L’intelligence artificielle n’est pas qu’une révolution technologique : c’est une révolution économique, et elle est déjà en marche. Les grandes puissances – les États-Unis et la Chine en tête – se livrent une bataille acharnée pour maîtriser ce levier stratégique.
L’IA, clé de la réindustrialisation française : stop aux entraves, place à l’audace !
Pendant ce temps, la France, paralysée par un mélange de prudence excessive et de lourdeurs administratives, peine à définir une trajectoire claire. Cette hésitation n’est pas neutre : elle dessine les contours d’une dépendance technologique et économique qui, si elle se confirme, compromettra notre capacité à peser dans le monde de demain.
Chaque élément de la chaîne de valeur de l’IA illustre cet enjeu. Les semi-conducteurs, première brique de ces technologies, sont largement produits hors d’Europe, avec une domination quasi-totale de TSMC à Taïwan, qui concentre 60 % de la production mondiale. Les centres de données, indispensables à la performance des grands modèles, sont souvent la propriété de multinationales étrangères comme Amazon Web Services ou Google Cloud, qui hébergent et gèrent une immense majorité des infrastructures critiques utilisées par les entreprises. Et les applications issues de l’IA générative, qui transforment déjà nos usages quotidiens, viennent presque exclusivement d’outre-Atlantique, à l’image de ChatGPT d’OpenAI, qui s’impose comme un standard mondial dans l’interaction homme-machine. Cela ne signifie pas que la France soit dénuée de talents ou de ressources, notre pays a formé des ingénieurs brillants et dispose d’un vivier de chercheurs reconnus mondialement. Mais l’absence de vision stratégique et la fragmentation des efforts nous maintiennent en position d’observateurs.
En parallèle, l’Europe, fidèle à son réflexe régulateur, se dote de cadres juridiques contraignants, comme l’AI Act. Cette initiative, si elle reflète des valeurs louables, risque de nous enfermer dans un carcan réglementaire avant même d’avoir exploité les potentialités économiques de ces technologies. Le paradoxe est frappant : nous légiférons sur des risques potentiels alors même que nous n’avons pas encore développé une industrie à même de rivaliser avec celles de nos concurrents. Ce fardeau normatif, s’il n’est pas allégé, pourrait transformer l’Europe en laboratoire d’expérimentation pour d’autres puissances, sans que nous n’en tirions de véritables bénéfices.
Face à ces constats, il serait erroné de céder au fatalisme. La France a les moyens d’agir, mais cela exige un changement profond dans notre manière d’appréhender l’innovation. Il ne s’agit pas seulement d’investir dans des infrastructures ou de soutenir les startups. Il s’agit surtout de penser l’IA comme un outil de réindustrialisation, un levier pour renouer avec une forme de souveraineté économique. Loin d’être un secteur réservé à la « Big Tech », l’IA peut irriguer des domaines aussi variés que l’énergie, la santé, ou encore la logistique. Ces applications concrètes, ancrées dans les besoins industriels, pourraient être le socle d’un renouveau productif. Un exemple emblématique est celui de la startup française Mistral AI, qui a récemment levé des fonds records pour développer des modèles de langage de nouvelle génération. Cette réussite illustre le potentiel de nos talents lorsqu’ils bénéficient d’un soutien financier et stratégique adapté.
Pour cela, il faudra faire preuve de pragmatisme et d’audace. Pragmatisme, en s’attaquant sans délai aux verrous qui freinent nos entrepreneurs et nos chercheurs. Audace, en acceptant de penser l’IA comme un enjeu transversal, impliquant à la fois l’État, le monde académique et les acteurs privés mais surtout de réussir à faire communiquer ces trois mondes. Il faudra aussi se défaire de certaines illusions : nous ne pouvons pas tout réguler, tout contrôler. Notre réussite résidera dans notre capacité à innover, à créer des standards, et à mobiliser l’ensemble de notre société autour d’un projet commun.
Plutôt que d’ajouter l’IA à la longue liste de nos rendez-vous manqués, faisons-en le point de départ d’une dynamique industrielle exigeante et inventive. L’heure est venue de conjuguer nos talents, de valoriser nos forces vives, et de replacer la France au cœur de la nouvelle économie du savoir. L’objectif ? Renouer avec une vision d’ensemble, reprendre la main, et assumer pleinement notre rôle dans la transformation économique mondiale.