Fatih Birol, directeur exécutif de l’Agence internationale de l’Énergie (AIE), a dressé un constat préoccupant sur l’état de l’industrie européenne qu’il estime être lourdement pénalisée par les prix de l’énergie sur le Vieux Continent. Lors d’une intervention au colloque de l’Union française de l’électricité (UFE) le 10 décembre 2024, il a exprimé son inquiétude face à une situation énergétique qui, selon lui, menace l’avenir de la compétitivité et du poids économique du continent.
Industrie : voici les trois erreurs de l’Europe selon l’AIE
Industrie : un prix du gaz bien trop cher en Europe
« Le prix du gaz naturel en Europe est cinq fois plus élevé que celui des États-Unis et le prix de l'électricité en Europe est trois fois plus élevé qu'en Chine », a-t-il déclaré, estimant que ce sont entre autres ces disparités dans les prix de l’énergie, dont l’industrie est plus que friande, qui affaiblissent l’industrie européenne sur la scène internationale. Ces coûts, inégalés ailleurs, rendent difficile pour les industriels du continent de rivaliser avec leurs homologues américains ou chinois, notamment dans des secteurs stratégiques comme la métallurgie, la chimie ou l’aluminium.
Fatih Birol a souligné que cette crise énergétique est exacerbée par des décisions stratégiques qui se sont avérées, avec le recul, dévastatrices pour l’Europe. Il a rappelé que « l'Europe a commis trois erreurs stratégiques » : une trop grande dépendance au gaz russe, un désintérêt pour l'énergie nucléaire et l'abandon des investissements dans le solaire. Ce dernier point est particulièrement frappant, car « la Chine fabrique aujourd'hui 80 % des panneaux solaires, il y a 20 ans, la France était le leader ».
Le désintérêt pour le nucléaire est un cas d'école : la seule usine au monde capable de recycler et ré-enrichir l’uranium des réacteurs nucléaires français se trouve à Tomsk en Russie. Or, si cette situation ne présentait jusque-là pas vraiment de problèmes, l'attaque de la Russie contre l'Ukraine suivie de la guerre qui dure depuis plus de deux ans remet tout en question. La Commission européenne pourrait décider de sanctionner l'armateur et l'assureur du bateau qui transporte l'uranium usagé des centrales nucléaires européennes, donc en particulier les françaises, vers l'usine russe. Ce qui, de fait, pourrait mener l'Europe dans une impasse.
Un nouveau plan pour l’industrie
Au-delà du constat, Fatih Birol appelle à une prise de conscience urgente et à une mobilisation sans précédent. « L'Europe doit se pencher d'urgence sur ces questions et élaborer un nouveau plan directeur pour l'industrie », a-t-il affirmé, tout en soulignant que les solutions doivent être ambitieuses, coordonnées et tournées vers l’avenir. Selon lui, il est impératif de soutenir les industries existantes tout en investissant massivement dans les technologies propres, comme les électrolyseurs, les batteries et les infrastructures solaires et éoliennes.
Le directeur de l’AIE a également insisté sur l’importance de réfléchir à une stratégie commerciale plus affirmée pour protéger les intérêts de l’Europe. « Il est peut-être nécessaire d'avoir une politique commerciale plus musclée de l'Europe », a-t-il déclaré, en référence aux pressions concurrentielles internationales qui fragilisent les positions européennes dans de nombreux secteurs.
L’Europe entre dans une période « décisive »
Cette période est, selon Fatih Birol, un moment décisif pour le continent. « L'industrie européenne, ou plus précisément l'industrie manufacturière, entre dans une période décisive qui pourrait avoir des conséquences importantes pour l'économie européenne, le poids de l'Europe dans les affaires étrangères et la sécurité de l'Europe », a-t-il averti. Il lance de fait une véritable alerte sur l’urgence d’agir pour éviter que l’Europe ne perde encore davantage de terrain dans la course mondiale.
Le message de Fatih Birol est clair : l’Europe doit non seulement répondre à la crise énergétique actuelle, mais aussi transformer cette menace en une opportunité de réinventer son modèle industriel. Mais pour ce faire, il faut une révision de ses priorités stratégiques, des investissements massifs dans les technologies de demain, et une vision politique forte pour consolider son avenir.