Michael R. Strain – Pourquoi la politique industrielle échoue

Michael R. Strain est directeur des recherches en politique économique à l’American Enterprise Institute ; il est l’auteur, pour son ouvrage le plus récent de The American Dream Is Not Dead: (But Populism Could Kill It) (Templeton Press, 2020, non traduit).

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Par Michael Strain Publié le 28 août 2023 à 5h00
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Michael R. Strain – Pourquoi la politique industrielle échoue - © Economie Matin
12%les startups industrielles représentent aujourd’hui 12 % de l’ensemble des startups en France

On ne parle aujourd’hui que de politique industrielle. Aux États-Unis, le président Joe Biden a signé des lois qui débloquent des milliards de dollars en mesures incitatives et en financements pour les énergies propres et la fabrication de semi-conducteurs sur le territoire national. De même, Donald Trump avait lancé contre la Chine une guerre commerciale au nom de la sauvegarde de l’industrie américaine. Les élus démocrates et républicains de base, les uns comme les autres, approuvent cette entorse à l’économie de marché en faveur de la planification par l’État.

Mais la politique industrielle fonctionne toujours mieux en théorie qu’en pratique. Les impédimentas du monde réel vont probablement freiner les efforts déployés par la puissance publique pour revitaliser le secteur manufacturier et donner un coup de pouce à l’emploi dans l’industrie manufacturière.

Les mesures actuelles prises aux États-Unis en faveur de la politique industrielle soulèvent les mêmes vieilles questions. Pourquoi devrions-nous attendre de l’État qu’il sache mieux que le marché désigner les perdants et les gagnants ou allouer les rares ressources. S’il intervient sur les marchés, comment évitera-t-il le dévoiement des missions assignées, le népotisme et la corruption ?

Dans le monde réel, les planificateurs manquent tout simplement des moyens de vérifier la mise en œuvre de leur politique industrielle pour assurer son succès. Biden peut subventionner d’un trait de plume l’industrie du semi-conducteur, mais il ne peut pas créer par magie des employés qualifiés pour fournir les effectifs d’une usine de fabrication de puces électroniques. Deloitte estime que l’industrie américaine du semi-conducteur sera confrontée à une pénurie de main-d’œuvre au cours des prochaines années et peinera à pourvoir 90 000 postes. Ce mois-ci, la Taiwan Semiconductor Manufacturing Company annonçait qu’elle devait retarder la production dans son usine de l’Arizona, en raison d’un manque de main-d’œuvre qualifiée et expérimentée.

Les responsables politiques américains ne peuvent non plus empêcher les autres pays de prendre des mesures de rétorsion et d’intervenir en faveur de leurs propres industries. Considérons l’augmentation des droits de douane par l’administration Trump. Wilbur Ross, alors secrétaire au Commerce, les justifiait par une concentration des bénéfices et une dilution des coûts. Si les Américains devaient payer 0,6 cents de plus pour une boîte de soupe, affirmait-il, le pays n’en profiterait pas moins d’un coup de pouce à l’emploi manufacturier.

Une affirmation qui tenait pour acquis que les autres pays ne prendraient aucune mesure de rétorsion. Mais Aaron Flaaen et Justin Pierce, tous deux économistes pour la Réserve fédérale ont démontré que les pertes d’emplois du secteur manufacturier occasionnées par la riposte des autres pays étaient plus importantes que les gains obtenus grâce aux mesures de protections appliquées aux importations. Et dans la mesure où les droits de douane augmentaient le coût des biens intermédiaires consommés par les entreprises américaines, Flaaen et Pierce concluaient que le passage d’une industrie relativement peu sensible aux droits de douane à une industrie qui l’était relativement plus pouvait être associé à une perte de 2,7 % des emplois dans le secteur manufacturier.

La loi de réduction de l’inflation (IRA) promulguée par Biden a débloqué 370 milliards de dollars en crédits d’impôts et autres mesures incitatives pour les projets de production d’énergie propre aux États-Unis. Ces aides mettent artificiellement en difficulté les alliés des États-Unis dans des industries comme la fabrication de batteries et de véhicules électriques. Sans surprise, la Corée du Sud et l’Union européenne ont elles aussi répliqué par des subventions. Le président français, Emmanuel Macron, a mis en garde : l’IRA pourrait « fragmenter l’Occident ».

Rien de tout cela n’est de bon augure. Les mesures de représailles dans l’industrie faussent les prix relatifs et réduisent l’efficience économique en faisant passer les intérêts politiques à court terme devant les avantages comparatifs. À mesure que de nouveaux pays adoptent des mesures d’aide, l’impact de ces aides diminue. La politique industrielle brûle inutilement l’argent du contribuable.   

Autre raison de l’échec des politiques industrielles : les responsables politiques ne peuvent résister à la tentation d’utiliser des fonds publics en faveur d’objectifs n’ayant rien à voir avec la politique industrielle. Ainsi, en février, l’administration Biden a-t-elle exigé des sociétés qui recevaient des subventions fédérales pour la fabrication de semi-conducteurs qu’elles fournissent à leurs employés des services abordables de garde d’enfants. Que se passe-t-il si l’on manque de main-d’œuvre pour faire fonctionner des crèches à proximité des usines de puces électroniques ? Ce type de clause réduit l’efficacité des subventions.

En outre, les sociétés qui partagent les mêmes vues que l’administration sur les questions de politique sociale pourraient retirer un avantage politique et devenir inexpugnables, ce qui réduirait la concurrence sur le marché, découragerait de nouveaux entrants et ruinerait le dynamisme économique. Les objectifs de politique sociale ne sont que trop souvent en conflit avec les objectifs industriels. L’administration Biden souhaite soutenir les syndicats, mais elle souhaite aussi hâter la transition verte. Ce qui n'empêche pas les United Auto Workers de présenter dans les négociations des revendications agressives aux constructeurs, alors même que leurs entreprises sont confrontées à l’augmentation des coûts induite par le basculement vers la production de véhicules électriques. Si les employés décident le mois prochain d’une grève, cela handicapera un peu plus l’industrie américaine.

Cela ne signifie pas qu’on ne devrait jamais recourir à la politique industrielle. l’opération Warp Speed (qui a accéléré le développement et la mise en place des vaccins contre le Covid-19) et la Defense Advanced Research Project Agency (ARPA) sont deux bons exemples de réussite de la puissance publique lorsqu’elle oriente une industrie précise vers des objectifs précis. « Précis », c’est l’adjectif qui compte ici. Redonner sans plus de précisions son ancien lustre au secteur manufacturier (avec une attention particulière donnée aux États clés pour les élections de 2024) constitue un objectif beaucoup trop vague, trop vaste et trop ambitieux – d’autant plus qu’il se combine à la lutte contre les changements climatiques, à la réalisation d’objectifs sociaux progressistes et à la défense de la sécurité nationale.

Quelle politique devraient alors mener les États-Unis ? Il faudrait tout d’abord, pour défendre notre sécurité nationale, identifier un ensemble restreint de biens précis qui exigent véritablement un contrôle des exportations et des investissements. Deuxièmement, il faudrait investir des fonds publics dans la recherche fondamentale et les infrastructures – non pour créer des emplois manufacturiers, mais parce que cela augmentera la productivité, accélérera la hausse des salaires, renforcera l’innovation et plus largement le dynamisme industriel.

Troisièmement, il faudrait mettre en place une taxe carbone pour faire baisser le prix relatif des technologies vertes. Cela hâterait le développement technologique et permettrait au marché de déterminer quelles technologies sont les plus prometteuses. Dans la mesure où le but principal est l’adoption la plus large possible, à l’échelle mondiale, de technologies vertes, les barrières commerciales sont un vrai problème, car elles vont ralentir le recours aux technologies vertes (particulièrement dans les pays à faible revenu) et réduire leur rôle dans la lutte contre les changements climatiques.

Enfin, c’est dans l’ensemble de la main-d’œuvre que l’Amérique devrait investir, plutôt que de tenter d’inverser le cours du temps pour retrouver les beaux jours de l’industrie manufacturière. Cela signifie augmenter les crédits d’impôt sur les bas salaires afin d’encourager l’emploi, investir dans la formation pour former des talents et augmenter les salaires mais aussi renverser les barrières à l’entrée du marché du travail, qu’elles viennent des politiques sociales ou des institutions du marché du travail qui faussent la concurrence.

L’un des traits rédempteurs du populisme américain aura été d’avoir mis à nouveau l’accent sur les travailleurs. Mais les solutions populistes ou nationalistes ne fonctionneront pas. Les travailleurs méritent que nous consacrions toute notre énergie à des politiques qui feront progresser la prospérité de masse.

© Project Syndicate 1995–2023

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Michael R. Strain est directeur des études de politique économique de l'Institut American Enterprise.

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