La condition humaine est marquée par la fugacité du temps. Humanité, contingence et temps sont intimement liés et influencent nos perceptions, nos pensées, nos croyances et nos modes de vie. Le temps ne se pense pas, ne se conçoit pas, ne se dit pas : il se raconte par la sensation de la durée, de l’heure à nos montres, par la météorologie etc. De plus, si le temps s’écoule immanquablement, il ne se possède pas : on ne peut donc en être le maître et le contrôler.
IA : Maître du Temps – Vers une éternité connectée ?
Or pour l’individu du XXIe siècle, tout semble s’accélérer : accélération du rythme de la vie sociale, du tempo médiatique, des soubresauts politiques et même du changement de conjoints.
Et, particularité de notre époque, le tempo technologique s’est violemment précipité : la puissance et la capacité de nos ordinateurs et des serveurs doublent tous les dix- huit mois. Les premiers séquençages génomiques humains qui prirent dix ans et coûtèrent trois milliards de dollars à partir de l’an 2000, sont devenus pratique courante et quasi instantanée en laboratoire pour 400 euros en France en 2023 et 1 000 euros pour un séquençage total. En 2024, les IA génératives créent de toute pièce des personnages présentant des expressions humaines très convaincantes et des paroles qui le sont encore plus à partir d’une photo. C’est ainsi que l’IA générative couplée à la robotique a permis de “créer” des personnages “publics” comme une ambassadrice ukrainienne virtuelle Victoria Shi et la première “citoyenne” saoudienne, l’androïde Sophia.
En matière de cellules souches humaines des entreprises proposent des technologies de production à haut débit : là où le laborantin devait attendre le cycle naturel de la multiplication cellulaire pour analyser une maladie ou développer une thérapie, la production cellulaire à haut débit, telle une photocopieuse, permet de disposer du matériel cellulaire immédiatement.
Cette accélération technologique est en passe de devenir une source d’aliénation car l’accélération intense du changement social, des styles de vie, des structures familiales et du rythme de vie provoquent stress, impression de manque de temps, de perte de contrôle et de danger imminent. […]
L’intelligence artificielle progresse à un rythme sans pareil de sorte que certains scientifiques prédisent l’avènement de la Super Intelligence, celle qui dépasserait les capacités cognitives humaines dans tous les domaines, dès 2027. L’IA sans temporalité dépassera-t -elle l’intelligence humaine en singeant nos processus cognitifs ? Que resterait-il alors de notre humanité, même neuro- augmentée ?
Les médias occidentaux contribuent à ne parler que du présent : on est alors dans un « présentisme » urgent qui congédie le futur, l’avenir et l’espérance qu’ils portent. Or, par nature, l’être humain suit le cours du temps : le présent vient du passé et le mène inexorablement au futur. Les instants qui viennent n’existaient pas avant, et ce dans une succession qui ne s’arrête pas.
En 2021, Elon Musk écrit sur X : « Le temps est la monnaie la plus importante ». Veut- il signifier que la rapidité des processus financiers et de production est génératrice de profits financiers comme dans l’adage « Le temps c’est de l’argent » ? Au vu de la pensée parfois indéchiffrable de Elon Musk, cette réflexion serait- elle plus subtile qu’elle n’en a l’air ? Voudrait- il dire que l’innovation est génératrice de changement majeur de la société par la maîtrise du temps ? Ou encore veut-il dire que le temps, seul bien immatériel non stockable, non échangeable, non achetable et irréversible, soit le seul qui vaille d’être possédé ? Est-il prophétique et désirable que l’être humain maîtrise le temps en devenant un être bionique neuro- augmenté à multiples niveaux de consciences et immortel, ainsi que le prône le philosophe britannique transhumaniste Nick Boström, caution morale des transhumanistes ?
Par ces quelques lignes introductives, on ressent immédiatement la complexité du principe même du temps, de notre incapacité à le définir et des multiples disciplines sur lequel il influe. Métaphysique, théologie, philosophie des sciences et du droit, astrophysique, mécatronique, intelligence artificielle, biologie… Quand bien même nous balayerions tous ces champs, nous n’aurions pour autant toujours pas fait le tour du concept du temps.
L’humanité est indéfectiblement liée à sa limite dans le temps. La nature humaine s’inscrit dans le temps, le temps de la naissance, de la vie et de la mort. Dans ce contexte, les propositions transhumanistes de longévité et d’immortalité pourraient- elles nous libérer de ce qu’ils disent être nos archaïsmes ? Nous permettraient- elles d’améliorer notre liberté, notre discernement, d’apporter un sens et une direction à nos vies ; ou bien nous asserviraient-elles par cette négation de notre finitude en nous conduisant à un être dénaturé ?
Or, les transhumanistes désirent aller plus loin encore que l’accélération technologique vécue dès le milieu du XIXe siècle. S’ils visent à modifier le vivant en vue d’un être humain hybridé, performant et augmenté, c’est pour éliminer la mort : la maîtrise du temps devient donc une priorité absolue.
On perçoit ici l’importance de notre relation au temps qui est marquée par la vitesse et par un refus de vieillir qui traverse nos modes, nos cultures et notre agir occidental. Avec la promesse transhumaniste et post- humaniste, si le vieillissement était jugulé par la bio- augmentation et la mort effectivement abolie, le temps serait comme suspendu ou mis sur pause. L’immortalité biologique pourrait advenir par l’entremise de trois catégories technologiques permettant de dépasser, de « traverser » la finitude humaine : le gain d’efficacité et donc de temps, le recul du vieillissement et le téléchargement de la conscience.
Cet ouvrage convoquera par petites touches la philosophie, la physique, la sémantique et la psychologie pour saisir quelques clés de lecture sur le principe du temps. Il visera ensuite à évaluer de façon concrète l’impact des philosophies transhumanistes sur le développement technologique actuel et sur notre agir dans le temps et l’histoire. Il proposera enfin des antidotes à la proposition mensongère de la sortie du temps.
EXTRAITS du livre "IA Maître du Temps" de Laetitia Pouliquen.
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