Des marchés trop confiants sur l’ampleur des baisses de taux en 2024 ?

La publication des chiffres d’inflation aux Etats-Unis mardi entretient le sentiment que le combat des banques centrales pour ramener l’inflation à 2% n’est pas gagné, malgré les progrès significatifs réalisés et malgré la dernière conférence de presse de Jerome Powell de l’année.

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Par Alexandre Baradez Publié le 19 décembre 2023 à 4h30
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récession, crise, europe, risque, taux - © Economie Matin
4,5%Le taux directeur principal de la BCE est désormais à 4,5%.

Même si l’inflation globale avoisine les 3%, l’inflation sous-jacente (CPI « core » c’est-à-dire hors alimentation et énergie) continue d’évoluer à 4%, soit deux fois l’objectif de la Fed, et l’inflation PCE sous-jacente est encore à 3.5%. Et le problème pour la Fed est que cette inflation est surtout tirée par les services, secteur qui représente la plus grande partie de l’économie américaine.

Le pic de l’inflation sous-jacente aux Etats-Unis avait été atteint en septembre 2022 à 6.6%. Il a donc fallu près de 14 mois pour passer de 6.6% à 4.0%. Donc encore plusieurs trimestres nécessaires au retour à 2% ce qui écarte toute urgence pour la Fed de baisser ses taux.

La dernière hausse de taux de la Fed remonte à juillet et il s’agit très probablement d’une pause définitive mais les anticipations de marché sur la date de la première baisse de taux ainsi que le nombre total de baisses de baisses de taux pour 2024 sont probablement trop optimistes. Au lendemain de la décision de la Fed, les marchés estiment qu’il y a 74% de chances d’avoir…150 points de base de baisse de taux là où les projections des membres de la Fed (les fameux « dot plot ») n’en voient que 75 points de base.

On peut s’étonner de l’interprétation assez « dovish » de l’intervention de Jerome Powell hier soir. La Fed est « data dépendante » or en l’espace de quelques jours nous avons eu un rapport sur l’emploi américain assez nettement au-dessus des attentes (baisse surprise du taux de chômage et progression annuelle des salaires encore à 4%), un rebond mensuel de l’indice d’activité dans les services (indice ISM) et pour finir l’absence de progrès sur l’inflation sous-jacente toujours à 4% en novembre.

L’appétit féroce des investisseurs pour les actions ces dernières semaines pose question. Autant nous considérions dans nos dernières analyses que le risque de forte rechute des indices, après le rallye du premier semestre, était limité en raison notamment de la baisse de l’inflation, du repli des matières premières, des premiers signes de stabilisation de l’activité manufacturière en Chine et en Allemagne, et des niveaux de valorisation de retour dans la moyenne sur les indices actions européens et américains, autant la puissance du rallye haussier et l’écrasement complet de la volatilité nous ont surpris.

En effet, les marchés sont passés très (trop ?) rapidement de la phase de l’estimation du taux terminal pour la Fed et la BCE, à la phase où les premières baisses de taux sont agressivement « pricées » …oubliant peut-être au passage la notion de « higher for longer » mise régulièrement en avant par Christine Lagarde ou Jerome Powell. Cette phase de long plateau sur les taux est nécessaire pour écarter toute velléité de reprise de l’inflation ou tout simplement pour s’assurer que l’inflation converge durablement avec l’objectif des 2%.

Du côté de la zone euro, le même sentiment d’ultra optimisme s’est emparé des marchés et des anticipations de baisse de taux. La situation économique en zone euro est nettement plus dégradée qu’aux Etats-Unis, certains économistes estimant que nous sommes entrés en récession ce trimestre. De quoi affûter les « paris » des investisseurs sur les baisses de taux de la BCE. Mais là-encore l’agressivité des anticipations pose question : l’inflation sous-jacente en zone euro, c’est-à-dire l’inflation surveillée par la BCE par rapport à l’objectif, évolue encore à 3.6%. Son pic a été atteint en mars cette année à 5.7%, elle est donc passée de 5.7% à 3.6% en l’espace de 9 mois. Isabel Schnabel, membre du directoire de la BCE et très écoutée des marchés, a reconnu les progrès considérables, écartant la nécessité de relever encore les taux.

Pour les marchés, cette remarque a presque sonné comme une annonce de baisse de taux alors que ce membre de la BCE a « seulement » validé le plafond sur les taux…A 3.6% d’inflation sous-jacente, il reste encore du chemin à parcourir pour revenir à 2%. Le bilan de la Fed et de la BCE devra encore se réduire avant que les premières baisses de taux ne soit décidée et il faudra probablement subir encore plusieurs mois de ralentissement économique pour que les banques centrales soit définitivement rassurée sur la convergence de l’inflation avec l’objectif.

Cette période de plusieurs mois pourrait pousser les marchés actions à la consolidation, marchés pris en tenaille entre des données macroéconomiques qui se dégradent et l’absence de pivot effectif des banques centrales.

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Diplômé de l’ESCE (Ecole Supérieure de Commerce Extérieur), Alexandre Baradez débute sa carrière chez EBG FINANCES en 2003 en tant que consultant spécialisé en défiscalisation immobilière. Il intègre le département Gestion Privée de BNP PARIBAS en 2005 où il assure la gestion et le suivi d’un portefeuille de 400 clients. En 2008, il rejoint Banque Robeco Gestion Privée où il a en charge la gestion d’un portefeuille de 650 clients. Il délivre un conseil sur OPCVM, la constitution et la gestion d’un patrimoine en exploitant l’actualité macro et micro-économique. En octobre 2009, il rejoint Saxo Bank en tant que Sales Trader et devient en 2011 Analyste Marchés de la banque dont il est l’interlocuteur privilégié auprès des medias français. Aujourd'hui, Alexandre Baradez est Responsable Analyses Marchés chez IG France.

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