Ukraine : deux beaux cadeaux la même semaine pour la France

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Par Philippe Schleiter Modifié le 27 novembre 2013 à 3h00

Nul besoin de gloser davantage sur le cadeau que les footballers ukrainiens ont offert à notre équipe nationale et, partant, à la presse française qui a pu saluer cette qualification avec la modestie, le tact, la finesse et la tempérance qui la caractérise. Le second cadeau offert par l’Ukraine fut la décision de son gouvernement de mettre un terme définitif aux négociations sur l’accord de partenariat proposé par l’Union Européenne et qui devait être scellé en grande pompe lors du prochain sommet de Vilnius, jeudi 28.

Ce coup là, notre presse n’a pas été contente. Les journalistes français, qui ont depuis longtemps, concernant les affaires russes, un tropisme unique parmi les rédactions européennes, se sont chargés d’exécuter à la fois le sujet et les dirigeants ukrainiens et russes : cette décision serait un échec cuisant d’une UE trop gentille face aux dirigeants corrompus de l’Ukraine et aux méchants, menaçants et paranoïaques séides de Vladimir Poutine.

Pourquoi l'Ukraine a renoncé à l'Europe

A y regarder de près, cette nouvelle me parait plutôt être une bonne nouvelle pour au moins cinq raisons. La première, c’est que l’Ukraine, pas plus que la Géorgie, l’Arménie ou la Biélorussie qui sont visés par la même politique de « voisinage » de l’UE, n’a rien à faire en Europe. Si l’on veut arriver un jour à donner sens et contenance à cet ensemble, il faudra le borner, le limiter et, si possible, l’adapter à des réalités humaines et géopolitiques. Ces pays, qui n’ont soit jamais été indépendants ou très marginalement, ou qui n’ont jamais été dans la sphère d’influence directe du monde ouest-européen, n’ont pas vocation à rejoindre l’Union Européenne et regarder une carte devrait suffire à s’en convaincre. Sauf à considérer que l’Union Européenne ne doit être qu’un seul et vaste espace marchand le plus large possible … mais pouvons avoir d’autres ambitions pour l’Europe. Le cas de la Moldavie est à part. Car cette région n’est autre que l’ancienne Bessarabie, qui fut longtemps roumaine et n’est devenue soviétique qu’en 1945 une fois la Roumanie défaite et envahie.

La seconde raison est liée à la première. Si l’Ukraine n’est pas tournée vers l’ouest, c’est qu’elle a toujours été dans l’orbite du grand frère russe. Les historiens démontrent que c’est sur les bords du Dniepr que Rus et Varègues se sont croisés pour poser les bases du futur état russe. Certes, l’Ukraine fut rattachée à la Lituanie puis à la Pologne, mais pour moins de trois siècles et sans jamais avoir été indépendante. Depuis la très markétée Révolution Orange, chacun a vu combien les Etats-Unis ont déployé d’efforts pour arracher l’Ukraine a l’influence russe. Ce qui, vu de Washington, parait être un « but de guerre » parfaitement compréhensible (toujours le vieil affrontement historique entre « heartland » et « rimland ») doit-il être partagé par les vassaux, pardon par les alliés européens ? Certes non. Quel intérêt aurait l’Europe de Bruxelles, et d’abord le couple franco-allemand, à se prêter à une agression absolue envers Moscou qui, reconnaissons-le, multiplie les coups avantageux sur la scène mondiale et pourrait s’avérer le seul partenaire solide d’une Europe minée par ses déficits et ses fragilités. La décision ukrainienne évite d’encore creuser le fossé artificiel entretenu par ceux qui ne veulent pas d’un axe grand-européen Paris-Berlin-Moscou, de cette « Maison commune » dont parla en son temps Gorbatchev. Notre vieille Europe n’a rien à gagner, surtout en ce moment, à entretenir méfiance et crispations à l’est. On pourrait d’ailleurs se poser la question si l’accord obtenu à Genève avec l’Iran n’a pas été facilité par une Russie désormais plus décontractée depuis la décision de Kiev …


La troisième raison est que cette défaite pour Bruxelles est probablement regardée avec un peu de gourmandise par certains Etats, au premier rang desquels la France et l’Allemagne, mais aussi l’Italie. Tous trois se sont montrés très discrets dans cette affaire car tous trois ont une « special relationship » avec la Russie à laquelle ils tiennent sans doute beaucoup plus qu’à l’intégration de l’Ukraine dans la politique de voisinage de l’UE. La barre de cette manœuvre a surtout été tenue par les Polonais, les Lituaniens et les Suédois. Les deux premiers au titre d’un atavisme historique bien compréhensible (décidément, les leçons de l’histoire s’imposent toujours) mais aussi, sans doute, au titre de l’alliance très forte qu’ils entretiennent avec les USA et son bras armé otanien. La Pologne est d’ailleurs l’un des pays qui va accueillir le dispositif de bouclier anti-missiles qui déplaît tant aux Russes, l’autre étant … la Roumanie qui lorgne depuis longtemps sur la Moldavie, CQFD. En quelque sorte, l’échec de l’opération remet chacun à sa juste place. Les grands pays de la vieille Europe sortent en fait doublement gagnants : ils ont laissé la main à des « petits pays » pour préparer une décision d’envergure et ne pourront être taxés d’hégémonie. Quant au résultat, il ne peut foncièrement leur déplaire.

L'Ukraine a préféré la Realpolitik au politiquement correct

La quatrième raison fera plaisir à tous ceux qui désespèrent du retour de la Realpolitik. En effet, et bien que le basculement de l’Ukraine dans le giron bruxellois eut consisté un basculement géopolitique majeur, les Européens avaient posé comme préalable absolu à la signature de l’accord le rapatriement, pour raisons humanitaires, de l’opposante Ioulia Timochenko, actuellement en prison et souffrant du dos à tel point qu’elle ne saurait être convenablement soignée dans son pays. Il n’y a probablement qu’avec les Européens qu’une exigence de ce type puisse être posée au centre d’un débat aussi fondamental. Les Ukrainiens n’ont pas été dupes, le président Ianoukovitch le premier, qui ont bien compris que l’exfiltration permettrait à la belle opposante de préparer un retour triomphal dans les fourgons de l’étranger, comme le fit en son temps le président Saakchvili dont la Géorgie vient de se débarrasser dernièrement en infligeant une sévère raclée électorale à son dauphin. Il n’empêche que le signal donné n’a pas été glorieux. Si les Européens avaient voulu être cohérents, ils n’auraient pas dû subordonner l’accord à un sujet qui certes, répondait pleinement au médiatiquement correct pour émouvoir dans les rédactions et les chaumières, mais n’avait à l’évidence pas le même poids que les instruments classiques de négociation entre états. Pusillanimité, auto-intoxication ou surestimation de l’impact médiatique de cette demande en Ukraine ?

La cinquième raison, enfin, tient à la nécessaire maîtrise du puits sans fond des dépenses européennes. Interrogé un jour dans une conférence sur les limites de l’Europe, Hubert Védrine répondit que la première réforme à faire était de supprimer le poste de Commissaire à l’Elargissement puisque tant que cette administration existerait, elle chercherait à légitimer sa présence. Le fait est qu’en cette veille d’élections européennes et donc (normalement) de débat constructif et apaisé sur les objectifs de l’Union, ses enjeux et l’allocation des moyens dont elle dispose, il n’est pas certain que l’ouverture de nouveaux fronts budgétaires, synonyme de dépenses accrues, souvent sans contrôle ni certitudes de retour sur investissement pour les contribuables, eut été appréciée.

Au final, il s’est donc trouvé à Kiev un gouvernement qui, pour des raisons qui lui sont propres et sans sous-estimer les logiques pressions du grand voisin russe, a décidé de repousser son rapprochement avec l’Europe pour se consacrer à l’union eurasienne en préparation autour de Moscou, de la Biélorussie et du Kazakhstan.

Les technocrates européens et les pays les plus alignés sur Washington s’émeuvent. L’Union européenne digère sa déception et son échec. Rien, mais vraiment rien ne nous dit que pour nous, Français, ce ne soit pas plutôt une bonne nouvelle.

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