifications prioritaires et la limitation du recours aux contrats précaires en faveur de CDI, favorisent la montée en compétences des salariés sur des qualifications identifiées comme étant à valeur ajoutée (article 9).


Cependant les députés n'ont pas souhaité aller plus loin sur la négociation des plans de formation.

> Les députés ont souhaité par ailleurs que les efforts lors des accords de maintien dans l'emploi soient proportionnés entre dirigeants, mandataires et salariés (article 12).

• En rapport au recours aux expertises et à la quote-part du financement par le CE sur ses budgets : il est à souhaiter que les acteurs des expertises continuent à se professionnaliser comme le sont de plus en plus d'acteurs concernés et que les autres puissent soit évoluer, soit sortir de la réflexion pour ne pas venir troubler ce nouvel équilibre social.

Concernant les prochaines échéances sur l'étude du texte de loi, il est à retenir que :

14 Mai vote final au Sénat
Les entreprises au travers de leurs Directions Générales et de Ressources Humaines, devront adresser un certain nombre de chantiers fondamentaux sur :

> La mise en place d'une base de données obligatoire sur des informations économiques et sociales qui nécessitera un pilotage et un suivi pour lesquels l'action du DRH sera déterminante,
> La réalisation des accords de méthode dans leur nouvelle formule,

> La réalisation des accords GPEC dans leur nouvelle formule,
> La conduite à tenir dans le cadre des expertises qui seront demandées par les IRP,

> La préparation des nouveaux accords de maintien de l'emploi,
> La conduite de PSE dans un cadre qui a évolué, la modification du calendrier social et l'ouverture des négociations ...

A l'avenir, l'application pratique du texte de loi devrait être confrontée à encore beaucoup d'inconnu :
> Quel sera le délai réel des décrets et leur rédaction finale ?
> Quelle sera la position du juge administratif, en matière de licenciement économique individuel, par rapport au seuil de 10 collaborateurs nécessaire pour déclencher un plan de licenciement éventuel ? Quelle sera en contrepartie la position des différentes organisations syndicales ?
> Quelles seront les modalités d'exécution de réalisation du PDV qui est le grand absent de l'ANI ?

La loi est à ce jour, ambitieuse. Elle permet d'agir à trois niveaux :

• En anticipation avec la négociation et la signature d'accords à « froid »
• Lorsque les premiers sujets ou problèmes apparaissent concrètement et que les mesures d'anticipation ne sont plus suffisantes : négociation et accords à « tiède »
• Lors de mesures plus contraignantes PSE, avec toujours la possibilité de négocier et signer là un accord majoritaire à « chaud », mais à préparer dans un processus de dialogue social

Il reste à déterminer si dans le cadre de son application par l'ensemble des parties (entreprises, organisations syndicales, avocats, juges, etc.), cette « révolution » du dialogue social, qui devait avant tout permettre aux acteurs économiques d'envisager une refonte en profondeur de leurs postures respectives, se concrétisera en une réussite tangible dans la réalité quotidienne ?

L'enjeu de la loi sur la sécurisation de l'emploi est important car il a un réel impact sur la sécurisation de l'emploi du salarié et en même temps sur la flexibilité accordée aux entreprises : plus encore c'est la pertinence de la loi sur l'employabilité des collaborateurs tout au long de leurs parcours professionnels qui sera observée.

En complément de la mise en œuvre de la loi, il conviendra de suivre également l'évolution et la réforme du système de formation professionnelle, ainsi que le sens et la qualité donnée aux accords de GPEC.

Enfin, dans ce climat économique de plus en plus complexe, il conviendra également de rester attentif à toutes les mesures permettant d'anticiper l'évolution ou la sauvegarde des entreprises comme la recherche de repreneurs, la préparation de la revitalisation des sites et la refonte des liens entre les territoires et leurs entreprises.

Claude Bodeau, Michel Ghetti et Marc Godard ont collaboré à la rédaction de cette tribune.

Laissez un commentaire
Cropped Favicon Economi Matin.jpg

Claude Bodeau a rejoint en 2010, le cabinet Ineum Consulting et a pris la direction de la practice RH-Management, il est membre du Codir France de Kurt Salmon. Jusqu'en 1997, Claude Bodeau a été Associé chez Deloitte où il a bâti et développé les activités de conseil pour l'immobilier, le Middle Market, le secteur public et la santé, en développant les offres systèmes d'information, finances, ressources humaines et management. Au total, Claude Bodeau cumule, 30 années d'expériences professionnelles en tant que dirigeant d'entreprise et consultant.

Aucun commentaire à «Que faut-il retenir de l’accord national interprofessionnel ?»

Laisser un commentaire

* Champs requis