Leasing social : la politique du carnet de chèques a encore de beaux jours devant elle

Le 25 janvier dernier, le Ministre de l’Economie Bruno Le Maire annonçait en Conseil des ministres que le déficit public pour 2023 devrait s’établir à 173,3 milliards d’euros, soit 2 milliards d’euros de plus que prévu. Trois jours plus tôt, le 22 janvier, en présence de dizaines de journalistes, le Ministre de la Transition Ecologique Christophe Béchu remettait les clés d’une Peugeot e-208 flambant neuve à l’une des premières bénéficiaires du nouveau dispositif de leasing social.

Photo Nicolas Pavlovic
Par Nicolas Pavlovic et Julien Deveze Publié le 13 mars 2024 à 5h00
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Leasing social : la politique du carnet de chèques a encore de beaux jours devant elle - © Economie Matin
112%La dette de la France atteint 112% du PIB

Ce dispositif, annoncé par Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle de 2022 et lancé officiellement en décembre 2023, a vocation à soutenir financièrement le leasing (location longue durée ou avec option d’achat) de véhicules électriques par les Français les plus modestes. Dans le détail, le leasing social permet la location, pour trois ans, d’une voiture électrique pour les actifs dont le revenu fiscal de référence par part ne dépasse pas 15 400 euros par an, qui résident à 15 km ou plus de leur travail ou qui parcourent plus de 8 000 km par an dans le cadre de leur activité professionnelle. Les bénéficiaires ont accès à un bonus écologique qui atteint 13 000 euros, permettant d’atteindre des loyers particulièrement bas pour les voitures éligibles, compris entre 40 et 150 euros par mois selon le modèle.

Après son lancement, le leasing social a suscité un réel engouement et ce sont plus de 50 000 véhicules qui devraient être financés par ce biais contre 25 000 prévus initialement, amenant le Gouvernement à annoncer précipitamment dès le 11 février la clôture du dispositif pour 2024, faute de moyens, tout en promettant qu’il serait de retour en 2025.

Sur le papier, l’idée d’un coup de pouce pour accompagner la transition du thermique vers l’électrique, dans un contexte où la vente de véhicules thermiques neufs sera théoriquement interdite en 2035 et où la voiture individuelle représente à elle seule 16% des émissions de CO2 françaises, pouvait sembler bonne. Pourtant, comme trop souvent avec Emmanuel Macron, cette bonne idée s’est vite transformée en un énième dispositif mal ficelé, critiquable à de nombreux égards.

Premièrement, les critères d’éligibilité retenus en font un dispositif profondément injuste. Si la volonté de réserver le dispositif aux seuls actifs qui dépendent réellement de la voiture pour travailler est louable, celle d’établir un seuil unique de ressources l’est beaucoup moins : un dépassement d’un euro du seuil de revenu fiscal bloque l’accès au dispositif, avec à la clé un doublement des tarifs par rapport aux bénéficiaires du leasing social. Il en va de même pour le critère d’éligibilité lié à la distance entre le domicile et le lieu de travail, fixé arbitrairement à 15 km.

Les critères retenus pour déterminer les véhicules admis dans le dispositif sont eux aussi très discutables, voire nuisibles si on garde en tête que le leasing social s’inscrit avant tout dans une démarche de transition écologique. Au même titre que pour le bonus écologique, sont inclues les voitures dont le prix est inférieur ou égal à 47 000 euros, dont la masse est inférieure ou égale à 2,4 tonnes et qui atteignent le score environnemental minimal requis. Alors que ce dernier critère a l’avantage de protéger notre industrie en excluant de fait la quasi-totalité des voiture produites hors d’Europe, on peut s’interroger sur les deux premiers. La limite de poids, tout d’abord, ouvre le dispositif à des véhicules lourds alors que ce sont les véhicules les plus légers qui sont les plus vertueux en matière environnementale et qu’il existe une offre conséquente de véhicules performants et polyvalents de moins de 2 tonnes. La limite de prix, quant à elle, est également problématique : si tant est que l’on considère légitime l’idée d’accompagner financièrement la transition vers la mobilité électrique des actifs les plus modestes, celle-ci doit-elle se faire en subventionnant massivement l’achat de voitures aussi chères avec les impôts d’autres actifs qui pour nombre d’entre eux ne peuvent pas s’offrir de tels véhicules ?

Ces critères limitent l’intérêt écologique du dispositif, les véhicules les plus gros, les plus lourds et les plus chers du dispositif voyant leurs prix suffisamment rabaissés par rapport au marché automobile classique pour attirer une grande partie des bénéficiaires. C’est une mauvaise nouvelle, notamment pour les secteurs de l’occasion et du rétrofit, concernés à la marge par le dispositif dans des conditions moins intéressantes que pour le neuf et dont la compétitivité face à l’offre neuve est donc grandement diminuée. Cette injonction à se tourner vers le neuf est d’autant plus incompréhensible que le Gouvernement a multiplié la création de chèques réparation dans d’autres domaines ces derniers mois. Le rétrofit, en particulier, est pourtant un modèle économique vertueux avec de réelles perspectives industrielles, l’entreprise normande Lormauto proposant par exemple à la location des Twingo rétrofitées sobres et efficaces, dont les premières sortent d’usine dès cette année.

Il eut été plus juste et plus efficace de proposer une aide progressive, quitte à en baisser légèrement le montant maximal et à la réserver à des véhicules plus légers et moins chers, de sorte que ce coup de pouce soit proportionnel aux moyens des ménages et à leur éloignement géographique de leur lieu de travail, tout en maximisant son impact écologique.

L’impact du leasing social sur le marché du véhicule électrique, lui, est difficile à prévoir. D’un côté, la manne représentée par ces 50 000 véhicules dont la vente est assurée pourrait rassurer les constructeurs et les encourager à poursuivre leurs investissements dans l’électrique. A l’inverse, ces derniers pourraient aussi être davantage tentés de maintenir des prix élevés et les marges qui vont avec en comptant toujours un peu plus sur les aides publiques pour assurer leur compétitivité, ce qui constitue déjà l’un des principaux effets pervers du bonus écologique classique.

En revanche, l’impact du leasing social sur les finances publiques est tout à fait prévisible. Sur la base des 50 000 véhicules annoncés, le coût du dispositif pour la seule année 2024 pourrait représenter jusqu’à 650 millions d’euros. Dans le même temps, Bercy a confirmé que l’enveloppe prévue pour l’ensemble des dispositifs liés au bonus écologique serait plafonnée à 1,5 milliards d’euros, soit seulement 200 millions d’euros de plus qu’en 2023. Cette mise en œuvre du leasing social se sera donc faite au détriment du bonus écologique classique, abaissé depuis le 13 février à 4 000 euros contre 5 000 précédemment pour les Français dont le revenu fiscal de référence dépasse 15 400 euros par an et tout simplement supprimé pour les voitures électriques d’occasion. Cette baisse accentue encore la différence de traitement entre les bénéficiaires du leasing social et une part importante de la population, notamment une partie des classes moyennes qui sont une fois de plus les grandes oubliées de la transition écologique. Exclues en grande partie de ce dispositif de leasing social mais concernées par la baisse du bonus écologique, elles sont condamnées à devoir payer au prix fort leur transition vers la voiture électrique tout en payant pour celle d’autres.

Enfin, les contours et l’avenir de ce dispositif de leasing social sont flous, comme souvent à la suite d’effets d’annonce pilotés depuis l’Elysée. La volonté affichée initialement par le Gouvernement était d’élargir progressivement, au cours de l’année, le dispositif à l’ensemble des Français dont les revenus sont inférieurs au seuil retenu, permettant d’y inclure les chômeurs, les retraités et certains étudiants. Alors que cette information figure toujours sur le site du Ministère de la Transition Ecologique, Christophe Béchu a déclaré qu’il excluait pour le moment d’élargir les conditions d’accession au dispositif, qui est de toute façon désormais clôturé pour 2024. Son lancement ne s’est par ailleurs accompagné pour le moment d’aucune réflexion sur la gestion du parc de véhicules qui en résultera et de son impact sur le marché de l’occasion.

En considérant toutes ces failles, ce leasing social s’apparente finalement surtout à un chèque de plus distribué à une partie des Français par le Président de la République grâce à l’argent magique des impôts et de la dette. Il vient s’ajouter aux nombreux autres mis en place par Emmanuel Macron depuis la crise sanitaire et qui se chiffrent aujourd’hui en milliards d’euros : prime inflation (3,8 milliards d’euros en 2021), chèque énergie exceptionnel (560 millions d’euros en 2021 et 1,8 milliards d’euros en 2022), prime exceptionnelle de rentrée (1 milliard d’euros en 2022), ristournes à la pompe (7,5 milliards d’euros en 2022), chèques énergie exceptionnels fioul et bois (460 millions d’euros en 2022), indemnité carburant (1 milliard d’euros en 2023), bonus réparation équipements électriques et vêtements (564 millions d’euros d’ici 2028)… A chaque enjeu de société son nouveau chèque.

Le leasing social rejoint cette longue liste et démontre une fois de plus que, même dans un pays où la dette atteint 112% du PIB et qui n’a pas connu un budget à l’équilibre depuis 1974, la politique du carnet de chèques a encore de beaux jours devant elle.

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Nicolas PAVLOVIC, Secrétaire national Les Centristes en charge des Transports et de l’Aménagement du territoire, et Julien DEVEZE, Délégué national au projet Les Centristes.

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