Beaucoup vont en parler ou l'ont déjà fait, rares sont ceux qui le liront vraiment ou l'auront lu avant d'en parler. Difficile de leur jeter la pierre : "Merci pour ce moment" est tout sauf un livre digne d'intérêt. J'ai lu sous la plume d'un critique qu'il s'agissait ni plus ni moins du journal intime d'une adolescente amoureuse, déblatérant sur son ex-petit copain. On n'en est pas très loin.
Sauf que l'ex en question est président de la République. Et Valérie Trierweiler, qui est à la base tout de même, journaliste politique, répète une bonne dizaine de fois dans son livre que l'attitude de François Hollande est totalement incompatible avec la fonction dont il a hérité :
"François se démène. Entre son dîner avec Barack Obama et son souper avec Vladimir Poutine, il trouve le temps de m'écrire un nouveau texto pour démentir les informations du jour et m'assurer que je suis l'amour de sa vie. (...) Le président de la République essaie de ranimer notre histoire d'amour qui n'en finit pas de finir, tout en traitant des affaires du monde des plus sensibles, à la veille de commémorations majestueuses".
Un peu plus haut dans le livre :
"Où est le Président exemplaire ? Un président ne mène pas deux guerres tout en s'évadant dès qu'il le peut pour rejoindre une actrice dans la rue d'à côté. Un président ne se conduit pas comme ça quand les usines ferment, que le chômage augmente et que sa cote de popularité est au plus bas."
Et ce genre de paragraphe revient dans le livre toutes les 25 pages. Mais que l'on ne s'y trompe pas : la lecture de "Merci pour ce moment" est en fait particulièrement affolante, car le personnage décrit, avec force détails, par celle qui l'a très bien connu et a participé activement à son accession au pouvoir est tout simplement... à vomir. Bien entendu, Valérie Trierweiler est une femme trahie, trompée, dont la plume a trempé dans le vitriol pour se venger et blesser. Mais l'on ne peut écarter tout ce qu'elle raconte sur François Hollande d'un revers de la main, en pensant qu'elle a tout inventé, ou même simplement exagéré.
Valérie Trieweiler "François est un menteur"
C'est tout le contraire : Valérie Trierweiler explique comment, et pourquoi elle est tombée sous le charme de François Hollande. Et décrypte a posteriori comment il est parvenu à la conquérir, et de la même manière, comment il a réussi à devenir le candidat des socialistes à la présidentielle - par défaut - et à battre de peu Nicolas Sarkozy. Dans "Merci pour ce moment", Valérie Trierweiler anticipe sur ce que les politologues écriront dans quelques années du mandat de François Hollande, quand ils ne l'écrivent pas déjà : un président arrivé aux affaires par accident, sans programme, sans équipe, sans courage, sans valeurs. Un menteur, manipulateur. Ces mots sont répétés peut-être une bonne vingtaine de fois dans le livre par Valérie Trierweiler, avec à chaque fois la saynète pour étayer l'affirmation.
Un président qui travaille sept jours sur sept insiste-t-elle à plusieurs reprises, mais qui n'arrive à rien car il ne contrôle ni ne maîtrise rien depuis le début. Un homme qui depuis l'affaire du "scooter" est capable d'envoyer une trentaine de SMS par jour à son ex-compagne, alors qu'il est censé s'occuper de la France et accessoirement des affaires du monde. Et Valérie de regarder en arrière, et de mieux comprendre les comportements bizarres de François Hollande, parfois à des moments clef de son mandat : pour elle, c'était déjà l'influence de son "autre histoire".
L'ouvrage de Valérie Trierweiler est destiné à faire un carton, c'est une évidence. Non qu'il soit bien écrit, ni même que l'histoire contée soit intéressante. Il y a de vraies grosses longueurs. Ceux qui me lisent et vont avoir le livre entre les mains par la suite peuvent sauter les pages 20 à 139 s'ils manquent de temps. Ou bien, habitués à la lecture rapide, ils peuvent les survoler à la recherche d'éléments de portrait de "l'ex". Rassemblés, on obtiendrait une petite trentaine de pages décrivant par le menu le vrai François Hollande.
"Merci pour ce moment", un référendum anti-Hollande
Non, si le livre de l'ex "first girlfriend" du président va faire un carton, c'est parce que François Hollande est l'homme politique français le plus détesté désormais, loin devant Jean-Marie Le Pen quand il était au fond du trou. Avec 13 % d'opinions favorables (dont seulement 2 % d'opinions très favorables), jamais un président de la République n'était tombé aussi bas de toute l'histoire de la Ve République ! Les ventes du livre de Valérie Trierweiler sont un indicateur fiable du mépris voire désormais de la haine qu'il inspire à une très large majorité de français. "Merci pour ce moment" n'est plus un livre, mais un référendum contre le pouvoir et le président en place, un référendum censitaire.
Au moment où vous lirez ces lignes, 200 000 exemplaires du livre sont probablement déjà dans la nature. L'imprimeur a lancé une nouvelle impression, sans doute 200 000 exemplaires de plus. Même si tous les acheteurs ne liront pas le livre de la première à la dernière page, beaucoup le feront. Et prêteront ensuite l'ouvrage à leur conjoint, puis, à leur famille, à des amis. D'ici quelques semaines, plusieurs millions de personnes connaîtront le vrai visage de François Hollande, et seront déterminés à tout faire pour entraîner sa chute. Dans les urnes ? Evidemment : le sondage donnant Marine Le Pen vainqueur au second tour face à François Hollande, avec 54 % des suffrages, en est la preuve.
Octobre 2015, élections régionales : on connait déjà le résultat
Mais les Français - et le pays - ne pourront probablement pas attendre 2017. Avant, des régionales et des cantonales sont prévues, en octobre 2015. Le résultat - à la proportionnelle pour les régionales - est déjà connu. Le pouvoir tiendra-t-il jusque-là ? S'il tient, pourra-t-il se maintenir en place deux années de plus ? Difficile à dire. Le fait que de plus en plus de leaders politiques de premier ordre appellent le président de la République à dissoudre l'Assemblée ou à démissionner est un signe. Que François Hollande ait jugé utile vendredi dernier de rappeler qu'il resterait à son poste jusqu'à la fin de son mandat en est un autre.
D'autres avant lui, à d'autres postes, ont affirmé qu'ils ne démissionneraient pas, jusqu'à ce qu'ils soient acculés à le faire. La différence, c'est qu'il est président ? La différence, c'est que les chefs d'Etat, quand tout part en sucette, dans tous les pays du monde, même les meilleures démocraties - ou dictatures - ont toujours chaud aux oreilles et parfois froid dans la nuque. Chaque jour qui passe, François Hollande abime un peu plus la fonction présidentielle, et le respect qui lui est due.
Au rythme où vont les choses, le mandat de François Hollande ne durera peut-être en effet qu'un moment. Et les Français ne lui diront sûrement pas merci.