Inflation : trop ou trop peu ?

A en croire les banquiers centraux occidentaux, l’inflation est en bonne voie de converger vers 2%. C’est pourquoi la Réserve fédérale américaine (Fed) s’est estimée en mesure d’abaisser son taux directeur de 50 points de base le 18 septembre – un mouvement d’une ampleur rare hors récession. La Banque Centrale Européenne (BCE) a fait de même en deux étapes, et se prépare à continuer.

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Par Alexis Bienvenu Publié le 5 novembre 2024 à 5h30
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2%La BCE comme la FED ont pour objectif une inflation de 2%

Pourtant, les anticipations d’inflation ont récemment remonté, du moins aux Etats-Unis. Le niveau attendu à un an outre-Atlantique, tel qu’il est reflété par le contrat à terme appelé ‘’swap d’inflation à 1 an – zéro coupon’’ est ainsi passé de 1,70% le 6 septembre dernier à 2,3% le 25 octobre. Conséquence logique : les taux longs américains se sont nettement tendus, passant de 3,6% le 16 septembre à 4,2% le 25 octobre. Ils se situent toujours à un niveau supérieur à celui du début de l’année, alors que l’inflation est supposée vaincue.

En Europe à l’inverse, les anticipations ont peu évolué. Tout aussi logiquement, les taux longs se sont montrés stables sur la même période, ne passant que de 2,1 à 2,3%. Et l’euro perdu 2,8% contre le dollar, reflétant l’écart de taux croissant entre les deux zones.

Si ces évolutions ne sont pas alarmantes par elles-mêmes, elles témoignent cependant de dynamiques en partie préoccupantes. En premier lieu, même si rien n’est joué, elles reflètent les anticipations croissantes d’une victoire de Trump de la part du marché, en lien avec l’évolution des sondages dans les quelques Etats clés qui feront la différence lors de l’élection présidentielle. La politique de Trump est jugée inflationniste, et a priori défavorable aux exportateurs européens, pour plusieurs raisons : taxes douanières sur l’importation de produits venus non seulement de Chine, mais du reste du monde également ; politique budgétaire ultra-expansionniste, non soutenable, donc facteur d’instabilité financière globale ; et une politique migratoire nettement plus stricte, qui pourrait aboutir à l’expulsion de millions de travailleurs immigrants. Leur expulsion, ou tout au moins le tarissement du flux entrant, aurait certes pour effet direct de soutenir le salaire horaire des travailleurs les moins qualifiés par la diminution du nombre de bras disponibles. Un effet positif pour les travailleurs restant. Mais par cet effet même, elle pourrait contribuer dans un second temps à soutenir l’inflation globale, donc les taux d’intérêt – ce qui in fine pourrait s’avérer nettement moins favorable à cette catégorie de travailleurs. Cet impact des politiques migratoires sur l’économie illustre en creux le bénéfice tiré de l’immigration massive pratiquée par les Etats-Unis depuis 2021. Selon le Congressional Budget Office, un organisme trans-partisan, la vague d’immigration a en effet contribué à significativement stimuler le PIB américain, tout en modérant l’inflation salariale – donc l’inflation globale[1]. La remettre brutalement en question pourrait ralentir l’expansion de la première économie mondiale, et retarder la convergence de l’inflation vers le niveau désiré.

En second lieu, l’évolution récente des taux illustre le marasme économique européen. Alors que les Etats-Unis ont surpris cette année par leur vigueur, malgré des doutes passagers au mois d’août, l’Europe s’est distinguée par son atonie et par la baisse étonnamment rapide de son inflation. Au point que certains responsables de la politique monétaire de la BCE envisageraient la nécessité d’adopter à nouveau une politique expansionniste, où les taux directeurs repasseraient typiquement sous les 2%[2]. Le spectre d’une inflation déprimée, typique des années 2010, revient hanter les nuits des banquiers centraux européens.

Le monde riche se fracture ainsi davantage : côté américain, le retour d’une inflation légèrement excédentaire est redouté – ou parfois espéré comme le moyen d’éponger la dette publique impressionnante – ; côté européen, l’inflation pourrait s’avérer famélique – ce qui n’aidera pas à dominer l’endettement public. Trop ou trop peu : le monde économique exhibe excès et fractures. Et pourtant, il tourne.

[1] Effects of the Immigration Surge on the Federal Budget and the Economy, juillet 2024
[2] Reuters, 24.10.2024

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Alexis est diplômé de l’Ecole Normale Supérieure de Lyon (ex-Fontenay-Saint Cloud), agrégé et docteur en philosophie, titulaire d’une thèse en philosophie des probabilités. En 2006, il devient sélectionneur de fonds et multi-gérant dans le groupe Primonial. En 2018 Alexis a rejoint La Financière de l’Echiquier, où il gère des fonds & mandats d'allocation. En 2021, il devient titulaire du Certificate in ESG Investing délivré par le CFA.

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