Industrie pharmaceutique : Roche joue son avenir américain à 50 milliards de dollars

Des milliards pour rassurer, des usines pour se protéger : à l’heure où la menace tarifaire se durcit, un laboratoire européen abat ses cartes sur le sol américain. Reste à savoir si cette démonstration de force suffira.

Paolo Garoscio
By Paolo Garoscio Published on 22 avril 2025 13h38
Trump : des droits de douane de 25 % sur les voitures ?
Trump : des droits de douane de 25 % sur les voitures ? - © Economie Matin
7%Les ventes ont augmenté de 7% pour Roche en 2024.

Le 22 avril 2025, le laboratoire Roche a annoncé un plan d’investissement de 50 milliards de dollars (environ 46,8 milliards d’euros) aux États-Unis, réparti sur cinq années. Officiellement, il s’agit de renforcer une implantation déjà conséquente. Officieusement ? Une réponse directe à la pression croissante de l’administration Trump, qui brandit la menace de droits de douane sur les produits pharmaceutiques importés. Le ton est donné : l’ère des exemptions touche à sa fin.

Le géant bâlois, qui emploie déjà 25 000 personnes sur le territoire américain, entend créer plus de 12 000 emplois supplémentaires, dont 6 500 rien que dans la construction. Selon les déclarations de l’entreprise, 1 000 postes seront créés directement au sein de Roche, tandis que les autres soutiendront l’essor industriel orchestré à coups de milliards.

Roche lance un investissement colossal aux États-Unis : quels projets ?

Chaque euro investi vise un double objectif : produire davantage sur le sol américain et, surtout, exporter plus de médicaments depuis les États-Unis qu’il n’en importe. Une manière d’anticiper un éventuel verrou douanier ? La direction ne le dit pas. Mais le calendrier, lui, ne trompe personne.

La cartographie du projet est éloquente :

  • Un centre de recherche flambant neuf au Massachusetts, consacré à l’intelligence artificielle et à la recherche cardiovasculaire, rénale et métabolique ;
  • Une usine de fabrication de 900 000 pieds carrés (soit près de 84 000 m²) pour la production de médicaments anti-obésité de nouvelle génération, dont l’emplacement reste mystérieusement confidentiel ;
  • Une unité spécialisée dans la surveillance continue de la glycémie en Indiana ;
  • Une usine de thérapie génique en Pennsylvanie ;
  • L’expansion des capacités de production et de distribution à Kentucky, New Jersey, Oregon, Indiana, Californie, Arizona.

L’ambition est claire : positionner Roche comme acteur industriel majeur sur le territoire américain, non plus seulement comme importateur de traitements européens.

Une course à l’ancrage local face à Trump : Roche n’est pas seul

Il faut dire que Donald Trump a réactivé la logique du levier douanier. Après les taxes sur les voitures, l’aluminium et les semi-conducteurs, le secteur pharmaceutique est dans le viseur. Le 14 avril 2025, le président américain a annoncé une enquête de 21 jours sur les importations de médicaments, s’appuyant sur le Trade Expansion Act, prélude potentiel à l’imposition de tarifs.

Dans ce climat, Roche n’est pas le seul à jouer la carte américaine :

  • Novartis a dévoilé début avril un plan de 23 milliards de dollars pour développer 10 sites industriels américains.
  • Eli Lilly a prévu 27 milliards pour quatre nouvelles usines.
  • Johnson & Johnson a annoncé 55 milliards de dollars d’investissements, incluant une implantation en Caroline du Nord.

Le message est limpide : investir ou être taxé. La Suisse, notamment, pourrait voir ses exportations pharmaceutiques taxées à hauteur de 31 %, si la suspension actuelle de 90 jours décidée par Trump prend fin sans compromis.

Une stratégie industrielle autant que politique

Le PDG de Roche, Thomas Schinecker, ne se cache pas derrière un langage diplomatique. Dans le communiqué officiel publié sur le site du groupe, il affirme : « Nous sommes fiers de notre héritage de 110 ans aux États-Unis, qui a été un moteur clé pour l’emploi, l’innovation et la création de propriété intellectuelle dans le pays, tant pour nos divisions pharmaceutiques que diagnostiques. »

Avant d’ajouter : « Nos investissements de 50 milliards de dollars sur les cinq prochaines années poseront les bases de notre prochaine ère d’innovation et de croissance, au bénéfice des patients aux États-Unis et dans le monde entier. »

L’Amérique, zone franche des biotechs suisses ?

Dans cette partie d’échecs géo-industrielle, l’Europe semble perdre du terrain. À Bruxelles, les représentants de l’industrie pharmaceutique ont évoqué le risque d’“exode” des investissements vers les États-Unis, si Washington continue de privilégier fiscalement les implantations locales. Roche, en plaçant ses pions avec une telle ampleur, montre qu’elle a choisi son camp, au moins pour les cinq prochaines années.

L’entreprise suisse anticipe-t-elle une guerre tarifaire de longue haleine ? Ou tente-t-elle de se rendre indispensable à l’économie américaine pour mieux négocier en coulisses ? Quoi qu’il en soit, le laboratoire a changé de braquet. Il ne se contente plus de vendre ses traitements aux Américains. Il les produira chez eux, pour eux, et avec leurs emplois.

Paolo Garoscio

Rédacteur en chef adjoint. Après son Master de Philosophie, il s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

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