La France qui conduit est une cartographie du vécu qui dépasse les découpages traditionnels entre territoires urbains, périurbains et ruraux. La France qui conduit, ce sont les territoires qui se situent « au-delà des centres-villes ». C’est celle des centres-bourgs, des campagnes, des zones pavillonnaires, des zones d’activités, des rondspoints, des gilets jaunes… c’est plus de 90 % des communes[1] et plus de la moitié de la population[2].
La France qui conduit à la croisée des chemins
C’est une géographie et une organisation sociale qui se concrétisent aujourd’hui par une réalité simple pour les habitants : soit de celle de l’assignation au volant, soit de l’assignation à domicile. La voiture est omniprésente et ses habitants sont ceux pour qui le droit à la mobilité se résume en général à utiliser leur voiture solo.
Pourtant, 51 % des Français déclarent souhaiter se passer de leur voiture tout en estimant que « ce n’est pas du tout possible » et cette proportion augmente à 60 % en zone périurbaine et 67% en zone rurale[3] : constat d’une aspiration à une mobilité plus durable et plus accessible, contrariée par l’absence d’alternatives viables pour opérer ce changement.
La France qui conduit est victime d’une double dynamique qui s’auto-entretient : la liberté de mouvement grâce à la voiture, qui a permis en retour l’éloignement des emplois, des commerces, et des services (publics) de proximité. La voiture, initialement émancipatrice, est devenue un indispensable et la dépendance au système voiture est profonde.
La France qui conduit est celle qui parcourt le plus de kilomètres en voiture au quotidien et se retrouve donc en première ligne face à l’augmentation des prix de l’énergie et aux nécessaires contraintes associées à la transition.
La détérioration de l’accès aux services publics et les contraintes qui pèsent sur la mobilité alimentent un sentiment d’abandon et de concurrence face à des territoires qui capteraient l’engagement de l’État - les centres-villes notamment. Il se traduit aussi par un rejet des politiques publiques de transition écologique (véhicule électrique, zones à faibles émissions, taxe carbone etc.). Les difficiles « fins de mois » font oublier les périls de « fin du monde ». On le comprend, et pourtant on ne peut s’y résoudre.
C’est donc dans ces territoires que se concentrent les enjeux de mobilité pour atteindre les objectifs climatiques et pour vivre ensemble sur le long terme. Les notions de transition « juste » et « solidaires » en sont les corollaires indispensables.
Il y a un chemin pour sortir de l’équation impossible. Il demande de changer de regard et réinterpréter le système de transport existant.
Pour que la France qui conduit ne soit plus assignée au volant, il lui faut - comme pour la France des centres-villes - un système de mobilité de qualité, qui ne se résume pas à « je prends mes clés et je démarre le moteur ». Il faut créer un « choc d’offre multimodale », terme abscons pour désigner un « système de transports collectifs de qualité ».
À la différence des centres-villes qui sont suffisamment denses pour avoir un système composé largement composé de « gros véhicules » (tram, métro, bus etc.), les zones moins denses doivent pouvoir encore s’appuyer sur un ensemble de véhicules adaptés au nombre de personnes à transporter : des « gros véhicules » (RER, car), mais aussi des « petits véhicules » (voitures). Il faut en revanche utiliser ces voitures comme un transport collectif, intégré dans un système de mobilité plus large, ce qu’elles ne sont pas aujourd’hui.
Le système de mobilité hors des centres-villes est en effet particulièrement peu efficace : bien qu’ultra-dominantes, les voitures ne transportent en moyenne que 1,4 personnes, pour une capacité de 5 places. Les sièges libres sont pléthoriques mais restent des capacités de transports inutilisées car inutilisables. Nous importons les matériaux et le pétrole nécessaire à leur existence ; ils sont présents dans les territoires qui en ont besoin. Il existe un potentiel d’amélioration du système de mobilité considérable.
Ce livre blanc propose de faire de la sobriété le fondement d’une reconquête territoriale des services publics de mobilité, avec une vision multimodale incluant la voiture. Cette sobriété dans l’usage des véhicules et des routes passe par le déploiement de transports de qualité, au-delà des centres ville, qui reposent sur les mêmes critères de qualité de service que dans les zones denses. L’enjeu est de transitionner du système voiture solo à un système de transports collectifs réellement compétitif, incluant la voiture.
Le réseau ferroviaire et le réseau routier peuvent se compléter pour offrir à la France qui conduit des lignes de transport collectif de qualité, dites « express » : lignes de RER, lignes de car express, lignes de covoiturage express, lignes express vélo. Sur la base de ce maillage fondamental, les mobilités à la demande peuvent se déployer de manière efficace : autopartage, covoiturage planifié, transport à la demande, transport solidaire etc. Ce système de mobilité complet permettra à de nombreux habitants de lâcher le volant, parfois ou tout le temps.
Pour structurer un tel système, il faut faire tomber quelques frontières symboliques dans le domaine de la mobilité. Celles qui opposent modes actifs, modes routiers et modes ferroviaires ; celles qui opposent voiture et transports en commun ; et celles qui opposent constructeurs, gestionnaires d’infrastructure et opérateurs de mobilité.
Le cœur de l’approche est la volonté de transporter les personnes avec le moindre coût environnemental et économique possible.
Cette sobriété implique de réduire les distances et de remplir les véhicules, qu’ils soient gros ou petits. Cette approche systémique permettra une transition rapide, cohérente, efficace, qui ne laisse personne au bord de la route. C’est techniquement et économiquement possible ; il suffit de décider de le mettre en œuvre.
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1 Données Insee à partir des fichiers démographiques sur les logements et les individus (Fideli), 2018. Découpement basé sur la grille communale de densité à 7 niveaux du 1er janvier 2024. Ici ont été pris en compte les centres urbains intermédiaires, les petites villes, les ceintures urbaines, les bourgs ruraux, les zones rurales à habitat dispersé et très dispersé.
2 Données Insee sur les populations communales pour chaque recensement de 1876 à 2021. Découpement basé sur la grille communale de densité à 7 niveaux du 1er janvier 2024. Ici ont été pris en compte les centres urbains intermédiaires, les petites villes, les ceintures urbaines, les bourgs ruraux, les zones rurales à habitat dispersé et très dispersé.
3 Ipsos, Les déplacements des français, 2022.