L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a publié un rapport inquiétant, ce mercredi 16 mars, sur l’état de santé des livreurs de repas à domicile, une profession largement dominée par les plateformes numériques comme Uber Eats ou Deliveroo. Ces derniers, sous statut indépendant, sont exposés à une série de risques souvent invisibles aux yeux du grand public. Des risques qui ne cessent de s’accroître à mesure que les algorithmes remplacent les employeurs et que les protections sociales s’effritent sous les roues des deux-roues.
Votre repas Uber Eats n’arrive pas ? Votre livreur a peut-être fait un burn-out

Stress algorithmique et cadence infernale, les livreurs sous tension
Les livreurs ne sont plus encadrés par des supérieurs mais par des algorithmes impitoyables. L’Anses dénonce une organisation du travail fondée sur l'intelligence artificielle. Pour optimiser leur rendement économique, les plateformes attribuent les livraisons « sans interaction humaine directe », peut-on lire dans Le Monde. Tout est piloté par le numérique : affectation des commandes, évaluation des performances, calcul des primes, jusqu’aux sanctions.
Henri Bastos, directeur scientifique santé et travail à l'Anses, explique à l’Agence France-Presse que « les livreurs n’ont pas de marge de manœuvre, de négociation possible, ni de soutien d’une personne physique qui pourrait répondre aux difficultés rencontrées sur le terrain ». Cette automatisation brutale n’est pas sans conséquences. Les troubles musculosquelettiques, les accidents de la route et les atteintes à la santé mentale se multiplient. L'isolement professionnel, l'absence de collectif de travail et la pression continue des notifications mènent à des états de fatigue chronique, d’épuisement psychologique et de stress aigu.
De nombreux risques physiques
Si les plateformes vantent la liberté du statut d’indépendant, elles taisent les dangers qui en découlent. En Île-de-France, une enquête de 2022 a montré que 26,4 % des livreurs ont été victimes d’un accident de la route. Entre 2019 et 2023, 17 décès de livreurs ont été recensés. Des chiffres terrifiants, invisibles dans les bilans comptables des plateformes. Les horaires atypiques, le travail de nuit, l'exposition à la pollution, au bruit et aux conditions climatiques extrêmes pèsent également sur leur santé respiratoire, cardiovasculaire et métabolique.
À cela s’ajoutent les conséquences sociales : « pour s’assurer un niveau de vie décent, les livreurs vont accepter un grand nombre de courses et donc avoir des amplitudes d’horaires importantes, travailler parfois sept jours sur sept », observe Henri Bastos dans Le Monde.
Un vide juridique
Le statut d’autoentrepreneur, imposé de fait à ces livreurs de repas, permet aux plateformes d’échapper à toute obligation de protection sociale ou de prévention des risques. Pas d’arrêt maladie, pas d’assurance chômage, aucune obligation de déclarer les accidents du travail.
Le rapport de l’Anses est formel : « ni d’une politique de prévention des risques adéquate ni d’une protection sociale suffisante ». Une situation d’autant plus préoccupante que les « stratégies d’autoaccélération » — ces tentatives désespérées des livreurs d’anticiper les attentes de l’algorithme — aggravent les tensions psychiques et les risques physiques.
Un appel à la régulation
Dans son rapport, l’Anses recommande de « rendre obligatoire l’application des dispositions du Code du travail garantissant une protection de leur santé et de leur sécurité équivalente à celle des salariés ». L’agence appelle également à limiter et contrôler le temps de travail, à imposer la fourniture d’équipements de protection, et à rendre obligatoire la collecte de données sur les accidents et maladies professionnelles.
Ce rapport s’inscrit dans un contexte de mutation réglementaire : la directive européenne de novembre 2024 oblige les États membres à transposer des mesures de requalification des travailleurs des plateformes, avec un délai de deux ans. La France a signé récemment un accord fixant un revenu minimal horaire, mais les mécanismes de surveillance sociale restent embryonnaires.