Alors que la France n’a toujours pas de Budget 2025, la crise du logement continue de menacer le pouvoir d’achat de nos compatriotes et de saper les fondations de notre vivre ensemble en bouchant l’horizon des nouvelles générations, trop souvent condamnées au sort peu enviable d’éternels locataires. Il est donc urgent d’agir, d’autant que des solutions innovantes existent pour protéger le pouvoir d’achat et faciliter l’accession à la propriété.
Quand la crise du logement met en péril le « rêve français »
Un rêve est-il un mensonge s’il ne se réalise pas ? C’est la question que pose Bruce Springsteen dans l’inoubliable balade The River en 1980. Quarante ans plus tard, le géographe et chercheur en urbanologie, Joel Kotkin, auteur du livre The Coming of Neu-Feodalism. A Warning to the Global Middle Class (« L’avènement du néo-féodalisme. Un avertissement à la classe moyenne mondiale », 2020, non traduit), interroge, lui aussi, le rêve américain ou ce qu’il en reste. D’après lui, la crise du logement menace de saper les démocraties libérales qui historiquement reposaient sur une large classe de propriétaires. Or, aujourd’hui, aux Etats-Unis comme chez nous, l’accès à la propriété relève chaque jour un peu plus du mirage. Les conséquences sont nombreuses et fâcheuses : les locataires déménagent plus souvent, ils ont donc tendance à moins s’impliquer dans la vie en collectivité. Privés d’espace et du sentiment de sécurité qu’apporte la propriété de ses murs, ils sont moins susceptibles de faire des enfants, ce qui affecte le taux de natalité et la solidarité intergénérationnelle. Sans compter l’impact négatif sur l’emploi : les entreprises qui évoluent dans un bassin d’emploi situé en zone tendue peinent logiquement à recruter et à fidéliser les collaborateurs.
Horizons bouchés
Plus grave encore, ce sentiment d’inquiétude devant l’avenir qui étouffe les classes moyennes. Comme le rappelle Joel Kotkin, la propriété a toujours été un moyen privilégié pour les classes moyennes et ouvrières d’accéder à une vie meilleure et de s’élever dans la société. À lire attentivement Kotkin, on saisit combien le rêve américain ne tient plus qu’à un fil. Et le rêve français ?
La France s’est longtemps perçue comme un pays de petits propriétaires. Pour une écrasante majorité de nos compatriotes, l’accès à la propriété reste une étape essentielle dans la vie. Près des trois-quarts des 2 502 locataires interrogés en novembre dernier par OpinionWay font de l’accès à la propriété l’une de leurs priorités. L’achat d’un bien immobilier est vu comme « un moyen de se mettre à l’abri en cas d’imprévu ». C’est aussi la possibilité de se constituer un patrimoine, et de pouvoir le transmettre à ses enfants. En somme, dans un monde menacé par la multiplication des crises, la propriété est un précieux gage de sécurité matérielle et psychologique.
Oui mais voilà, entre le rêve et la réalité, le fossé se creuse. Une étude de l’Insee révèle que les prix de l’immobilier ont été multipliés par environ 2,6 depuis l’an 2000. Dans le même temps, le salaire moyen brut ne l’a été que par 1,7. Des chiffres qui révèlent une profonde déconnexion entre l’évolution des prix de l’immobilier et celle des salaires, accentuant les difficultés d’accès à la propriété pour de nombreux Français. Sans oublier les taux d’intérêts élevés, la frilosité des banques à l’heure de débloquer les crédits et le manque de logements neufs. Dans une étude commandée au cabinet HTC, l’Union Social pour l’Habitat estime qu’il serait nécessaire de construire ou remettre sur le marché 518 000 logements par an jusqu’en 2040 pour répondre aux besoins en logements de nos compatriotes.
Logement, emploi : même combat
Dans son dernier rapport annuel sur l’état de la France, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) indique que la part du budget des ménages consacré à l’habitat est passée de 19,7 % à 26,7 % en cinq ans. J’avais rappelé, dans une tribune publiée ici-même en septembre dernier, les sacrifices consentis par une part importante de Français pour habiter dans un lieu conforme à leurs attentes, y compris ceux qui avaient déjà accédé à la propriété.
Que faire ? Les entreprises qui recherchent de nouveaux leviers d’attractivité sur le marché de l’emploi auraient vocation à s’emparer du sujet en aidant leurs collaborateurs à devenir propriétaires. Avec le prêt subventionné, elles ont la possibilité de subventionner tout ou partie des intérêts des prêts immobiliers de leurs collaborateurs. De quoi faciliter l’accès au crédit pour ceux qui s’approchent dangereusement du seuil des 35 % d’endettement et baisser le montant des mensualités à rembourser. Pour les employeurs, c’est un excellent moyen d’attirer de nouveaux talents et de fidéliser les salariés en les aidant à acheter près de leur lieu de travail. D’après une étude récente d’IPSOS pour Sofiap, 76 % des salariés estiment en effet qu'un tel dispositif serait un avantage attractif, et 79 % pensent que cela renforcerait leur attachement à leur entreprise.
Malaise ou rêve français ?
Il y a aujourd’hui un malaise français, un désir frustré de propriété qui génère de la colère et de l’inquiétude. Les pouvoirs publics ne peuvent pas rester les bras croisés en misant sur une hypothétique baisse des taux. Certains parlementaires l’ont bien compris. Depuis des mois, nous poussons des propositions concrètes qui font l’objet de nombreuses discussions. Le chemin parlementaire a beau être long et semé d’embûches, chez Sofiap, nous sommes convaincus qu’en facilitant l’accès des salariés à la propriété, la généralisation du prêt subventionné permettrait d’adoucir le climat social. À l’instar de l’épargne salariale, ce dispositif mériterait que la prise en charge des intérêts d’un prêt immobilier par l’employeur puisse bénéficier des mêmes exonérations de cotisations sociales. Nous formons donc le vœu que cette proposition soit mise à l’agenda du gouvernement et travaillée au sein de l’Assemblée nationale. Le « rêve français » ne demande qu’à renaître de ses cendres.