Nommé le 5 septembre, il aura fallu plus de deux semaines de tractations et de consultations au nouveau Premier ministre français, Michel Barnier, pour constituer un gouvernement. Cette première épreuve à peine surmontée le voilà déjà confronter à la suivante : déposé au Parlement son projet de budget pour 2025, ce qu’il ne devrait pouvoir faire que le 9 octobre avec plusieurs jours de retard sur le calendrier légal.
Le coût des sanctions pour une économie fragilisée
Nommé le 5 septembre, il aura fallu plus de deux semaines de tractations et de consultations au nouveau Premier ministre français, Michel Barnier, pour constituer un gouvernement. Cette première épreuve à peine surmontée le voilà déjà confronter à la suivante : déposé au Parlement son projet de budget pour 2025, ce qu’il ne devrait pouvoir faire que le 9 octobre avec plusieurs jours de retard sur le calendrier légal. Sa tâche sera encore plus difficile que prévu puisqu’il doit faire face à une situation économique encore plus mauvaise que ce qui avait été anticipé. Selon une récente note du Trésor français, le déficit public pourrait atteindre 5,6% du PIB en 2024 et 6,2% en 2025, après avoir déjà atteint 5,5% du PIB en 2023 (contre 4,9% attendus par le gouvernement de Gabriel Attal). Les dernières prévisions du ministère de l’Économie tableraient même sur un déficit autour de 6% soit le double du déficit maximum autorisé par les traités européens. La situation est rendue encore plus préoccupante par le montant de la dette publique française qui, selon le rapport de l’Insee du 28 juin 2024, s’établissait à 3 160 Md€ à la fin du premier trimestre 2024. Dans un contexte économique si dégradé, les marges de manœuvres de Michel Barnier sont presque inexistantes. La question est donc moins de savoir si le budget de 2025 sera un budget d’austérité que de connaître l’ampleur de celle-ci…
Seul un retour de la croissance pourrait permettre d’éviter une hausse des impôts, le sous-financement de services publics aussi important que l’école ou l’hôpital, les licenciements quand ce n’est pas les faillites d’entreprises. Or, toujours selon l’Insee, la croissance française devrait s’établir autour de 1% pour l’année 2024. Cette stagnation de l’économie devrait amener Michel Barnier et son gouvernement à porter un regard critique sur les choix de ses prédécesseurs, Élisabeth Borne et Gabriel Attal. En effet, la cause principale de la mauvaise situation économique en France et en Europe est l’augmentation du prix de l’énergie due aux sanctions prises contre la Russie. Il est temps de s’interroger sur leur bien-fondé, sans que cela conduise pour autant à abandonner l’Ukraine dans sa guerre contre son grand voisin. La question qui se pose aujourd’hui n’est pas celle du soutien que la France et l’Union européenne doivent ou non apporter à l’Ukraine, mais celle de ses modalités. Il faut tirer les enseignements de la politique menée depuis deux ans afin de l’adapter et de la rendre plus efficace.
En prenant des sanctions économiques contre la Russie, l’Union européenne a voulu soutenir l’Ukraine illégalement envahie par la Russie. Ces sanctions visent à affaiblir l’économie russe et à restreindre ses capacités de financement pour lui rendre plus difficile la poursuite de la guerre. Ces sanctions sont multiples et portent sur un grand nombres de domaines : gèle de certains avoirs ; restrictions sur les achats de dette souveraine russe et les flux financiers en provenance de Russie ; exclusion de certains établissements bancaires russes du système de messagerie sécurisée SWIFT ; interdiction des exportations et des importations de certains biens vers et depuis la Russie (armes légères, aéronefs et équipements associés, biens à double-usage, biens de haute technologie, matériaux, etc.) ; embargo sur l’or ; fermeture de médias, etc. Dans le domaine énergétique, l’Union européenne a voté en juin 2022 un sixième train de sanctions interdisant l’achat, l’importation et le transfert de pétrole brut russe transporté par voie maritime.
Les sanctions ont-elles affaibli la Russie ?
Selon le site France diplomatie, « ces sanctions affectent déjà fortement l’économie russe ». L’affirmation mériterait d’être discutée mesure par mesure, secteur par secteur, mais il semble qu’elle pêche par un trop grand optimisme. L’économie russe, après un premier choc qui s’est manifesté par une légère récession en 2022 (-1% du PIB) s’est adaptée. La croissance a ainsi été de 4% de 2023 et devrait être d’un niveau similaire cette année. La prédiction faite le 1er mars 2022 par l’ancien Ministre des finances, M. Bruno Le Maire, « nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe » ne s’est pas réalisée, loin s’en faut.
Les sanctions prises par l’UE contre la Russie ont en revanche eu des effets, bien réels ceux-là, sur sa propre économie. Le plus spectaculaire a sans doute été l’explosion de l’inflation qui a atteint 7% en France en 2023. Cette hausse de l’inflation a été largement dû à la très forte hausse du coût de l’énergie induite par le renoncement au gaz et pétrole russe bon marché. Rappelons à la suite du journal Le Monde du 6 octobre 2022 que le prix de l’électricité dépend de celui du gaz. Cela s’est traduit en France par une hausse du prix de l’électricité 4% en février 2022, 15% en février 2023, 10% en août 2023, 9% en février 2024, soit une augmentation totale sur deux ans de plus de 40% ! Les prix des carburants à la pompe ont eux aussi connu une forte hausse atteignant 1,82 € en novembre 2023 contre 1,47 € en moyenne entre 2018 et 2019, selon l’Insee. Ils ne sont pas redescendus depuis. L’économie française et plus généralement européenne s’en trouve très fragilisée.
Comme le souligne l’économiste Jacques Sapir dans un récent entretien, « il y a une voie de communication évidente entre les sanctions prises contre la Russie et l’activité économique en Europe, c’est l’énergie. (…) L’économie française a souffert de manière extrêmement importante. » De fait, comme l’explique Jean-Marc Jancovici, « l’énergie, dans les civilisations industrielles, joue un rôle physique central ». En d’autres mots, le niveau de production est étroitement corrélé à la disponibilité de l’énergie. Dans un pays donné, si l’accès à l’énergie devient plus difficile à cause d’une hausse de son coût alors la production baisse. Il y a que deux solutions à ce problème : soit prendre des mesures pour revenir à la situation antérieure, soit délocaliser la production à un autre endroit du monde. C’est ce qu’a récemment choisi de faire le groupe chimique allemand BASF (la chimie est une industrie particulièrement consommatrice d’énergie) en délocalisant une partie de sa production en Chine.
Une nouvelle flambée des prix de l'énergie serait insupportable
En affaiblissant leur économie à travers des sanctions mal calibrées, la France et les autres pays de l’Union européenne compromettent l’aide financière et militaire (y compris la production et la livraison d’armes) qu’ils se sont engagés à fournir à l’Ukraine. Si pour des raisons symboliques, il paraît difficile de revenir sur les sanctions déjà prises dans le domaine énergétique (interdiction des importations de pétrole brut et de produits pétroliers transportés par voie maritime en provenance de Russie, plafonnement des prix à l’exportation, etc.), il semble nécessaire d’évaluer leur résultat et de réfléchir à leurs conséquences pour les Européens avant de poursuivre dans cette voie. Les ventes de pétrole de la Russie seront-elles réellement entravées par de nouvelles sanctions ? Des sanctions portant sur les assurances maritimes, par exemple, auraient-elles des conséquences positives ou bien renchériraient-elles simplement le coût de l’énergie et augmenteraient-elles les risques écologiques dû à la circulation de navires moins contrôlés ? À un moment où les difficultés économiques favorisent partout en Europe la montée des partis d’extrême droite, il convient que l’Europe ne prenne que des sanctions qui ne la pénalise pas davantage qu’elles ne pénalisent la Russie. Pour pouvoir défendre la démocratie en Ukraine, l’Union européenne doit d’abord la défendre en son sein.