L’inflation pousse de plus en plus de Français à se priver de repas et à privilégier les aliments peu chers, mais mauvais pour leur santé. Une tendance inquiétante, encore renforcée par les aberrations du Nutriscore, qui induit une forme de confusion dans l’esprit des consommateurs. Résultat, le diabète et l’obésité atteignent des niveaux records.
Inflation : Obésité 1 – Etat 0
« La viande et le poisson, c'est fini : les prix sont trop hauts la plupart du temps, même chez Aldi ou Lidl, là où je fais mes courses maintenant ». Comme cette étudiante en commerce international témoignant dans les colonnes du Parisien, de plus en plus de Français éprouvent, inflation oblige, les plus grandes difficultés à joindre les deux bouts. Au point de se résigner, pour les plus précaires d'entre eux, à faire une croix sur certains repas. Un sacrifice révélé par une récente étude menée par l'institut Ifop, selon laquelle plus de quatre Français sur dix (42%), gagnant le Smic ou moins, affirmeraient avoir été contraints de supprimer un repas par jour.
Toujours à cause de l'inflation galopante, qui a atteint, sur les produits alimentaires, près de +16% sur un an en mars, plus d'un Français modeste sur deux (53%) reconnaît avoir réduit les portions consommées, selon la même étude. Une privation subie qui n'épargne aucune catégorie de population précaire, touchant aussi bien les étudiants que les retraités, les familles que les célibataires. Et, si les plus pauvres des Français réduisent les quantités, ils sacrifient aussi la qualité de ce qu'ils mangent : d'après l'Ipsos, 52% des personnes interrogées admettraient qu'elles achètent moins de fruits et de légumes qu'avant, et 57% des Français déclareraient manger moins de viande qu'il y a quelques années.
Les Français encouragés à choisir la malbouffe ?
Contraints par la hausse spectaculaire des prix des denrées alimentaires, ces « choix » ne sont, évidemment, pas faits de gaité de cœur par les premiers concernés. Ainsi, deux sondés sur trois avouent leur crainte que ces changements d'habitudes alimentaires aient un impact délétère sur leur propre santé à long terme. Mais l'inflation, pour déterminante qu'elle soit, n'est pas la seule responsable de ce dérèglement des habitudes liées à l'alimentation. Effarouchés par les prix, les Français sont également confrontés aux aberrations des systèmes d'étiquetage alimentaire, au premier rang desquels le Nutriscore. En place depuis 2017, le label choisi par la France ne met, en effet, l'accent que sur la seule valeur nutritionnelle pour 100 grammes de portion, en se contentant donc de présenter autrement des données qui figuraient d'ores et déjà sur tous les emballages alimentaires avant son introduction.
Les conséquences paradoxales de ce défaut originel de l'algorithme du Nutriscore sont désormais bien connues. Les Coca Zero, burgers de McDonald's et autres tenders de poulet frits de KFC peuvent, moyennant quelques ajustements dans leur recette, fièrement afficher un Nutriscore B ou C sur leurs emballages. Une note aussi avantageuse que trompeuse, qui fait abstraction de l'origine et du degré de transformation des produits concernés, ainsi que de la présence d'additifs ou de colorants, et qui laisse à penser que ces produits industriels et ultra-transformés sont bons pour la santé. Autrement dit, comment reprocher à des Français déjà exsangues financièrement de ne pas choisir des aliments sains si ceux-ci sont, d'une part, hors de prix et, de l'autre, mal identifiés par un système d'étiquetage alimentaire dont l'objectif premier était, pourtant, d'aider les consommateurs à se diriger vers une alimentation plus saine et variée ?
Le Nutriscore inefficace contre l'obésité et le diabète
Présenté lors de son lancement comme le fer de lance de la lutte contre le diabète et l'obésité, le Nutriscore est, de fait, loin d'avoir atteint les objectifs escomptés. Pire encore : non seulement l'introduction du label alimentaire n'a en rien enrayé ces deux phénomènes, mais ceux-ci sont, depuis plusieurs années, en augmentation constante et continue. Ainsi, en 2020, « le diabète a continué sa progression avec quasiment le même niveau de croissance que les années précédentes », d'après Santé Publique France, qui estime que plus de 3,5 millions de personnes sont traitées pour un diabète dans le pays, soit plus de 5% de la population totale. Par ailleurs, l'augmentation de la prévalence du diabète est particulièrement inquiétante chez les enfants, avec une hausse d'environ 4% par an ; or les enfants sont les cibles prioritaires des chaînes de fast food et des stratégies marketing agressives des industriels de la malbouffe. Le Nutriscore s'est donc révélé inefficace pour juguler cette tendance.
Quant à l'obésité, elle continue elle aussi sa progression en dépit de la généralisation du Nutriscore. Aujourd'hui, près d'un Français sur deux (47,3%) serait en situation de surpoids ou d'obésité, d'après les derniers chiffres de l'Inserm. Et le Nutriscore n'y peut manifestement rien : autour de 8% en 1997 et de 15% en 2021, la prévalence de l'obésité a atteint, en 2020, 17% de la population française. Ce qui fait dire aux chercheurs de l'Inserm Annick Fontbonne et David Nocca que « force donc est de constater qu’au contraire des espérances tant des pouvoirs publics que des professionnels de santé, depuis la mise en œuvre du Programme national nutrition santé en 2001, l’obésité en France ne fait que s’accroître, année après année ». Un aveu d'échec qui sonne, à l'heure où les Français sont étranglés par l'inflation, comme un ultime avertissement : si rien n'est fait rapidement, l'épidémie de surpoids pourrait bientôt devenir incontrôlable.