Le dernier baromètre d'Alma Consulting Group publié ce mois-ci livre un constat sans appel. En 2012, l'absentéisme a fait un bond spectaculaire de 18 % par rapport à 2011. Son taux s'élève à 4,53 %, soit 16,6 jours d'arrêt en moyenne par salarié, avec un coût direct, pour les entreprises, de près de 7 milliards d'euros.
Comme dans les statistiques mensuelles du chômage, c'est dans le détail des lignes qui composent le chiffre qu'il faut aller chercher des enseignements. On notera ainsi que, si l'absentéisme des ouvriers reste élevé mais stable, celui des employés et techniciens augmente de près de 40 % mais surtout celui des cadres double presque, pour atteindre 2,28 %.
Il y a plusieurs manières de lire ce chiffre
La première interrogation porte sur le panel. Les cadres sont un grand ensemble statistique qui recouvre bien des nuances. On sait par exemple que les secteurs dits de l'économie protégée (en gros, tous les anciens monopoles d'Etat reconvertis plus ou moins récemment dans la sphère privée) pèsent très lourd dans la balance. Même si les cultures évoluent, les taux d'absentéisme de certaines de ces entreprises, y compris chez les cadres non supérieurs, présentent des niveaux élevés, parfois à la limite du scandaleux, en tout cas bien capables de présenter un écart-type important dans le calcul du chiffre en question. Par ailleurs, on a pu lire que l'ANACT contestait la méthodologie du baromètre d'Alma. Inutile à ce stade de rentrer dans la querelle de méthode.
Ensuite se pose la question de la définition même de l'absentéisme. Lorsque, ce même mois, tombent les résultats d'une étude (Center For Creative Leadership) qui démontre que, pour un cadre d'entreprise hyper-connecté, hyper-sollicité et relié en permanence à sa mission par toutes les connectiques les plus modernes, le nombre d'heures passées au travail peut atteindre 92,5 heures hebdomadaires, cela relativise l'absentéisme.
Au-delà de la discussion sur les chiffres, la réalité semble tangible : après trois années de décroissance, l'absentéisme progresse et c'est une mauvaise nouvelle pour la compétitivité de l'économie. Chose jamais vue, cet absentéisme progresse alors que nous sommes en crise. Pourtant, les exemples du passé montraient que la peur de perdre leur emploi dans des périodes de chômage élevé avait un effet sur la ténacité des salariés à leur poste. Pour le président d'Alma, « le problème tient à la persistance de la crise. Depuis cinq ans, [les salariés] participent aux efforts de restructuration. Maintenant, ils sont désabusés ».
Comment dès lors remobiliser une partie des héros déjà fatigués alors que la crise, la vraie, celle qui touche directement nos portes-monnaies respectifs, ne fait que commencer ?
Il est vrai que les entreprises savent parfois déployer un certain talent pour décourager leurs cadres. Le cas le plus fréquent est celui du fameux « Plan cash » qui tombe d'un coup du haut, de décisions de financiers qui ont besoin de rétablir tel niveau de cash flow. Louables intentions mais qui, pour être crédibles, vont porter sur des décisions symboliques.
Lesquelles sont souvent handicapantes pour le manager de proximité qui n'a plus grand chose pour maintenir engagement et cohésion au quotidien dans ses équipes préoccupées par la situation et inquiètes sur leur avenir. Suppression des achats de viennoiseries pour améliorer l'ordinaire de réunions compliquées, interdiction de tous systèmes de micro-valorisation salariale plus symboliques qu'économiques, quand ce n'est pas l'interdiction pure et simple de déplacements, qui sont pourtant nécessaires à la cohésion – et même parfois à la cohérence – des équipes transversales éclatées en multi-site. Qu'on supprime la convention mondiale des 250 top managers est une chose : qu'on interdise aux RH des établissements du Groupe de se retrouver une fois tous les deux mois autour de leur chef est moins efficace et source de bien des ennuis.
L'autre handicap qui peut frapper un manager, c'est l'augmentation de la taille des équipes qui lui sont confiées. Sans augmentation équivalente du temps dédié au management (et donc non directement productif ou en reporting), cela revient à diluer l'énergie managériale, ressource rare par excellence. Avec la double conséquence de la frustration du manager mais aussi de la plus grande capacité de dissimulation de la perte d'engagement du collaborateur ... qui se laissera d'autant plus facilement tenter par un absentéisme de confort que la pression du collectif n'aura pas été organisée pour le lui reprocher.
Dans les organisations en flux où le dimensionnement humain est calculé au juste nécessaire, l'absentéisme est une vraie plaie puisqu'il désorganise chaque jour, en profondeur, la ligne de production, tout au moins le temps pour le manager en charge de trouver les solutions auprès des techniciens, des intérimaires ou ... de lui-même pour tenir les postes qui n'auront pas été pourvus à la prise d'équipe.
On pourrait multiplier à loisir les analyses des conséquences néfastes de l'absentéisme.
La vérité oblige à reconnaître que, hormis les cas de situations personnelles compliquées ou de conditions de travail vraiment usantes, il existe un absentéisme de confort qui provient d'une baisse soudaine d'engagement. Tout être humain, et a fortiori l'homo economicus, arbitre en permanence son allocation d'énergie entre ses divers domaines d'intérêt (professionnel, familial, individuel, associatif, ...).
Celui qui peut l'aider à faire les bons choix et respecter les engagements dus au titre du contrat de travail, c'est le manager de proximité. C'est-à-dire celui dont le métier devrait être, au quotidien, de faire le lien du sens entre la situation de l'entreprise et celle vécue au poste de travail ; mais aussi de veiller à l'envie et à l'enthousiasme.
Réussir cela au quotidien est très difficile. Les consultants en conduite du changement le savent bien, qui sont de plus en plus sollicités par les entreprises pour aider la ligne managériale à redécouvrir les leviers de l'engagement au quotidien.
Mais cela requiert que l'entreprise considère, au-delà des discours politiquement corrects de toutes les directions RH, que le manager de proximité soit vraiment une richesse stratégique de première catégorie. Qu'on s'interroge donc sur ce qui lui facilite la vie et lui permette d'exercer son rôle ; et qu'on accepte de remettre en cause beaucoup de décisions d'organisation ou de contraintes financières qui aggravent le mal.
Quand les financiers visualisent le lien entre un budget déplacement et le coût d'un point d'absentéisme, ils comprennent. Même si, dans la réalité obsédante du court terme, l'économie de frais généraux se voit au mois, ce qui suffit parfois à leur motivation ...
Donner les moyens au manager de faire exister le bien commun qui soude l'équipe et appelle les énergies de tous devrait être la priorité managériale de toutes les entreprises. Ce mauvais chiffre sur l'affaiblissement de l'engagement des cadres montre qu'il est urgent de s'en préoccuper.