Applicable depuis le 1er janvier 2024, la directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) fixe de nouvelles normes et obligations de reporting extra-financier. Objectif principal : mieux évaluer l’impact de l’activité des grandes entreprises et PME cotées en bourse sur l’environnement. Comment les entreprises peuvent-elles s’y prendre pour se confirmer à cette directive ? Quelles peuvent être les difficultés rencontrées ? Quel sera son impact en termes de compétitivité pour les entreprises européennes ? Éléments de réponse avec Kazem Tabrizi, Directeur Général et Fondateur de Tenzing Conseil, cabinet de conseil en stratégie opérationnelle.
Kazem Tabrizi : « L’adoption de la CSRD marque un tournant significatif pour les entreprises européennes »
Économie Matin : Depuis la directive européenne NFRD (Non financial reporting directive) de 2014, les entreprises cotées publient déjà des données extra-financières, notamment via la Déclaration de performance extra-financière (DPEF). Que change la mise en place de la CSRD, réputée plus exigeante ?
L'adoption de la CSRD marque un tournant significatif pour les entreprises européennes. Là où la Directive sur le reporting non financier (NFRD) s'appliquait à environ 11 000 entreprises, la CSRD étend ce périmètre à 50 000 entreprises. Ce changement n'est pas simplement quantitatif, mais également qualitatif. En effet, la CSRD introduit un champ d'application beaucoup plus vaste avec 1 200 points de données, 80 sous-sujets, et 12 standards européens de reporting de durabilité (ESRS). Cette exhaustivité est une avancée majeure par rapport à la NFRD, permettant une analyse plus fine et détaillée des performances durables des entreprises.
Une autre évolution clé de la CSRD est son invitation à une approche prospective et transformatrice. Plutôt que de se concentrer uniquement sur les réalisations passées, elle encourage les entreprises à établir une feuille de route pour le futur, intégrant ainsi des objectifs à long terme et une vision durable.
Le reporting devient également beaucoup plus normé. Les nomenclatures définies permettent une standardisation et une comparabilité accrues des rapports extra-financiers. En outre, la CSRD vise à placer le rapport extra-financier au même niveau de rigueur et de détail que le rapport financier traditionnel et les « lier » entre eux.
La mise en place de la CSRD représente donc un changement paradigmatique dans la manière dont les entreprises européennes doivent aborder leur responsabilité sociétale.
Économie Matin : Quels sont les principaux défis que les entreprises doivent surmonter pour se conformer à la directive CSRD, et comment votre cabinet aide-t-il à les surmonter ? Comment accompagnez-vous vos clients dans l'intégration des critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) dans leurs rapports de durabilité conformément à la CSRD ?
Avec François André et Benjamin Pasquiers, deux directeurs experts de la CRSD chez Tenzing, nous avons identifié 4 défis/enjeux à surmonter par les entreprises concernées pour se conformer efficacement.
Enjeu de Data
D’abord, un RENFORCEMENT des exigences de reporting. La CSRD impose d’être plus exigeant quant à la qualité du reporting (plus de données qualitatives et quantitatives, plus de précisions dans la nomenclature de restitution des informations, plus d’entreprises concernées). Un élément fondamental résidera dans le recours systématique à une assurance externe pour s’assurer de cette qualité de reporting.
Enjeu de Transformation
Au-delà, un changement de NATURE de l’exercice de reporting. La CSRD impose aux équipes de construire une trajectoire d’amélioration en exigeant une vision rétrospective et aussi une projection sur les engagements extra-financiers futurs de l’entreprise. Il y a « inversion de la charge de l’engagement » : il devient nécessaire de justifier l’absence de plan. La CSRD a ainsi vocation à être un accélérateur de transformation.
Enjeu d’organisation
La nécessité d’ADAPTER son organisation. Une mobilisation de ressources renforcée sera nécessaire pour s’adapter au niveau d’exigence et des modes de collaboration nouveaux seront nécessaires pour construire les trajectoires d’amélioration. Un « lien systématique » étant attendu avec le reporting financier pour la mesure des Impacts, Risques et Opportunités, les Directions Finance & RSE sont appelées à se rapprocher toujours plus.
Enjeu Business
La possibilité d’en faire une OPPORTUNITE. Le dialogue imposé avec les parties prenantes est une opportunité de mieux s’aligner avec elles pour anticiper leurs besoins. Comprendre les attentes de ses clients, de ses collaborateurs, de ses actionnaires ou de ses fournisseurs en termes d’impact extra-financier est l’occasion de prendre un temps d’avance et d’innover en termes de nouveaux modèles responsables.
Pour accompagner les entreprises à se mettre en conformité avec la CSRD, Tenzing a développé un outil innovant nommé MDM (Matrice de Double Matérialité). Cet outil offre plusieurs avantages:
Avantage 1 : Capacité de sollicitation des parties prenantes L'outil MDM permet de solliciter rapidement et efficacement un grand nombre de parties prenantes, en leur offrant une expérience utilisateur simple et fluide. Cela facilite la collecte des attentes, élément crucial pour la préparation du rapport de durabilité.
Avantage 2 : Traçabilité MDM offre une traçabilité complète, permettant de suivre quelles parties prenantes ont répondu et lesquelles ne l'ont pas fait. Cette fonctionnalité de suivi s'étend également dans le temps, offrant une visibilité continue sur l'engagement des parties prenantes.
Avantage 3 : Dynamisme et analyse approfondie L'outil est dynamique et permet de filtrer les données par sujets, sous-sujets et types de parties prenantes. Cela permet une analyse détaillée et précise des réponses. De plus, MDM permet de conserver un historique des matrices, permettant aux entreprises de comparer les analyses d'une période à l'autre et de suivre l'évolution des priorités et des perceptions des parties prenantes.
Avec MDM, les entreprises peuvent ainsi non seulement répondre aux exigences de la CSRD, mais aussi tirer parti de cette obligation pour améliorer leur stratégie RSE et renforcer leur position sur le marché. En analysant de manière dynamique les données collectées, les entreprises peuvent transformer les défis de la CSRD en opportunités de croissance et d'innovation.
Enfin, nous comprenons que l'accompagnement de nos clients ne se limite pas à la fourniture d'outils technologiques. Au-delà de notre outil MDM et de la démarche associée, nous portons une attention particulière au rapport de durabilité issu de l'analyse de la matrice de double matérialité et de tous les éléments de la CSRD. Il est crucial de lier ce rapport à la stratégie RSE et au plan stratégique global de l’entreprise de manière cohérente. Cette intégration devrait permettre de créer une trajectoire ESG (Environnementale, Sociale et de Gouvernance) en adéquation avec les enjeux business et les objectifs de l'entreprise.
Économie Matin : L'objectif de cette directive est, officiellement, « d'encourager le développement durable des entreprises et d'identifier celles qui sont disciplinées en la matière ». Comment ces « bonnes élèves » sont-elles récompensées ? Quels pourront être les bénéfices à long terme pour une entreprise qui se conforme pleinement à la directive CSRD ?
Les entreprises qui se conforment pleinement à la CSRD bénéficieront de plusieurs avantages significatifs à long terme :
Un des principaux avantages de la CSRD réside dans la comparabilité des entreprises. Les rapports de durabilité devront offrir des preuves tangibles de performances ESG positives pour renforcer la confiance et l'engagement des parties prenantes. Ce qui sera surtout vrai dans un premier temps pour la trajectoire Climat, en conformité avec les accords de Paris. Cette comparabilité permettra aux actionnaires, investisseurs et financeurs d'évaluer et de comparer les performances des différentes entreprises. Cela mènera à une sorte de sanction du marché où les mauvais élèves pourront être pénalisés, tandis que les bons élèves bénéficieront de conditions favorables et d’un soutien accru., renforçant leur position sur le marché.
Au delà de la trajectoire Climat, il est fort probable que d'autres critères de la CSRD seront également mis en avant à l'avenir. Cette extension permettra aux entreprises de démontrer leur engagement et leurs performances sur une gamme plus large de sujets ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance). À long terme, les entreprises conformes seront perçues positivement non seulement par les actionnaires, investisseurs et financeurs, mais aussi par d'autres parties prenantes telles que les collaborateurs, clients et partenaires.
Économie Matin : Pouvez-vous donner des exemples concrets de transformations opérationnelles déjà à l’œuvre chez vos clients en réponse à la mise en œuvre de la CSRD ?
Il est encore trop tôt pour observer des transformations opérationnelles profondes directement liées à la mise en œuvre de la CSRD, car la directive est seulement appliquée aux grandes entreprises depuis le 1er janvier 2024. Cependant, plusieurs entreprises engagées avaient déjà commencé à intégrer des pratiques responsables bien avant cette date, telles que les entreprises ayant déjà adopté le statut de sociétés à mission. Pour ces entreprises, la RSE est placée au cœur de leurs préoccupations stratégiques, ce qui les positionne favorablement pour répondre aux exigences de la CSRD.
On constate également que de nombreux dirigeants se forment activement à la RSE pour anticiper et préparer les transformations futures imposées par la CSRD. Par ailleurs, dans certaines organisations, la Direction RSE est dorénavant directement rattachée au CEO et les directeurs RSE deviennent ainsi membres du Comité de Direction. Cette évolution structurelle démontre un engagement fort et une volonté d'intégrer les enjeux ESG au plus haut niveau décisionnel.
Économie Matin : Comment évaluez-vous l'impact potentiel de la CSRD sur la compétitivité des entreprises européennes par rapport à leurs concurrents internationaux ?
Nous devons faire face à deux impacts contradictoires (ou choisir de voir le verre à moitié vide ou à moitié plein).
D'une part, la CSRD impose aux entreprises européennes de se conformer à des exigences de reporting de durabilité plus strictes, ce qui peut représenter une lourdeur administrative et financière supplémentaire en comparaison à leurs concurrents internationaux.
Mais d'autre part, la CSRD pourrait également renforcer la compétitivité des entreprises européennes en les incitant à adopter des pratiques de durabilité avancées. La directive encourage notamment l'intégration du Scope 3, ce qui pousse les entreprises à collaborer avec des sous-traitants et fournisseurs qui respectent également des normes élevées en matière de durabilité. À long terme, cette approche pourrait créer une chaîne d'approvisionnement plus résiliente et responsable, offrant aux entreprises européennes un avantage compétitif sur les marchés mondiaux. Les consommateurs, de plus en plus sensibles aux enjeux environnementaux et sociaux, pourraient aussi préférer en toute connaissance de cause des produits et services provenant de sources durables, favorisant ainsi les entreprises conformes à la CSRD.
L’ambition est finalement d’accélérer la transformation des entreprises européennes pour en faire les représentantes d’un modèle de capitalisme plus responsable. Et cette transformation nécessitera à court terme un véritable effort de structuration.