Science : de l’informatique à l’informatique quantique

Tandis que la course à l’élaboration d’une nouvelle génération d’ordinateurs gagne en intensité, les entreprises européennes explorent les opportunités révolutionnaires associées.

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Par Horizon Publié le 19 avril 2024 à 4h00
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5 MILLIONS $Google offre une récompense de 5 millions de dollars pour trouver des usages de l'informatique quantique.

Un jour prochain, les médicaments utilisés pour soigner un simple rhume ou une maladie complexe comme la maladie de Parkinson pourraient être le fruit d’une découverte faite au moyen d’ordinateurs quantiques.

Ces machines s'appuient sur les principes de la physique quantique pour surpasser les ordinateurs habituels les plus rapides. Elles devraient stimuler de façon importante le développement de nouveaux médicaments susceptibles d'apporter des améliorations majeures aux soins de santé. 

Nouvelle frontière

«L'informatique classique atteint ses limites dans de nombreux domaines, notamment dans celui de la recherche de médicaments», a déclaré le docteur Cyril Allouche, responsable de l'informatique quantique chez Eviden, une société française spécialisée dans le calcul avancé. «Nous espérons que l’informatique quantique nous permettra d’enfoncer cette barrière. Nous aurions ainsi de nouveaux médicaments et moins de maladies.»

Bienvenue dans la course mondiale à la prochaine génération d’ordinateurs. M. Allouche participe à cette quête en qualité de directeur d’un projet de recherche financé par l’UE dont le but est d’explorer le large éventail des utilisations possibles de l’informatique quantique.

Alors que de grandes entreprises américaines ont fait les gros titres pour avoir investi des milliards afin d’essayer d’être les premières à construire un ordinateur quantique grandeur nature, les entreprises et les scientifiques européens se sont montrés aussi déterminés tout en restant loin des projecteurs. 

Pour toutes les parties impliquées dans cette quête, décider d’investir ou non dans la recherche dès aujourd’hui pourrait faire la différence entre être un chef de file des technologies de pointe en matière de santé, d’énergie et de cybersécurité ou rester à la traîne.

Des zéros, des uns, etc.

Si les enjeux pour la société sont clairs, la nature même de l’informatique quantique l’est moins. 

Un ordinateur normal utilise un code binaire pour fonctionner et effectuer des calculs. Le code informatique actuel n’est fondamentalement rien d’autre qu’une grande quantité de zéros et de uns, l’ordinateur lisant soit le zéro, soit le un à un moment T.

Mais dans un ordinateur quantique, un phénomène particulier se produit: le zéro et le un se «superposent». Cela signifie que le système d'exploitation peut avoir les deux états en même temps.

C’est cette capacité à faire deux choses à la fois qui pourrait considérablement réduire le temps nécessaire aux ordinateurs pour procéder à certains calculs.

Mais pour l’instant personne n’en est arrivé à ce stade. Les ordinateurs quantiques existants sont des machines peu puissantes qui présentent peu d’avantages par rapport aux ordinateurs classiques. 

Quelles sont les applications envisageables?

«Pour l’instant, l'informatique quantique reste théorique», a déclaré M. Allouche.

Cet état de fait ne décourage pas les chercheurs pour autant.

Le projet de M. Allouche, financé par l'UE, s'intitule NEASQC, l’acronyme de Next Applications of Quantum Computing. Il a débuté en septembre 2020 et se poursuivra jusqu’à fin novembre 2024.

Le projet a réuni des universités de pays tels que l'Allemagne, l'Irlande et les Pays-Bas, ainsi que des entreprises comme le groupe pharmaceutique suédois AstraZeneca, le service public Électricité de France, la société lettone de technologie linguistique Tilde et la banque HSBC, basée au Royaume-Uni.

«Il est temps que l'industrie s'y intéresse», a déclaré M. Allouche. «Ce serait une très mauvaise idée d’attendre que la technologie mûrisse pour développer des applications. Nous devons étudier les cas d’utilisation dès maintenant.»

NEASQC étudie neuf cas d'utilisation. Les candidatures potentielles restent confidentielles pour des raisons de concurrence.

Test sur émulateur

D’après M. Allouche, les chercheurs peuvent déjà tester si une technologie qui n’est pas encore totalement opérationnelle, comme l’informatique quantique, pourrait être plus performante dans certains scénarios qu’une technologie déjà utilisée.

Pour cela, le projet utilise un émulateur. Il s’agit d’un ordinateur ordinaire configuré de manière à simuler un ordinateur quantique, mais sans en avoir la puissance. 

«Vous essayez de déduire certaines propriétés à partir de la théorie», a déclaré M. Allouche. «Ici, nous simulons ce à quoi ressemblerait un ordinateur quantique.»

Grâce à ces simulations, les chercheurs peuvent déterminer si l'informatique quantique est capable de réaliser des progrès dans des domaines tels que la recherche de combinaisons de molécules permettant d’élaborer de nouveaux médicaments ou l'amélioration du rendement des panneaux solaires. 

Les ordinateurs quantiques ne surpasseront pas les ordinateurs classiques pour toutes les applications. Un des objectifs clés de la recherche est donc de trouver les applications dans lesquelles les ordinateurs quantiques excelleraient.

«Nous devons déterminer où se situe la limite de l'informatique classique et où l'informatique quantique pourrait être la solution», a déclaré M. Allouche.

Mieux ensemble

Un deuxième projet de recherche financé par l'UE étudie une autre manière de promouvoir les technologies quantiques en Europe. Plutôt que de financer des recherches en cours, le projet fédère des initiatives variées sur tout le continent. 

Intitulée QUCATS, cette initiative de trois ans durera jusqu'à fin avril 2025. Elle est dirigée par le professeur Philippe Grangier, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

«En Europe, aucune grande entreprise ne concentre ses recherches sur l'informatique quantique», a déclaré M. Grangier. «La recherche européenne est très dispersée. Nous voulons concentrer les efforts.»

Le projet QUCATS assume certaines des fonctions de coordination qu’assurent les grandes entreprises technologiques américaines.

Il procède de différentes façons. Il rédige des documents stratégiques sur l’orientation que doit prendre la recherche quantique, notamment une nouvelle feuille de route qui permettrait de faire de l’Europe une sorte de «Quantum Valley» à l’échelle internationale. Le projet aide les chercheurs à déposer des brevets. Il coordonne la recherche au-delà des frontières. Il a même un rôle d’information auprès du public.

QUCATS compte parmi ses partenaires l’European Quantum Industry Corsortium (QuIC), qui réunit des entreprises privées qui espèrent tirer un jour avantage de l'informatique quantique. 

Le docteur Thierry Botter, directeur exécutif de QuIC, est du même avis que M. Allouche : il n'est jamais trop tôt pour s’intéresser à ces questions.

«L’informatique quantique est encore jeune», a-t-il déclaré. «Pourtant, les entreprises doivent comprendre l’impact que l’informatique quantique peut avoir aujourd’hui sur leur activité. Les premières à s’y être intéressées en tirent déjà avantage. Celles qui s’y mettront tardivement auront du mal à rattraper leur retard.»

Il a déclaré que les entreprises européennes étudient déjà ce que l’informatique quantique peut leur apporter. 

Opportunités et risques

Le constructeur d'avions Airbus, par exemple, souhaite étudier si l'informatique quantique peut l’aider à concevoir des avions plus performants et à modéliser le flux d'air et l'efficacité énergétique.

En matière de recherche quantique, parmi les domaines urgents figure aussi la cryptographie. 

Aujourd’hui, une grande partie des communications et des données en ligne sont chiffrées au moyen d’énigmes mathématiques. Il est impossible de les résoudre en pratique avec les ordinateurs actuels si l’on ne connaît pas les clés de chiffrement.

Les ordinateurs quantiques, eux, seront capables de résoudre ces énigmes sans clés. Lorsque les ordinateurs quantiques seront opérationnels, les communications en ligne pourraient devenir vulnérables.

M. Grangier a déclaré que les entreprises européennes s'efforcent de faire le nécessaire pour éviter que ce problème se produise. À titre d’exemple, LuxQuanta, le fournisseur espagnol d’équipements de télécommunications, ainsi que d’autres acteurs, ont trouvé des moyens de perfectionner et de déployer un type de «chiffrement quantique» qui pourrait empêcher la généralisation des atteintes à la vie privée.

Et sur le plan financier?

Il est trop tôt pour dire si l’Europe fera la course en tête dans le domaine de l’informatique quantique, en partie à cause des investissements nécessaires. 

«L'Europe possède un environnement de recherche très solide dans le domaine quantique, puisqu’il a vu naître de nombreuses startups», a déclaré M. Botter. «Mais il y a encore des manques. Notamment en termes de financement.»

Une étude réalisée en 2022 par la Banque européenne d'investissement a révélé que, même si l'Europe compte à peu près le même nombre d’entreprises quantiques que les États-Unis, les entreprises américaines reçoivent dix fois plus de financements qu’elles en raison du manque d’investissements privés sur le continent européen. 

M. Botter a déclaré que l'UE et ses États membres doivent agir de toute urgence pour mettre davantage de capitaux à la disposition des entreprises européennes dans ce domaine. 

«Il pourrait se passer beaucoup de choses dans les dix prochaines années», a-t-il déclaré. «Les startups d’aujourd’hui pourraient devenir les grandes entreprises de demain. Il y a cinquante ans, une collaboration européenne a donné naissance à Airbus, qui est aujourd’hui un leader de l’aérospatiale. Je rêve d’un Airbus du monde quantique.»

Les recherches présentées dans le cadre de cet article ont été financées par le biais du programme Horizon de l’UE. Les opinions des personnes interrogées ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission européenne.

LA SCIENCE DES QUBITS

Un ordinateur quantique ne manipule pas les bits binaires de l’informatique classique mais des bits quantiques, ou qubits. Les qubits présentent des propriétés supplémentaires qui résultent de deux phénomènes de mécanique quantique: la superposition et l’intrication.

Un qubit peut représenter des combinaisons de zéros et de uns en même temps: c’est ce qu’on appelle la superposition. Deux qubits peuvent également être intriqués, de telle sorte que toute action sur l'un affecte instantanément l'état de l'autre, même s'ils sont physiquement séparés. Ceci engendre des corrélations entre les qubits.

Ces caractéristiques quantiques peuvent être contrôlées par les scientifiques et pourraient considérablement réduire le temps nécessaire aux ordinateurs pour effectuer certains calculs.

Plus d’infos

Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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