Nestlé Waters : un vol d’eau maquillé par la justice ?

L’affaire Nestlé Waters fait grand bruit depuis plusieurs années et a connu un nouveau rebondissement en septembre 2024. La multinationale suisse, productrice des eaux en bouteille commercialisées sous les marques Vittel, Hépar et Contrex, est au cœur d’un scandale environnemental et de tromperie vis-à-vis des consommateurs. Elle a volé de l’eau, purement et simplement.

Paolo Garoscio
Par Paolo Garoscio Publié le 11 septembre 2024 à 6h16
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22,1 MILLIARDS €Le chiffre d'affaires de Nestlé au premier trimestre 2024 était de 22,1 milliards d'euros.

Après plusieurs années de controverses, une Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP) a été signée entre le parquet d’Epinal et Nestlé Waters, mettant fin aux poursuites judiciaires. Mais cet accord suscite de vives critiques, notamment chez les associations environnementales qui dénoncent un simulacre de justice.

Un usage illégal de ressources naturelles : ce qui est reproché à Nestlé

L’origine du scandale remonte à plusieurs années lorsque des plaintes ont été déposées par des associations environnementales comme Vosges Nature Environnement (VNE), Eau 88 et l’organisation de consommateurs Foodwatch. Ces dernières ont révélé que Nestlé avait effectué des forages illégaux dans la nappe phréatique des Vosges afin d’alimenter ses sites d’embouteillage. Ces forages ont permis à l’entreprise d’exploiter des quantités d’eau bien supérieures aux autorisations accordées par les autorités françaises. De plus, les enquêtes ont montré que Nestlé utilisait des traitements non conformes à la réglementation pour purifier l’eau, notamment l’utilisation de filtres à charbon actif et de traitements aux ultraviolets.

Ces pratiques, qui visaient à maintenir la « sécurité alimentaire » de l’eau embouteillée, ont rapidement fait réagir les associations de protection de l’environnement. Elles accusent Nestlé de compromettre la qualité de l’eau et de piller une ressource naturelle précieuse, déjà sous pression en raison des impacts du changement climatique.

Une convention judiciaire d’intérêt public controversée

Le 10 septembre 2024, le parquet d’Epinal a annoncé la signature d’une CJIP entre Nestlé Waters et la justice française. Ce dispositif, qui permet de mettre fin aux poursuites en échange du paiement d’une amende et de la mise en place d’un plan de réparation, a été utilisé pour la deuxième fois par Nestlé en France. En effet, en 2022, l’entreprise avait déjà signé une CJIP pour éviter un procès après avoir été impliquée dans une affaire de pollution de la rivière Aisne, ayant causé la mort de plusieurs tonnes de poissons.

Dans le cadre de la nouvelle CJIP, Nestlé a accepté de payer une amende de 2 millions d’euros dans un délai de trois mois et de financer un plan de restauration écologique à hauteur de 1,1 million d’euros. Une broutille pour une multinationale dont le chiffre d'affaires frôle chaque année les 100 milliards d'euros. Ce plan vise à renaturer deux cours d’eau, le Petit Vair et le Vair, dans les Vosges, et à restaurer les zones humides situées autour de Vittel et Contrexéville. La mise en œuvre de ces mesures sera supervisée par l’Office français de la biodiversité pendant une période de deux ans.

Si cet accord semble offrir une solution rapide pour corriger les irrégularités constatées, il suscite cependant une vague d’indignation. Les associations plaignantes, bien que certaines aient accepté de chiffrer leur préjudice, dénoncent un manque de transparence et de justice. Selon elles, la CJIP permet à Nestlé d’échapper à un véritable procès public et de s’en tirer avec une simple amende. Bernard Schmitt, membre du collectif Eau 88, n’a pas mâché ses mots en qualifiant cet accord de « disposition scélérate » comme le rapporte Sud-Ouest.

Des associations vent debout contre l'accord entre la justice et Nestlé Waters

L’organisation de consommateurs Foodwatch a été l’une des premières à réagir avec fermeté face à la conclusion de cet accord. Refusant catégoriquement de participer à cette transaction, Foodwatch a mobilisé plus de 16 000 signatures dans une pétition demandant que des comptes soient rendus à la population et à l’environnement. Selon cette association, la CJIP est une « fraude massive », un moyen détourné pour Nestlé de mettre l’affaire sous le tapis sans autre conséquence que le paiement d’une somme d’argent. « L’argent n’achètera pas notre silence et n’éteindra pas notre détermination. Nous refusons le chèque qui permettrait aux responsables de Nestlé Waters de s’en sortir en toute impunité. Compte tenu de la gravité pénale des faits et de l’ampleur inédite de la fraude aux eaux en bouteille en France et dans le monde depuis des décennies, nous voulons que Nestlé Waters rende des comptes aux consommateurs trompés et soit jugée de manière exemplaire », commente Ingrid Kragl, experte des questions de fraude chez foodwatch.

François Zind, avocat d’Eau 88, tempère cependant ces critiques en affirmant que, malgré ses imperfections, la CJIP permet au moins de réparer rapidement les dommages écologiques causés par Nestlé. Toutefois, il admet que cet accord ne suffit pas à compenser les impacts environnementaux durables. « C’est une potion amère qu’on avale. L’outil est loin d’être parfait, mais permet, en termes d’environnement, d’avoir une réponse plus rapide. »

Une justice inefficace face aux multinationales ?

Cette affaire pose une question cruciale : la justice française est-elle équipée pour traiter de manière équitable les litiges impliquant de grandes multinationales comme Nestlé ? Les critiques se multiplient à l’encontre de la CJIP, accusée d’être un outil permettant aux entreprises de se soustraire aux poursuites pénales en échange de compensations financières. Jean-François Fleck, membre de Vosges Nature Environnement, estime que cette affaire illustre parfaitement les faiblesses d’une justice qui manque de moyens pour affronter les géants économiques. Selon lui, sans la CJIP, il aurait fallu attendre plusieurs années pour que le dossier aboutisse à un jugement, ce qui aurait eu pour conséquence d’aboutir à des sanctions bien moindres et largement oubliées par l’opinion publique.

L’utilisation de la CJIP dans des affaires environnementales est pourtant récente. Créée par la loi Sapin II de 2016 pour lutter contre la corruption, elle a été élargie aux infractions environnementales en 2020. Mais pour beaucoup, elle ne devrait pas s’appliquer à des cas de tromperie, comme l’utilisation illégale de traitements pour purifier l’eau. En effet, dans cette affaire, ce ne sont pas seulement des infractions environnementales qui sont en cause, mais aussi la confiance des consommateurs et le respect des normes sanitaires. En permettant à Nestlé d’éviter un procès public, la CJIP prive également les consommateurs d’une réponse claire aux questions sur la qualité de l’eau qu’ils consomment.

Une réponse environnementale insuffisante face à la surexploitation de l’eau

L’un des points les plus critiqués dans cette affaire est le plan de restauration écologique proposé par Nestlé dans le cadre de la CJIP. Bien que la multinationale s’engage à renaturer les zones affectées par ses forages illégaux, de nombreux experts estiment que cela ne fait que masquer les véritables problèmes de gestion de l’eau dans les Vosges. En effet, la surexploitation des nappes phréatiques pour l’embouteillage d’eau minérale a des conséquences profondes sur l’environnement local, notamment en période de sécheresse.

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Paolo Garoscio

Rédacteur en chef adjoint Après son Master de Philosophie, s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

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