Les substances per- et polyfluoroalkylées, plus connues sous le nom de PFAS, sont utilisées dans de nombreux secteurs pour leurs propriétés hydrophobes et résistantes aux températures extrêmes. Mais depuis quelques années, ces molécules sont mises en cause pour leur persistance dans l’environnement et leurs effets potentiels sur la santé humaine.
Interdiction des PFAS : la France s’engage dans un bras de fer législatif

Les ONG et certains parlementaires ont fait pression, si bien que le gouvernement a finalement annoncé son soutien à une proposition de loi visant à interdire une partie de ces composés. Mais l’industrie, elle, s’inquiète.
Une loi ambitieuse pour réduire l’exposition aux PFAS
Le 17 février 2025, la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, a déclaré que l’interdiction des PFAS était une nécessité pour limiter l’exposition des citoyens à ces substances chimiques. Dans une interview accordée au Parisien, elle a affirmé que la France allait mettre en place une interdiction pour les cosmétiques, les textiles et les farts de ski dès 2026. Elle a insisté sur la nécessité de ne pas se laisser guider par "l’émotion ou la pression de certains acteurs économiques" et a justifié cette décision par la volonté d’aligner la réglementation sur les recommandations de l’Agence nationale de sécurité sanitaire.
Le contexte européen, où les PFAS sont de plus en plus surveillés, joue évidemment en faveur d’une réglementation. Plusieurs études ont mis en évidence les effets potentiels de ces substances sur la santé, notamment des risques accrus de cancers, de perturbations hormonales et d’affaiblissement du système immunitaire. Un rapport de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a révélé que certaines molécules de cette famille pouvaient s’accumuler dans les organismes vivants et contaminer durablement les sols et les ressources en eau. En France, la présence de PFAS dans l’eau potable a été dénoncée à plusieurs reprises par des associations environnementales telles que Générations futures, qui ont documenté des contaminations préoccupantes dans certaines régions.
Un parcours législatif semé d’embûches
Le texte porté par le député écologiste Nicolas Thierry avait déjà été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale en avril 2024, mais son examen avait été suspendu après la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron en 2024. Il a été réintroduit dans le cadre de la niche parlementaire des écologistes et sera soumis à un vote final le 20 février 2025. Si aucune modification n’est apportée au texte d’ici là, l’interdiction des PFAS dans les produits de consommation courante deviendra effective dès le 1ᵉʳ janvier 2026.
Le texte prévoit également une extension de l’interdiction à tous les textiles en 2030, à l’exception des textiles techniques destinés à des usages industriels et stratégiques. Objectif : éviter des perturbations dans des secteurs sensibles comme la défense, l’aéronautique et la santé. En parallèle, un site internet officiel sera lancé d’ici l’été 2025 pour informer la population sur la qualité de l’eau potable et la présence éventuelle de PFAS dans certaines zones.
Le texte ne prévoit cependant pas d’interdiction pour les ustensiles de cuisine, notamment les poêles antiadhésives en téflon (PTFE). Cette décision a été prise après des discussions entre le gouvernement et les industriels, qui ont souligné l’absence de preuves scientifiques solides sur la dangerosité des PFAS utilisés dans ces produits. Agnès Pannier-Runacher a justifié ce choix en expliquant que "les évaluations actuelles ne permettent pas de conclure à un risque immédiat pour la santé".
Interdiction des PFAS : un impact économique et industriel considérable
L’adoption de cette loi suscite de vives inquiétudes dans plusieurs secteurs économiques. L’industrie textile est l’une des plus affectées par ces nouvelles restrictions. En Auvergne-Rhône-Alpes, où se concentre une grande partie de la production textile française, les fabricants alertent sur les difficultés qu’ils rencontreront pour remplacer ces composés sans compromettre la durabilité et la résistance des matériaux. Olivier Balas, vice-président de la Fédération textile, s’inquiète dans Les Echos d’un possible effondrement de l’industrie locale face à la concurrence étrangère, qui ne sera pas soumise aux mêmes normes environnementales.
Dans le secteur automobile, les PFAS sont omniprésents dans les joints d’étanchéité, les câbles électriques et les revêtements anti-friction. Leur interdiction pose des défis en matière de sécurité et de performances. Les constructeurs rappellent que l’incident de la navette spatiale Challenger en 1986, causé par un joint défectueux, avait conduit à l’adoption massive de fluoroélastomères de type PFAS pour les pièces critiques soumises à des conditions extrêmes. Dans l’aéronautique et la pharmacie, ces substances jouent également un rôle fondamental, que les solutions de remplacement peinent encore à égaler en termes d’efficacité.
Pour répondre à ces préoccupations, le gouvernement a introduit une mesure fiscale afin d’inciter les industriels à investir dans des technologies alternatives. Une redevance de 100 euros par gramme de PFAS rejeté sera mise en place pour financer la dépollution des eaux. Selon les estimations du ministère de l’Environnement, 95 % des rejets de PFAS en France proviennent d’une poignée d’entreprises. Un investissement ciblé permettrait de réduire drastiquement ces rejets sans perturber l’ensemble du tissu industriel.
Un tournant politique et sociétal
Le soutien du gouvernement à cette interdiction est une prise de position forte. Jusqu’à présent, les PFAS étaient peu encadrés, malgré les alertes répétées des ONG et des chercheurs. Le revirement de l’exécutif traduit une volonté de répondre aux attentes d’une opinion publique de plus en plus préoccupée par les questions de santé et d’écologie. L’Union européenne suit de près l’évolution de ce dossier, et plusieurs États membres envisagent des réglementations similaires dans les années à venir.
Toutefois, cette interdiction ne fait pas l’unanimité au sein du Parlement. Certains élus dénoncent une approche précipitée, qui pourrait nuire à la compétitivité de l’industrie française sans garantir de bénéfices environnementaux tangibles. Le groupe SEB, leader des ustensiles de cuisine, a notamment réussi à faire retirer les poêles antiadhésives de la liste des produits concernés, arguant que leur interdiction aurait été "totalement disproportionnée" au regard des connaissances scientifiques actuelles.
À quelques jours du vote final, le débat reste vif entre partisans et opposants de cette loi. Si elle est adoptée, la France deviendra l’un des premiers pays européens à imposer des restrictions aussi strictes sur les PFAS. Avec tout ce que ça implique.