Depuis maintenant plusieurs mois, la situation semble globalement bien engagée aux Etats-Unis concernant la lutte contre l’inflation. Après avoir atteint un point haut à 9.1%, l’inflation a en effet entamé son recul depuis pour atteindre 5% à fin mars. Une analyse plus détaillée est cependant nécessaire pour comprendre quels sont les ressorts actuels de l’inflation et les risques à venir.
Inflation aux USA : et si la surprise venait des biens ?
Sur le front de l’énergie, il y a peu de débat : si les prix de l’énergie restent autour des niveaux actuels, le pire est derrière nous. Le prix du gaz a retrouvé ses niveaux d’avant invasion de l’Ukraine et est même revenu sur des niveaux historiquement bas. Le prix du baril de pétrole reste lui significativement plus élevé qu’en 2020 ou 2021, mais là aussi assez loin des points hauts du mois de juin 2022. La décision surprise de l’OPEP+[1] de baisser sa production de plus d’un million de barils par jour à partir de début mai fait peser un risque de possible remontée des prix mais un certain nombre de facteurs devrait selon nous atténuer ce risque : faiblesse de la croissance mondiale, production russe très résiliente ou encore recours à l’utilisation des réserves stratégiques américaines. In fine, l’inflation (ou déflation dans le cas ici présent) de la composante énergétique américaine, aujourd’hui à -6.4% (contre 41.6% en juin), ne nous semble pas être un risque important même si petit à petit, les effets de base négatifs vont s’estomper ; à prix constant nous anticipons une inflation de la composante énergétique à nouveau positive autour de la fin d’année 2023.
L’inflation de la composante nourriture devrait de son côté poursuivre sa baisse lente et graduelle, elle qui est passée de 11.4% en août à 8.5% en mars. Les prix de la nourriture sont historiquement très liés à l’évolution des prix du gaz et des engrais et comme ceux-ci ont déjà fortement baissé, il nous semble très probable que l’inflation alimentaire poursuive sa baisse.
L’inflation des services est beaucoup plus problématique et logiquement ciblée par Jerome Powell, président de la Réserve fédérale (Fed), comme étant le principal problème actuel. La dynamique récente montre en effet une inflation des services qui reste proche de ses plus hauts à 7.1% en mars, principalement du fait de la composante immobilière en générale et de la composante « OER » (Owners’ Equivalent Rent) en particulier. Cette composante bouge cependant historiquement très lentement, et il est probable que cela prenne encore de nombreux mois avant de la voir baisser de manière franche ; les membres de la Fed ont d’ailleurs communiqué assez largement sur le fait qu’ils analysent l’inflation sans prendre en compte cette composante « OER » du fait de ce décalage. Au-delà de la problématique immobilière, d’autres éléments sont à surveiller comme le secteur des transports qui montre encore trop d’inflation (billets d’avion en particulier) mais ces risques devraient selon nous diminuer graduellement quand les pressions salariales s’estomperont. Sur ce point, crucial, le futur nous semble être à des revendications moindres pour plusieurs raisons :
Le pouvoir d’achat des ménages a cessé de reculer
Des anticipations d’inflation en baisse
Des intentions d’embauche qui baissent depuis plusieurs mois dans les principales enquêtes américaines. (Voir graphique en pièce jointe)
L’inflation sur les biens ne pose elle a priori pas de soucis particuliers avec des variations de prix sur 12 mois de 1.5%. Après une hausse massive des prix liée à la rupture de différentes chaines d’approvisionnement (Covid, Ukraine), le rétablissement de ces dernières a donné lieu à des évolutions de prix beaucoup plus modérées. Pourtant, nous arrivons à la fin des effets de bases négatifs (un peu comme sur le marché du pétrole) ce qui entrainera au cours des prochains mois un chemin d’inflation des biens plus problématique pour la Fed. Le marché des voitures est particulièrement à surveiller pour plusieurs raisons :
Les prix des voitures neuves continuent de progresser à un rythme soutenu de 6.1% sur 12 mois glissants (à fin mars 2023). Plusieurs explications à cela : transition écologique vers des véhicules électriques plus onéreux, déductions fiscales liées à l’achat de ces véhicules, problèmes d’inventaires persistants sur certains modèles, etc… Si on ajoute à cela un excès d’épargne encore présent (a priori jusqu’en fin d’année) et donc une demande encore suffisante, les prix restent tirés vers le haut. Ils divergent d’ailleurs des prix à la production depuis maintenant plusieurs mois, signe d’une certaine tension sur ce marché.
Le corolaire du prix des voitures neuves en hausse importante (presque +50% depuis la période pré-Covid) est le prix des voitures d’occasion qui remonte à nouveau. Voitures neuves inabordables pour beaucoup, inventaires de voitures d’occasion en baisse : il est logique de voir les prix de ces dernières remonter, ce qui va se faire sentir dans les mois qui viennent dans les chiffres d’inflation.
Cela peut sembler anecdotique, pourtant les voitures représentent 7.6% du panier d’inflation, ce qui est loin d’être neutre.
Le futur de l’inflation américaine devrait donc voir se confronter d’un côté des effets désinflationnistes sur les services et la nourriture et d’un autre côté des effets plus inflationnistes sur les matières premières énergétiques et les biens. L’inflation des biens pourrait donc être la variable à surveiller durant le 2ème semestre même si aujourd’hui tous les yeux sont tournés vers les services.
Sources données : Bureau of Labor Statistics
[1] « OPEP+ » comprend l’organisation des pays exportateurs de pétrole et dix pays, parmi les plus grands producteurs de pétrole, non membres de l’OPEP.