On croit toujours tout savoir sur ce que coûte un découvert bancaire. Et pourtant, une mécanique tarifaire méconnue frappe en silence des millions de clients, souvent les plus modestes. Derrière l’apparente transparence des grilles tarifaires, se dissimule une pratique que même les experts jugent inique.
Minima forfaitaires : le scandale des découverts à 10 euros pour 1 euro emprunté
Le 8 avril 2025, l’UFC-Que Choisir a tiré la sonnette d’alarme dans une nouvelle enquête consacrée aux frais bancaires, mettant en lumière une méthode insidieuse utilisée par de nombreuses banques : les minima forfaitaires appliqués aux découverts. À rebours des discours d'inclusion financière, cette pratique vient grever les comptes des foyers les plus fragiles, en toute légalité. Pourtant, ces prélèvements sont rarement évoqués dans les communications bancaires. Pourquoi une telle opacité autour de ces frais ?
Frais bancaires : quand le découvert devient un piège
La plupart des consommateurs pensent qu’un découvert autorisé entraîne des agios proportionnels au montant emprunté. C’est faux. Pour les montants inférieurs à 400 euros, de nombreuses banques appliquent un forfait minimum, indépendamment du solde réel du compte. L’UFC-Que Choisir, dans un rapport accablant publié le 8 avril 2025, dénonce une mécanique tarifaire qui « pénalise encore davantage les ménages précaires », selon ses mots.
Un exemple cité dans l’étude illustre l’absurdité de la situation :
"Par exemple, si un client du CCF utilise son découvert autorisé et son compte passe à -2 € pendant une semaine.
Les agios dus devraient être de 0,01 €.
Mais la banque applique un minimum forfaitaire de 10 € par trimestre.
Coût total du découvert : 10 €.
Si l’on annualise ce coût, cela représente un TAEG de 26 000 %, soit 1 140 fois le taux d’usure (22,93 % en janvier 2025)."
Au total, 40 établissements bancaires sur 86 analysés appliquent ces minima, dont la Banque Populaire du Sud, qui facture jusqu’à 12,50 euros, ou la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté, avec un seuil à 13 euros.
La CFC a tenu à réagir, un porte-parole nous précise : "L’exemple repose sur des données inexactes. Le taux mentionné est erroné : même en annualisant le coût d’un découvert autorisé, le TAEG ne dépasserait jamais le taux d’usure en vigueur. Le minimum forfaitaire de 10 euros par trimestre n’est dans les faits jamais appliqué afin de pas porter préjudice à nos clients. Les clients fragiles du CCF bénéficient de frais d’irrégularité plafonnés et sont exonérés de commission d’intervention, conformément à notre politique."
Frais bancaires : le coût invisible d’une pratique jugée “immorale”
Ces minima forfaitaires, qui remplacent les agios traditionnels, ne sont pas des exceptions : ils s’ajoutent à un arsenal de pénalités bancaires déjà particulièrement lourd. En plus de ces frais fixes, les clients en découvert peuvent subir :
- des commissions d’intervention plafonnées à 80 euros par mois ;
- des rejets de prélèvements pouvant coûter jusqu’à 20 euros ;
- des lettres d’information pour compte débiteur, facturées jusqu’à 15 euros.
Cette multiplication de ponctions a un effet délétère sur les ménages fragiles. L’UFC-Que Choisir estime que 45 % des Français sont à découvert au moins une fois par an, pour un montant moyen de 223 euros. Les brochures tarifaires des établissements bancaires, parfois longues de 64 pages (comme à la Société Générale), compliquent toute comparaison entre offres. L’association parle d’une "opacité totale" et accuse les banques de ne pas informer clairement leurs clients.
Marie-Amandine Stévenin, présidente de l’UFC, n’hésite pas à s’emparer du sujet avec vigueur : « Les minima forfaitaires sont une aberration. Ces frais fragilisent encore davantage les ménages les plus précaires. Quand un découvert de 1 euro génère 10 euros de frais, ce n’est pas de la gestion bancaire, c’est une pratique immorale. Il est urgent de mettre fin à cette rente irresponsable basée sur de véritables frais sanctions. »
La FBF, de son côté, réagit ainsi :
« Les coûts pour un client de son découvert ont été largement diminués au fil des ans, d’une part grâce au développement d’offres limitant les incidents (cartes à autorisation systématique), d’autre part avec le plafonnement des frais mis en place par les banques.
Les frais sont transparents, suivis par un observatoire dont l’UFC fait partie. L’information préalable du consommateur dans les plaquettes tarifaires est organisée par un sommaire type et harmonisé entre toutes les banques pour permettre les comparaisons. Les exemples donnés par l’association sont caricaturaux et sont loin de refléter le quotidien des clients des banques.
Par ailleurs, les frais sont conformes à la législation et sont limités.
Enfin, il existe des solutions pour limiter les risques d’incidents et donc limiter les frais, limiter les découverts non autorisés, avec notamment l’OCF, l’offre spécifique, que toute personne même non identifiée par sa banque comme fragile financièrement, peut demander à souscrire. L’OCF est plafonnée à 3 euros par mois mais proposée le plus souvent à 1 euro par mois ou moins et avec plafonnements des frais d’incidents le plus souvent réduits à zéro euro. »
Frais bancaires : quelle régulation pour des coûts “sans justification économique” ?
L’UFC ne se contente pas de dénoncer : elle propose. L’association réclame notamment :
- l’interdiction pure et simple des minima forfaitaires ;
- l’intégration de tous les frais de découvert dans le TAEG, afin de garantir une transparence totale ;
- une simplification des brochures tarifaires, qui permettraient enfin une comparaison entre les banques.
La Fédération bancaire française (FBF), quant à elle, ne répond pas directement à ces accusations. Sur son portail officiel, elle affirme que ses normes professionnelles visent à « diffuser efficacement de bons usages » et que le respect de ces engagements est soumis à l’autorité de contrôle (ACPR). Mais aucune norme explicite ne vient encadrer les minima forfaitaires, ni interdire ce type de tarification. Résultat : la pratique se poursuit dans un flou réglementaire total, au détriment des consommateurs.
Frais bancaires : un signal d’alarme pour les plus précaires
Ce scandale tarifaire n’est pas isolé : il s’inscrit dans une série de pratiques qui ciblent de manière disproportionnée les populations déjà vulnérables. Les frais de découverts deviennent un levier de marges bancaires confortables, tandis que le consommateur, souvent en difficulté, ne dispose d’aucun levier d’action immédiat. L’UFC appelle à une mobilisation législative et réglementaire. Jusqu’ici, sans effet. Le silence assourdissant du législateur ne fait qu’accentuer l’incompréhension.
Le paradoxe est saisissant : alors que les banques investissent des millions dans la relation client et la finance responsable, elles continuent à appliquer des frais qui s'apparentent à une rente punitive sur la pauvreté.