Le 12 septembre 2024, une nouvelle polémique secoue l’industrie des jeux vidéo. L’UFC-Que Choisir, en collaboration avec la CLCV (Confédération de la Consommation, du Logement et du Cadre de Vie), a déposé une plainte à l’échelle européenne contre sept éditeurs de jeux vidéo pour pratiques commerciales trompeuses liées à l’utilisation de monnaies virtuelles.
Jeux-vidéo : les monnaies virtuelles, une pratique commerciale trompeuse ?
Cette plainte, soutenue par 20 autres associations de consommateurs européennes, vise à protéger les joueurs, et notamment les plus jeunes, des mécanismes économiques cachés et opaques des jeux vidéo modernes. Les entreprises visées, telles que Epic Games, Electronic Arts, et Ubisoft, sont pointées du doigt pour avoir utilisé des stratégies marketing jugées trompeuses et abusives afin d’inciter les consommateurs à dépenser sans réellement comprendre le coût des objets qu’ils acquièrent.
Monnaies virtuelles : un mécanisme trompeur et délibéré
Dans les jeux vidéo modernes, les joueurs ne dépensent généralement pas directement des euros pour acheter des objets virtuels ou accéder à des fonctionnalités supplémentaires. Ils doivent d’abord convertir leur argent réel en une monnaie virtuelle spécifique au jeu, telle que les v-bucks dans Fortnite, les gemmes dans Clash of Clans, ou encore les crédits R6 dans Tom Clancy's Rainbow Six Siege. Ces monnaies servent ensuite à acheter divers objets ou options de personnalisation dans le jeu, mais elles ne sont pas converties de manière linéaire, ce qui complexifie la perception de la valeur réelle des dépenses effectuées.
Les éditeurs de jeux vidéo ont délibérément recours à ces monnaies pour masquer le véritable coût des achats effectués dans le jeu. Cette pratique empêche les consommateurs de savoir précisément combien ils dépensent en euros. Par exemple, dans Clash of Clans, un pack de 80 gemmes coûte 1,19 euros, tandis que 14 000 gemmes coûtent 119,99 euros, ce qui fait varier le prix pour 10 gemmes entre 9 centimes et 15 centimes selon le pack choisi. De plus, certains jeux imposent des achats en packs de monnaies virtuelles, obligeant les consommateurs à acheter plus de monnaie que nécessaire pour obtenir l’objet désiré. Cette pratique pousse souvent les joueurs à dépenser encore plus pour ne pas laisser des restes inutilisés, créant un cercle vicieux de dépenses supplémentaires.
Jeux-vidéo : une industrie lucrative qui cible les jeunes joueurs
La plainte souligne particulièrement la vulnérabilité des jeunes joueurs, qui représentent une part significative du marché des jeux vidéo. Selon un rapport du Bureau Européen des Unions de Consommateurs (BEUC), un Européen sur deux joue régulièrement aux jeux vidéo, avec des taux atteignant 84 % chez les 11-14 ans. Les jeunes sont d’autant plus susceptibles de se laisser piéger par le système des monnaies virtuelles, et ce, parfois à l'insu de leurs parents. D’après les estimations du BEUC, les enfants dépensent en moyenne 40 euros par mois en achats in-game. Ce chiffre est particulièrement alarmant, car il reflète non seulement l’ampleur du phénomène, mais aussi la capacité des éditeurs à manipuler ces jeunes consommateurs pour générer des profits.
Les éditeurs de jeux vidéo, comme Epic Games (Fortnite), Mojang Studios (Minecraft), Supercell (Clash of Clans), ou encore Electronic Arts (EA Sports FC 24), sont pleinement conscients de la vulnérabilité des jeunes joueurs et utilisent des techniques de marketing agressif pour les inciter à effectuer des achats récurrents. Agustin Reyna, directeur général du BEUC, déclare : « Les entreprises sont parfaitement conscientes de la vulnérabilité des enfants et utilisent des astuces pour inciter les jeunes consommateurs à dépenser davantage ». Ce système repose sur une logique psychologique bien rodée, où l’achat d'objets virtuels offre une satisfaction immédiate, tout en masquant les véritables coûts en euros, ce qui rend l’acte d'achat moins conscient et plus impulsif.
Monnaies virtuelles : une violation des lois européennes sur la protection des consommateurs ?
L’un des axes principaux de la plainte repose sur le fait que les éditeurs de jeux vidéo enfreignent les lois européennes sur la protection des consommateurs. Les associations de défense des consommateurs, comme l’UFC-Que Choisir en France, et leurs homologues en Europe, dénoncent le manque de transparence dans l'affichage des prix en euros des objets vendus dans les jeux. En n’indiquant pas clairement le prix en monnaie réelle, les éditeurs forcent les joueurs à faire des calculs complexes pour évaluer le coût réel de leurs achats, ce qui constitue une violation directe des droits des consommateurs selon la réglementation européenne.
La plainte exige donc que les éditeurs de jeux vidéo soient contraints d’afficher le prix des objets virtuels en monnaie réelle, c'est-à-dire en euros, de manière claire, lisible et non équivoque, comme le stipule la législation européenne en matière de commerce électronique. Cela permettrait aux consommateurs, notamment les parents de jeunes joueurs, de mieux comprendre et contrôler les dépenses dans les jeux vidéo. L’absence de cette transparence empêche les joueurs de prendre des décisions éclairées et favorise des comportements d'achat irresponsables, parfois même compulsifs.
L’impact financier des achats in-game dans les jeux-vidéo
L’enjeu économique derrière cette plainte est colossal. Selon les données du BEUC, les achats effectués à l’intérieur des jeux vidéo ont généré en 2020 plus de 50 milliards de dollars de revenus à l'échelle mondiale, soit environ 46 milliards d’euros. Ce modèle économique basé sur les microtransactions représente une part croissante des revenus des éditeurs de jeux vidéo, qui n’ont cessé d'augmenter ces dernières années. Ces achats in-game (ou microtransactions) concernent une vaste gamme d’objets virtuels, allant des améliorations de personnages et des armes aux cosmétiques et autres accessoires. Bien que ces objets soient souvent perçus comme non essentiels, ils sont conçus pour augmenter la satisfaction des joueurs et les inciter à prolonger leur expérience de jeu, créant ainsi une dépendance économique au jeu.
La demande de sanctions et de réglementation plus stricte
Face à ce constat accablant, les associations de consommateurs appellent la Commission européenne et les autorités nationales de protection des consommateurs, comme la DGCCRF en France, à intervenir rapidement pour mettre fin à ces pratiques. Elles réclament des sanctions à l’encontre des éditeurs de jeux vidéo qui continuent à violer la législation en matière de transparence des prix. Elles demandent également une réglementation plus stricte sur l'utilisation des monnaies virtuelles dans les jeux, allant jusqu'à proposer l'interdiction pure et simple de ces systèmes de paiement. Selon Jean-Yves Mano, président de la CLCV, « il est urgent que les autorités prennent conscience de l'ampleur du problème et agissent pour protéger les consommateurs, en particulier les plus jeunes, contre ces pratiques abusives ».
Les associations de consommateurs estiment que ces mesures sont nécessaires pour garantir un environnement de jeu plus sain et plus transparent, où les joueurs, quel que soit leur âge, peuvent effectuer des achats en toute connaissance de cause. La bataille engagée par l'UFC-Que Choisir pourrait bien constituer une nouvelle étape dans la régulation des pratiques commerciales des éditeurs de jeux vidéo, dans un secteur qui génère des milliards d’euros de revenus, mais qui reste encore largement sous-réglementé en matière de protection des consommateurs.