À rebours des clichés sur la pauvreté et la grisaille dans les anciennes républiques du bloc soviétique, il émerge au Kazakhstan une classe moyenne ultra éduquée et ultra connectée, plus proche de Paris et de Los Angeles que de Moscou ou Pékin. Une élévation du niveau où rapidité rime avec aussi avec inégalités.
SI Tim Cook visitait Astana ou Almaty demain, respectivement capitale politique et capitale économique du Kazakhstan, il aurait l’impression de ne pas avoir quitté Cupertino, en Californie, où se trouve le campus d’Apple.
Ici, l’iPhone est roi. Entre les mains de la concierge de l’hôtel, du serveur du restaurant, ou de l’interprète, c’est toujours, et même uniquement l’iPhone 14 Pro que l’on trouve, aisément reconnaissable grâce à ses trois objectifs cerclés de métal. Un appareil dont le prix démarre à 1500 dollars ! Dans une station-service de la périphérie d’Astana, c’est une Apple Watch que porte la caissière, non loin, là encore, d’un iPhone de dernière génération. Notre interprète n’est pas étonnée : sa montre Swarovski a pris la place aujourd’hui de .. son Apple Watch. Elle exhibe ses Airpods pro, chahutés par du maquillage Dior dans un sac de la même marque. « J’ai aussi des Louboutin à la maison ! » s’exclame-t-elle, fièrement. Quand on voit la couche de neige sur les trottoirs, on a du mal à l’imaginer déambuler en talons hauts mais c’est ainsi. Au Kazakhstan, l’apparence compte énormément : les signes extérieurs de richesse qu’incarnent les marques de luxe françaises ou high-tech américaines sont incontournables.
Au Kazakhstan, Apple, symbole de luxe, est roi
Dans les - très nombreux – centres commerciaux kazakhstanais, le high-tech déborde des étals, entre modèles originaux et contrefaçons plus vraies que nature. La Chine est toute proche, et nombreux sont les modèles « sortis d’usine » imitent parfaitement les produits de la marque à la pomme. Seul moyen de distinguer les deux, le prix évidemment. Ce qui n’empêche pas la classe moyenne kazakhstanaise d’acheter en masse des produits Apple, contrefaits ou non.
Car partout dans les deux grandes villes du pays, les icônes du luxe occidental sont omniprésentes. Pas une marque de parfum ou de vêtements ne manque à l’appel, toutes ont leur flagship. Mais elles sont aussi proposées à la vente officiellement ou officieusement dans d’autres boutiques, dans les longues et nombreuses rues commerçantes d’Almaty ainsi que dans les immenses galeries marchandes, à Astana, météo oblige.
Des restaurants à perte de vue à Astana et Almaty
Mélangés à ces très nombreuses boutiques, des restaurants à perte de vue : si l’on peut manger coréen chinois ou géorgien au Kazakhstan, on peut aussi diner allemand dans un weinstube, italien, comme à Rome ou à Venise, et bien sûr, manger et boire français un peu partout. Mireille Mathieu ou Lara Fabian sont de vraies stars locales. On diffuse leurs chansons, elles donnent des concerts.
À ce tableau du Kazakhstan des villes, occidentalisées, ajoutons le marché automobile, très surprenant. Dans ce pays qui compte 19 millions d’habitants, il s’est vendu 1,1 million d’automobiles sur 12 mois glissants. Dans le même temps, en France, pays qui compte 67,5 millions d’habitants et 41 millions d’automobiles il s’en est vendu… moins du double ! Résultat des courses, 99 % des voitures croisées en ville (dans des bouchons dignes des métropoles européennes) ou stationnées dans les grandes avenues sont neuves ou quasi. Japonaises et coréenness se taillent la part du lion (Toyota Land Cruiser en tête), laissant des miettes aux allemandes Audi, Mercedes et BMW pour l’essentiel. Parfois, au coin d’une rue, on tombe sur une Lada Niva, mais de toute beauté, à peine sortie d’une usine russe. Il faut vraiment bien chercher pour repérer une Lada jigouli (copie de la Fiat 124) dans le trafic, ou encore un mythique Boukhanka.
Le contraste avec le Kazakhstan rural est saisissant
Sitôt sorti des grandes villes et de leurs banlieues, le contraste est saisissant. C’est un tout autre pays qui s’offre alors à nos yeux. Le modèle occidental, omniprésent, est comme balayé. En réalité, il n’est jamais sorti de la ville et des aéroports qui les jouxtent ! Dans la steppe kazakhstanaise, c’est la planification soviétique qui prend le dessus. Fini les 4x3 et les publicités lumineuses tapageuses. Villes et villages sont bâtis sur le même modèle, immeubles d’habitations, bâtiments administratifs et écoles sont en tous points identiques. Pour le coup, les Lada ont la part belle, au milieu de 4x4 et berlines asiatiques nettement moins rutilants mais toujours vaillants. Qui n’ont rien à craindre, c’est important, de la qualité des chaussées. On cherche des trous sans les trouver. Et les chasse-neiges ne manquent pas.
En visitant les bureaux de votes ruraux du Kazakhstan, on est frappé par le rôle central joué par l’école et l’éducation en général dans le pays. Professeurs et directrices d’écoles sont fiers de la réussite de leurs anciens élèves, parfois partis à l’étranger, en Europe ou aux Etats-Unis, plus rarement, en Russie. On comprend surtout que l’école peut tout, et en particulier offrir un avenir brillant au petit écolier d’un village de 200 habitants, pourvu qu’il se donne la peine de bien travailler. Les slogans sur les murs (héritage soviétique) incitent au sport ou à l’apprentissage des mathématiques.
Le Kazakhstan en situation de plein emploi
Mais en discutant avec les habitants, on comprend aussi que dans ces contrées reculées, l’État peut tout, et l’État doit tout. Rien d’étonnant à ce que le taux de chômage soit inférieur à 5 % selon les statistiques de la Banque Mondiale, (et à 2,4 % pour le chômage de longue durée). Le Kazakhstan connaît en réalité une situation de quasi plein emploi.
Simplement, le pays est comme coupé en deux, avec deux pyramides sociales juxtaposées et non superposées. D’un côté, un Kazakhstan des villes, occidentalisé, profitant à plein des loyers bon marché, de l’énergie gratuite, et des emplois publics comme privés d’autant mieux rémunérés que les charges sont faibles, moitié moindres qu’en France. En ville, tout un chacun, même le serveur, est déjà allé en Europe, parfois plusieurs fois.
De l’autre, un Kazakhstan des campagnes, qui a beaucoup souffert de l’effondrement de l’Union Soviétique (le chômage a grimpé en flèche dans les années 90 pour atteindre près de 15% début 2000, avant de redescendre lentement). La manne pétrolière et gazière a permis au nouvel État de reprendre la main, en relançant les services -et les emplois – publics – pour leur faire atteindre leur optimum. Dans le même temps, les pensions servies permettent aux ruraux retraités de vivre sans se soucier de rien. Pendant que des millions, peut-être, des dizaines de millions de Français auront froid cet hiver, au Kazakhstan, Nadhedja, une veuve retraitée de 75 ans, enfournera deux pelletées de charbon dans son vieux poêle sans rechigner. La tonne lui coûte 20 €, le chauffage, pour tout l’hiver, 60… Et sa vieille maison l’abritera bien encore du vent froid de la steppe jusqu’à sa mort.