40 % des actionnaires de la Banque Nationale Suisse sont des investisseurs privés

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Par Captain Economics Modifié le 27 janvier 2015 à 8h48
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@shutter - © Economie Matin
2219La Banque Nationale de Suisse compte 2 219 investisseurs privés.

Mais en fait Captain', qui sont les actionnaires d'une Banque Centrale ? Et bien en voilà une bonne question ! En effet, une Banque Centrale ayant un capital, il doit bien y avoir quelque part des actionnaires ayant apporté ce capital initial, un peu comme dans une entreprise...

En ce qui concerne la Banque Centrale Européenne, le capital de notre chère Banque Centrale adorée s'élève à environ 11.000 milliards d'euros et les actionnaires sont... tout simplement les Banques Nationales de chaque pays. Par exemple, la Bundesbank (Allemagne) détient 18% du capital, la Banque de France 14,2%, la Banque d'Italie 12,3%... et la Banque de Malte 0,06% ; la répartition se faisant en fonction "d'une clé reflétant la part des différents pays dans la population totale et le produit intérieur brut de l'Union européenne" (source : "BCE - La souscription au capital").

Ok, mais qui est actionnaire de la Banque de France alors ? Et bien là c'est simple, il s'agit de l'Etat français ! Donc si la BCE réalise un profit et décide de verser un dividende à ses actionnaires (plutôt que de garder cela en réserve en cas de pertes futures), cela termine dans la poche de l'Etat ! Mais ce n'est pas la même chose dans tous les pays du monde, comme par exemple chez nos amis suisses ...

Mais attention avant de passer en mode "théorie du complot" ! Il est vrai que le capital de la Banque Nationale Suisse (BNS) est détenu à 40,3% par 2.219 investisseurs privés, dont le plus important est un certain Theo Siegert qui détient à lui tout seul tout de même 6% du capital de la BNS (beau gosse !). Le reste du capital de la BNS est détenu par les différents cantons suisses : le Canton de Berne (6,6% du capital), le Canton de Zurich (5,20%), le Canton de Vaud (3,4%)... Toutes les informations sur la répartition du capital sont disponibles sur le site de la Banque Nationale Suisse (BNS), dans la section "Share Capital and Dividend" (source: "SNB - Share Capital").

Et là vous vous dites : "mais si plus de 40% du capital de la BNS est détenu par des investisseurs privés, alors la BNS n'est pas indépendante et essaye peut-être de maximiser le profit de ses actionnaires privés au dépend de la population" ! C'est une belle théorie, mais honnêtement le Captain' n'est pas convaincu, principalement pour la raison suivante.

Le capital de la BNS s'élève à seulement 25 millions de francs suisses (soit 25 millions d'euros au taux de change actuel, avec 100.000 actions d'une valeur de 250 francs). Le dividende maximal prévu par la loi est fixé à 6% (source: "BNS - Capital-actions et dividende"), et la part du bénéfice dépassant le dividende est reversée uniquement aux Cantons (et donc rien pour les investisseurs privés).

Cela signifie qu'au plus, la BNS distribue 25*0,06 = 1,5 million de francs suisses à l'ensemble de ses actionnaires. Même pour l'investisseur privé le plus important (Theo Siegert), cela ne représente "que" 90.000 euros par an. Bien sûr, le Captain' veut bien qu'on lui donne 90.000 euros chaque année, mais cette somme reste une broutille à l'échelle d'une Banque Centrale, dont le bilan se compte en centaines de milliards de francs. Et selon Bloomberg, la BNS aurait réalisé en 2014 un bénéfice de 38 milliards de francs, après une perte en 2013 à cause de l'effondrement du cours de l'or ! (source : "SNB Sees 2014 Profit of 38 Billion Francs, Resumes Dividend")

"La Banque nationale est une société anonyme régie par une loi spéciale et chargée d'un mandat public. En vertu de ce mandat, elle détient le monopole d'émission des billets de banque, qui lui permet de générer des bénéfices sur le long terme. Conformément aux dispositions légales et constitutionnelles, si ces bénéfices ne sont pas utilisés pour constituer des provisions pour réserves monétaires, ils sont en priorité distribués à des entités de droit public, et non pas aux actionnaires. C'est pourquoi la loi limite le dividende à 6%. La part du bénéfice porté au bilan qui dépasse le dividende est normalement versée à la Confédération et aux cantons" - Source : BNS

De plus, les droits de vote sont limités à 100 voix pour les actionnaires privés (voir le (2) sur le graphique ci-dessus "Voting rights are limited to 100 shares"). Cette limite implique que les actionnaires privés n'ont finalement que 21,7% des droits de vote (pour 40,3% du capital). Même en imaginant un complot interplanétaire, ces droits de votes ne permettent d'élire que 5 des 11 membres du conseil de direction de la Banque ; les 6 autres membres, dont le président et le vice-président, étant élus par le Conseil Fédéral Suisse.

Bref, le Captain' n'achète pas la rumeur expliquant que l'action de la Banque Nationale Suisse de supprimer le plancher entre l'euro et le franc suisse à 1 euro = 1,20 CHF est lié à la peur de perte en capital/dividende de la part des actionnaires privés. Le capital de la BNS aurait été de quelques milliards d'euros, honnêtement des questions auraient pu être posées... Là, je ne suis pas du tout convaincu !

Par contre, le rôle de la Confédération et des cantons est sûrement beaucoup plus intéressant ! En effet, ces entités de droit public reçoivent non pas uniquement les dividendes (comme les actionnaires privés), mais aussi une partie du bénéfice... Et là on ne parle plus en quelques dizaines de milliers de francs, mais en milliards de francs suisses (et les cantons sont actionnaires majoritaires).

"Le Département fédéral des finances (DFF) et la Banque nationale conviennent pour une période donnée du montant annuel du bénéfice versé à la Confédération et aux cantons, dans le but d'assurer une répartition constante à moyen terme. La convention conclue en 2011 sur la distribution du bénéfice de la Banque nationale prévoit le versement d'un montant annuel de 1 milliard de francs à la Confédération et aux cantons au titre des exercices 2011 à 2015, si la réserve pour distributions futures ne devient pas négative après affectation du bénéfice." - Source : "Banque Nationale Suisse, Bénéfice et répartition du bénéfice"

Selon un article du Financial Times, cité par Business Insider (source: "The Swiss National Bank Is Different From Most Central Banks In One Critical Way") les cantons se seraient plaint récemment d'un trop faible versement de la part de la Banque Nationale Suisse... Il y a peut-être un bout d'explication à aller chercher de ce côté là donc (bon la théorie du complot des investisseurs privés sionistes qui contrôlent le monde semblaient plus cool, mais tant pis pour cette fois...)

Selon Paul Krugman, la Banque Nationale Suisse a commis une grosse erreur la semaine en supprimant le taux plancher entre l'euro et le franc suisse pour assurer sa profitabilité (et éviter d'avoir à essuyer des pertes en cas de défaut en zone euro) (source : "Switzerland: QE Too"). Et Krugman évoque aussi rapidement cette répartition du capital et du bénéfice un peu étrange, spécifique à la BNS...

"But unlike the Fed, the SNB lacked the intellectual self-confidence (and perhaps the institutional strength, seeing as how it's partially privately owned) to stand up to that pressure. The irony is that having been bullied into worrying about its own profitability, which is not what central banks should do, the SNB ended up imposing huge losses on itself." - Paul Krugman

Conclusion : La question "pourquoi la BNS a t-elle supprimé le taux plancher la semaine dernière" reste totalement ouverte. Mais en partant sur une idée "c'est peut-être à cause des pressions des investisseurs privés" et en allant chercher des infos à gauche à droite, ma conclusion est finalement bien différente : "et si c'était (en partie) à cause de la pression des cantons / pressions politiques" ! Bref, rien de vraiment très précis, mais maintenant que le Quantitative Easing de la BCE est passé, le Captain' ne serait pas contre une explication un peu plus détaillée de la BNS sur le "pourquoi du comment". Allez Jordan (nom du président de la BNS), soit cool, balance de l'info ! (Et merci à Eric Dor (@ericdor_econo) pour la discussion à ce sujet hier m'ayant donné l'inspiration pour écrire cet article)

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Doctorant en économie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et professeur d'économie à l'IESEG Paris, Thomas Renault est le créateur du site Captain Economics, un blog ayant pour but de démystifier l'économie, en abordant cela sans prise de tête ni prise de parti.  

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