Yvonne Greenstreet : Innover contre l’injustice dans les services de santé

Pour Yvonne Greenstreet, PDG de Alnylam Pharmaceuticals, il est urgent d’innover contre l’injustice dans le domaine de la santé.

Yvonne Greenstreet
Par Yvonne Greenstreet Publié le 20 mai 2023 à 5h30
Inegalité Innovation Médicale Injustice
Yvonne Greenstreet : Innover contre l’injustice dans les services de santé - © Economie Matin
19 %En 2022, seuls 19 % de la population des pays à faible revenu était vaccinés, un indicateur de la disparité d'accès à la santé.

L'innovation dans le domaine médical a progressé de façon exponentielle au cours des cinquante dernières années. Mais malgré cela, la persistance d'inégalités dans le domaine de la santé limite les bénéfices potentiels des avancées scientifiques et technologiques à même de sauver des vies ou d'en améliorer d'autres.

Le débat sur l'allocation de vaccins et de thérapies durant la pandémie de COVID-19 est un exemple frappant de ces inégalités. En septembre 2022, le Directeur-Général de l'OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus a insisté une fois encore sur le fait que pour mettre un terme à la pandémie, il faudrait que l'accès aux vaccins soit équitable. À l'époque, seuls 19 % de la population des pays à faible revenu était vaccinés, contre 75 % dans les pays à fort revenu.

Malgré ce déséquilibre, les pays plus riches ont subi de plus lourdes pertes par habitant que les pays plus pauvres – un paradoxe qui met sur le devant de la scène la manière dont les inégalités existent à plusieurs niveaux. Aux États-Unis, par exemple, les données cumulées montrent que les gens de couleur ont subi des taux supérieurs d'infection et de mortalité à la COVID-19 que les Blancs. Cette disparité remonte aux déterminants sociaux de santé, ces facteurs non médicaux qui jouent un rôle essentiel dans les résultats cliniques. Subir la discrimination institutionnelle et structurelle, un niveau d'information de santé plus faible ou des barrières culturelles et de langue sont autant d'obstacles à une vie longue dans la jouissance du meilleur niveau de santé possible.

Réduire les inégalités par la recherche

Réduire les inégalités de santé et venir en aide aux populations défavorisées exige que les innovateurs se penchent sur ces problèmes. Il existe encore plusieurs maladies pour lesquelles des interventions thérapeutiques adaptées sont limitées ou tout simplement inexistantes. Ceci est particulièrement vrai pour les maladies génétiques rares, mais également pour des pathologies plus courantes : des obstacles qui empêchent les patients de se conformer à des régimes de traitements existants pour l'hypertension, par exemple, peuvent avoir un effet néfaste sur les résultats.

Le secteur de la biotechnologie doit assigner un financement suffisant à la recherche et au développement lié aux maladies qui frappent de façon disproportionnée certaines communautés ethniques spécifiques. Alors que nous disons souvent que les maladies communicables ne connaissent pas de frontières, les maladies génétiques et non communicables, malheureusement, font de la discrimination. En l'âge actuel de l'innovation médicale, les percées qui pourraient aider ces patients sont à notre portée.

Dans la même veine, nous devons repenser notre manière de mener des essais cliniques. Nous devons inclure des communautés diverses qui soient représentatives de l'état de la maladie. Les études devraient prendre en compte le statut socio-économique et le niveau d'assurance des participants et ces études devraient être conçues pour recruter des personnes des groupes sous-représentés. Le développement de matériaux de recrutement culturellement appropriés, la réduction des temps de trajet vers les sites d'essai, la réduction de la fréquence et du nombre d'évaluations, l'autorisation de visites de télémédecine le cas échéant, ainsi que l'introduction de méthodes créatives de ciblage, de collecte et de diffusion des informations sont autant d'avancées dans la bonne direction.

En outre, les organismes de régulation et les autorités en matière de santé peuvent mieux faire pour encourager une innovation qui aide à fournir des réponses aux problèmes sociétaux. Alors que les progrès se poursuivent dans les thérapies et les technologies géniques, l'opinion publique et les organisations privées doivent œuvrer de concert afin de s'assurer que ces avancées technologiques et les traitements qu'elles rendent possibles soient disponibles pour tous les patients qui en ont besoin. Des stratégies créatives de tarification et de remboursement pourraient permettre un accès équitable et durable pour les patients et pour les systèmes de santé. Par exemple, le Cadre de négociation en valeur, soutenu par mon entreprise, entend résoudre certains défis liés au remboursement en Europe. Ce Cadre jette les bases de négociations plus rapides entre payeurs et fabricants dans une perspective d'amélioration de l'accès du patient à des produits innovants.

Viser les entreprises citoyennes

Enfin, les entreprises de biotechnologie peuvent et doivent être des entreprises citoyennes. En d'autres termes : investir dans des organisations qui s'efforcent de résoudre les déterminants sociaux de la santé - les disparités prononcées entre termes de revenu, d'éducation, de transports, d'exposition à la violence, entre autres - et fournir un accès équitable aux diagnostics et aux thérapies. L'organisation mondiale à but non-lucratif Acumen, par exemple, utilise son modèle de capital patient pour investir dans des entreprises qui se concentrent sur la réponse aux besoins de consommateurs à faible revenu, allant des problèmes de logement à ceux d'énergies alternatives et d'accès à l'eau.

Merck avance dans sa tâche dévouée depuis une décennie à leur programme Merck for Mothers, qui entend promouvoir des soins de maternité sûrs et de haute qualité dans le monde entier. Sanofi Global Health, une unité à but non lucratif fondée en 2021, soutient également les communautés défavorisées en leur vendant des médicaments à des prix abordables dans 40 pays à faible revenu.

Le secteur de la biotechnologie doit continuer à étendre des programmes à vocation humanitaire et à collaborer avec des organisations à but non lucratif qui fournissent un accès à des traitements indispensables. Il existe suffisamment de programmes qui ont réussi dans ce secteur d'activité et qui peuvent nous permettre d'explorer de nouvelles perspectives et d'identifier les meilleures pratiques, comme les partenariats que Gilead a tissés avec des fabricants de médicaments génériques en vue de produire des médicaments de haute qualité à bas prix. Ou encore comme l'accord de Merck avec Medicines Patent Pool en vue de diversifier l'approvisionnement en médicaments prescrits sur ordonnance à destination des pays à revenu faible ou intermédiaire.

Nous devons approcher les inégalités en matière de sante avec la même passion, la même détermination et le même degré d'innovation que nous consacrons au développement des médicaments. Les écarts gigantesques actuels dans l'accès et les résultats sont d'autant plus injustes qu'ils sont évitables. Et comme nous l'avons vu durant la pandémie, chacun a son problème à résoudre. L'action collective visant à améliorer l'égalité en matière de santé, notamment en prenant en charge ses déterminants sociaux, peut augmenter la durée de vie et la qualité de vie de millions de gens. Voilà le but que toutes les entreprises de services de santé devraient s'efforcer d'accomplir.

Yvonne Greenstreet, PDG de Alnylam Pharmaceuticals.

© : Project Syndicate, 2023.

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