Et si les dauphins nous répondaient ? Google tente la traduction interespèces

Le règne animal n’a pas fini de nous surprendre. Et si les dauphins avaient bien plus à dire qu’on ne le pensait ? Une initiative signée Google remet sur la table une vieille chimère scientifique : parler avec les animaux. Cette fois, la promesse ne sort pas d’un dessin animé, mais d’un labo d’IA.

Paolo Garoscio
By Paolo Garoscio Published on 16 avril 2025 7h00
Dauphin Ia Google Traduction Dolphingemma
Et si les dauphins nous répondaient ? Google tente la traduction interespèces - © Economie Matin
2000 MILLIARDS $ d'ici 2030, le marché de l'intelligence artificielle devrait représenter près de 2000 milliards de dollars

Le 14 avril 2025, à l’occasion de la Journée mondiale des dauphins, Google a levé le voile sur un projet aussi audacieux que fascinant : DolphinGemma. Cette intelligence artificielle pourrait permettre aux humains de comprendre, et pourquoi pas d’imiter, le langage acoustique complexe des dauphins.

Un dauphin, un sifflement, une identité : quand Google s’invite dans le lagon

Pour ceux qui en doutaient, non, les dauphins ne font pas que siffler dans le vide. Chaque individu possède un « sifflement signature », l’équivalent marin d’un prénom hurlé dans un gymnase plein. Ces sons, produits sous forme de clics, de pulsations et de modulations aiguës, ont intrigué les chercheurs du Wild Dolphin Project depuis les années 1980. Quarante années d’enregistrements et de plongées à Bimini (Bahamas) ont permis d’accumuler des centaines d’heures de données — que personne, jusqu’ici, n’avait vraiment le temps d’écouter.

C’est là que Google entre en scène avec DolphinGemma, un modèle de langage géant inspiré de ses modèles Gemini, mais conçu pour le monde sous-marin. Cette IA n’aspire pas à devenir le Google Traduction des lagons, mais à identifier des structures dans les vocalisations, les associer à des comportements, et, à terme, prédire des sons ou en générer. Thad Starner, scientifique à Georgia Tech et chercheur chez DeepMind, résume son enthousiasme : « Quand j’ai entendu la première pulsation générée par l’IA, j’ai littéralement dansé dans la pièce. », relate Scientific American.

Pixel au poignet, IA en action : quand le traducteur tient dans la poche

L’un des éléments les plus insolites du projet réside dans l’outil de terrain : un Pixel 6 adapté à résister sous l’eau, embarqué dans un dispositif baptisé CHAT (Cetacean Hearing Augmented Telemetry). Ce système, digne des films de science-fiction, combine enregistreur, générateur de sons et IA embarquée, le tout porté par un plongeur. Et surprise : ce traducteur de poche fonctionne sans supercalculateur ni caisson de serveur.

Comme l’explique Google dans son blog du 14 avril 2025, DolphinGemma permet de « réduire considérablement le besoin en matériel spécialisé, les coûts de maintenance et la consommation énergétique sur le terrain. » Une avancée pratique, écologique et… symbolique. Car, oui, le rêve d’un dialogue interespèces ne tient plus qu’à un processeur Snapdragon.

Les scientifiques espèrent ainsi associer des sons artificiels à des objets (algues, jouets) pour tester la capacité des dauphins à réagir, voire à imiter ces sons. Une sorte de pierre de Rosetta marine. Denise Herzing, fondatrice du Wild Dolphin Project, imagine même « la création d’un vocabulaire partagé » entre espèces selon New Atlas.

Décoder, c’est tricher ?

Attention :
les dauphins ne sont pas des humains

Le projet n’a pas que des partisans béats. Des voix prudentes s’élèvent, mettant en garde contre une dérive anthropomorphique. Arik Kershenbaum, zoologiste à l’université de Cambridge, prévient : « Ce n’est pas de la traduction. Le langage, c’est une complexité infinie. »

Autrement dit, les dauphins pourraient bien émettre des sons complexes sans que ceux-ci relèvent d’un système linguistique au sens humain du terme. La gestion des nuances, des contextes ou des ambiguïtés dans les sifflements est encore largement mystérieuse. Thea Taylor, directrice du Sussex Dolphin Project, enfonce le clou : « Si un dauphin répète un son, cela ne prouve pas qu’il a compris. Peut-être qu’il s’agit juste d’un apprentissage conditionné, comme un chien qui s’assoit. »

Même Google garde une prudence calculée. L’outil sera mis en open source à l’été 2025, une manière d’inviter la communauté scientifique mondiale à évaluer, critiquer et enrichir le projet. Un luxe que peu de multinationales technologiques s’autorisent.

Pourra-t-on parler avec les animaux un jour ?

On ne discutera pas philosophie avec un dauphin demain matin. Mais le projet DolphinGemma ouvre une brèche, une faille dans l’immense barrière du silence animal. Il ne s’agit pas de dresser les dauphins, ni de leur faire jouer des rôles d’assistants aquatiques. Il s’agit de détecter, dans leurs chants mystérieux, une logique, une répétition, peut-être une intention.

Ce que révèle DolphinGemma, au fond, c’est moins le langage des dauphins que notre propre volonté d’y croire. Comme l’admet Denise Herzing : « Peut-être qu’en les comprenant, nous nous mettrions à les respecter autrement — et à leur reconnaître le droit d’exister sainement. »

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Paolo Garoscio

Rédacteur en chef adjoint. Après son Master de Philosophie, il s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio