Dans une conjoncture économique toujours plus incertaine, les entreprises ont besoin de davantage permettre aux salariés de faire preuve d’agilité et d’inventivité.
Créativité, sérénité, prises d’initiatives : la fin du management à la papa
Pour cela, il est capital d’établir et d’entretenir une ambiance de travail apaisée, qui facilite les prises d’initiatives, les échanges d’idées et les synergies. Les pratiques managériales basées sur la peur et le respect inconditionnel de l’autorité des chefs doit laisser place à des démarches créatives et participatives.
Les phénomènes dits de la « grande démission » et du quiet quitting n’ont pas touché la France aussi spectaculairement que d’autres pays, mais plusieurs études attestent qu’une partie non négligeable de la population active accorde de moins en moins d’importance à la vie professionnelle. Cette désaffection s’explique non seulement par la persistance de certains facteurs de pénibilité mais aussi par l’aggravation de la charge mentale et des contraintes émotionnelles. En se référant à différentes enquêtes, Dominique Méda, Maëlezig Bigi et Agnès Parent-Thirion dénoncent « le processus d’intensification du travail » qui fait qu’aujourd’hui, plus d’un salarié sur deux est régulièrement contraint d’agir ou de réagir dans l’urgence et que 37 % des actifs considèrent que leurs tâches sont carrément devenues insoutenables. Les trois expertes en arrivent à affirmer que « les Français et Françaises apparaissent minés, psychologiquement et physiquement et, plus que leurs voisins européens, perçoivent le travail comme une menace pour leur santé ».
Comme le reste du monde, la société française a beaucoup changé ces dernières décennies mais, de toute évidence, dans bon nombre d’entreprises et de services publics, le management peine à s’adapter aux évolutions des mentalités et des comportements. Les troubles anxiodépressifs comme le burn-out sont de plus en plus facilement reconnus comme des maladies professionnelles et légitiment même, parfois, la dénonciation d’un harcèlement. De nouvelles formes d’emploi comme l’auto-entreprenariat, le management de transition et le temps partagé contribuent à accélérer la baisse du chômage et offrent des alternatives au salariat. Les générations Y, Z et millenials sont entrées sur le marché du travail et y imposent leurs exigences d’équilibre entre carrière professionnelle et vie personnelle. La crise sanitaire a accéléré la mise en place du télétravail, auquel les salariés se sont habitués et n’ont guère l’intention de renoncer. De surcroît, dans un environnement économique toujours plus exigeant, les équipes de direction ont besoin de stimuler l’ingéniosité, ce qui implique de favoriser les dynamiques interpersonnelles positives. Certains chefs d’entreprise laissent ainsi les collaborateurs exprimer leurs intuitions et dire ce qu’ils pensent vraiment. Pour justifier ces bonnes pratiques, Frédéric Laloux explique que « si nous voulons travailler en confiance, si nous espérons des relations profondes, riches et qui ont du sens, il faut que nous nous révélions davantage tels que nous sommes ». Dans son best-seller Reinventing Organizations, le consultant ajoute qu’il est grand temps que chacun puisse exprimer sa créativité au lieu de perdre du temps « à plaire au patron, à jouer des coudes pour une promotion, à défendre des silos, à livrer des batailles de territoire, à essayer d’avoir l’air comme il faut, à rejeter la faute sur les autres ».
Le monde du travail reste malheureusement un lieu de compétition, de confrontation des égos, de déploiement de stratégies individuelles pour lesquelles, au-delà des discours convenus, l’esprit d’équipe importe peu. Le temps des cadres autoritaires, individualistes et carriéristes n’est pas encore révolu mais, dans son livre The Fearless Organization, l’universitaire américaine Amy Edmondson souligne que « nul ne peut, à lui seul, savoir ou faire tout ce qui est nécessaire pour accomplir un travail au service des clients » et que, par conséquent, « il est plus important que jamais que les gens s’expriment, partagent leurs informations, apportent leurs compétences, prennent des risques et œuvrent ensemble pour créer une valeur durable ».
Cela peut sembler surprenant, mais passer d’un management directif à un management participatif requiert beaucoup de persévérance. Nos organisations sont encore profondément marquées par plusieurs décennies de disciplinarisation, de complexification des process, de multiplication des reportings et des bullshit jobs, qui inspirent à satiété le dessinateur Fix. En conséquence, les salariés ont acquis des réflexes de mutisme, de conformisme, de défiance, d’autocensure ou de désengagement qu’il est difficile de changer pour libérer l’expression des idées et des talents. Il est donc particulièrement important de promouvoir l’écoute active, d’inciter les collaborateurs à s’exprimer sans avoir peur de déplaire, à proposer les solutions les plus diverses sans redouter d’éventuels échecs, à dénoncer les dysfonctionnements sans craindre d’être sanctionnés. Amy Edmondson recommande ainsi de développer « la sécurité psychologique » et de créer « des ambiances de travail caractérisées par des niveaux inhabituels de franchise, de motivation, de collaboration et de prise de risque » en constatant que « quand les gens s’expriment, posent des questions, débattent vigoureusement et s’astreignent à apprendre et à s’améliorer sans cesse, de belles choses se produisent ».