Partir en guerre contre le narco-trafic, c’est bien. La gagner est une autre affaire…

En France, on observe une forte recrudescence des violences liées aux trafics de drogue, ainsi qu’une réaction guerrière du ministre de l’Intérieur contre le narco-trafic.

Alain Dumait
By Alain Dumait Published on 21 novembre 2024 14h00
narco-trafic, guerre, gouvernement, Bruno Retailleau
Partir en guerre contre le narco-trafic, c’est bien. La gagner est une autre affaire… - © Economie Matin

Il est plus facile de déclarer la guerre que de la gagner. Nos arrière-grands parents qui se souvenaient d’un certain 19 juillet 1870, suivi six semaines plus tard par la capitulation de Sedan, en savaient quelque chose…

La question ne porte donc pas sur le constat, à savoir que le trafic de drogue, en France (comme ailleurs) est devenu aujourd’hui un énorme business, de plus en plus dangereux - - Six milliards d’euros de chiffre d’affaires ; 240.000 “employés”, dont plus de 30.000 à plein temps ; cinq millions de consommateurs de cannabis ; 4.000 points de deal identifiés ; 182 “narcomicides” (y compris les tentatives d’homicide) au premier semestre 2024, après 315 en 2023… - - mais sur les solutions à trouver.

  • Du côté des élus et des hommes politiques, à quelques exceptions près, la réponse adaptée serait d’aller vers plus de répression. Nouvelles lois, nouveau parquet judiciaire, nouveaux dispositifs de manoeuvres…
  • Du côté des thérapeutes spécialisés, des aidants de terrain, des observateurs et des politologues, on demeure sceptiques et on penche plutôt vers une forme ou une autre de libéralisation.
    L’expérience, en particulier celle du Canada, montre en effet que si la libéralisation n’est pas la panacée, et ne supprime pas tous les trafics, loin de là, elle affiche des résultats positifs : meilleurs contrôles sanitaires et réduction de l’économie souterraine.
  • Si l’on observe les politiques menées dans d’autres pays, aucune à ce jour ne semble entièrement probante.
  • Du côté des expériences répressives, principalement développées par des régimes autoritaires, même l’Égypte, réputé être “le pays du haschich” jusque dans les années cinquante, n’est pas parvenu à enrayer complètement ce fléau, du fait de l‘instabilité de ses frontières avec la Libye et avec le Soudan.
  • Même la Russie ces dernières années, malgré ses efforts de répression, est en proie à une augmentation de la consommation de drogues, notamment d'opioïdes et de substances synthétiques. Cela a conduit à une crise sanitaire, avec des taux élevés de dépendance et de maladies liées à la drogue.

  • Côté des expériences “libérales” en Europe occidentale, quatre pays au moins permettent des observations intéressantes :

Portugal : En 2001, le Portugal a dépénalisé la possession de petites quantités de drogues et a adopté une approche axée sur la santé publique, mettant l'accent sur la réhabilitation plutôt que sur la répression. Cela a conduit à une réduction des taux de consommation et des décès liés à la drogue.

Pays-Bas : Bien que le pays ait une approche libérale concernant le cannabis, il a mis en œuvre des politiques strictes pour lutter contre le trafic des drogues plus lourdes. Le pays se concentre sur la réduction des risques et la prévention.

Suède : La Suède a une approche stricte contre les drogues, avec une forte implication des services de santé pour traiter les dépendances. Cela a contribué à une baisse des consommations, même si le trafic persiste.

Suisse : Le pays a mis en place des programmes d'échange de seringues et de traitement de la dépendance, permettant de réduire les problèmes liés à la drogue et d'améliorer la santé des usagers.

Les drogues illégales, génératrices de trafics, et de combats entre gangs et bandes rivales, appartiennent toutes à la famille des psychotropes, dont la liste s’allonge chaque jour, et dont les Français sont parait-il parmi les meilleurs clients. Beaucoup de consommateurs de drogues illégales sont d’ailleurs aussi des consommateurs de médicaments psychotropes vendus sur ordonnance ou au marché noir… C’est un seul et même marché, une partie aux mains des voyous, l’autre dans celles des laboratoires, du côté de l’offre ; des êtres humains tous en souffrance dès qu’ils tombent dans la dépendance du côté de la demande.

Bruno Retailleau, en déclarant la guerre aux narco-trafiquants se lance dans un combat qui peut lui valoir une certaine popularité. Mais l’issue est plus qu’incertaine. Qu’il se rappelle que ce n’est pas l’arrestation d’Al Capone qui a mis fin aux violences découlant de la prohibition, mais l’abolition de celle-ci. Les Américains ne sont pas devenus tempérants pour autant, mais les gangs ont dû se reconvertir, et les fusillades ont (presque) disparu.

Quant à responsabiliser les consommateurs, ce qui serait peut être efficace dans un monde vertueux, l’entreprise serait plus aisée dans un cadre légal que sous le régime de l’interdiction.

PS : S’agissant de la catastrophe qui s'est abattue sur nos amis et voisins espagnols de la région de Valence (à 1.067 kms à vol d’oiseau de Paris), deux réflexions me viennent à l’esprit :

- À ma connaissance, en Europe occidentale, ce drame n’a d’égal que la submersion marine du 1er février 1953, qui toucha principalement les Pays-Bas et fit plus de 2.000 morts.

L’Union européenne n’existait pas encore, mais la solidarité des pays amis des Pays-Bas avait été exemplaire. Dans chaque école de France, on collectait pour les sinistrés concernés, de la nourriture et des couvertures…

- Les anciens ne construisaient pas dans les zones côtières inondables… et ils se gardaient bien de canaliser les fleuves…

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Alain Dumait

Alain Dumait, 79 ans, est journaliste depuis 1970. Il devient éditeur de journaux en 1978 et crée La Lettre A, lance "Les 4 Vérités-Hebdo", puis plusieurs autres publications. Il a racheté L’Essor de la Gendarmerie en 2012, qu'il dirige toujours.

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