Les astronomes n’ont jamais été aussi près de comprendre comment les plus grandes galaxies du cosmos ont grandi si rapidement avant de mourir.
Guerre des étoiles: qu’est-ce qui a tué les galaxies massives de l’univers?
La création des galaxies dans l'univers devrait obéir à un processus relativement simple. Au départ de taille réduite, les galaxies prennent ensuite progressivement de l’envergure jusqu’à devenir les galaxies géantes que l’on peut voir dans l’univers moderne, comme notre Voie lactée. Simple, non?
Mais ce n’est pas tout à fait vrai pour un type particulier de galaxies elliptiques, d’énormes collections sphériques d’étoiles dépourvues de structure clairement définie. Grâce à un financement de l’UE, des chercheurs ont entrepris de découvrir l’origine de ces galaxies et de percer d’autres mystères de l’univers.
Pour cela, ils ont voyagé dans le temps et utilisé de puissants télescopes capables de suivre la lumière jusqu’aux confins les plus éloignés de l’univers. Ils ont ainsi pu observer les galaxies telles qu’elles apparaissaient autrefois, il y a des milliards d’années.
«Les galaxies sont les repères du cosmos. Elles sont à l’origine de tout», a déclaré Sune Toft, cosmologue à l’Institut Niels Bohr, au Danemark. «Comprendre les scénarios de formation détaillés est la seule façon de comprendre le commencement de l’univers et d’où nous venons.»
M. Toft a dirigé le projet ConTExt, financé par l’UE, de 2015 à 2021. L’objectif était d’observer certaines des galaxies elliptiques les plus anciennes en remontant aux 2 premiers milliards d’années des 13,8 milliards d’années d’histoire de l’univers.
Voyage dans le temps dans des confins sombres et reculés: pas de réponses pour l’instant
Les chercheurs ont acquis certaines connaissances sur les galaxies elliptiques mais elles n’en restent pas moins un mystère.
«On connaît leur existence depuis de nombreuses années, mais il n’en est pas moins difficile de comprendre comment elles se forment car elles sont uniformément anciennes et mortes dans l’univers local», a expliqué M. Toft.
Ses recherches reposaient sur l’idée suivante: si l’on regarde plus loin en arrière dans le temps, en observant des galaxies situées à des milliards d’années-lumière, on devrait être en mesure, à un moment donné, de commencer à voir les ancêtres de ces galaxies et de pouvoir expliquer comment elles ont pu devenir si massives.
«Mais nous avions beau regarder loin en arrière, elles continuaient d’avoir l’air anciennes et mortes. Aucune étoile ne s’y formait», a déclaré M. Toft, faisant référence au processus au cœur de l’évolution des galaxies.
Cela signifie que les galaxies ont probablement grandi très rapidement dans l’univers primitif. Pourtant, on ne sait toujours pas exactement comment et quand.
Une autre question se pose: si les galaxies ont grandi rapidement, pourquoi ont-elles cessé de le faire? Et quelles sont les implications pour notre compréhension de la structure hiérarchique des galaxies dans l’univers, constitué d’étoiles, de systèmes planétaires, d’amas d’étoiles et de galaxies?
«Les petites galaxies sont censées se former en premier. Alors pourquoi ces galaxies massives sont-elles les premières à se former?», s’interroge M. Toft.
Formation d’étoiles
Son hypothèse était que ces galaxies auraient pu subir une intense formation d’étoiles au début de leur histoire, devenant ce que l’on appelle des «galaxies à sursauts de formation d’étoiles».
Les galaxies à sursauts de formation d’étoiles présentent des quantités extrêmement denses de poussière et de gaz. Elles peuvent en outre former chaque année des étoiles de masse plusieurs milliers de fois supérieure à celle de notre Soleil. En comparaison, notre Voie lactée forme en moyenne une nouvelle masse solaire par an.
Pour ses travaux, M. Toft a utilisé plusieurs télescopes: le grand réseau d’antennes millimétriques/submillimétriques de l’Atacama (ALMA) situé au Chili, et les télescopes spatiaux Hubble et Spitzer, tous deux alors en orbite autour de la Terre.
Il a découvert qu’au cours des un à deux milliards d’années qui ont suivi le Big Bang, «ces galaxies à formation d’étoiles étaient suffisamment nombreuses pour se transformer en galaxies mortes». Ces galaxies étaient denses et compactes et ressemblaient aux noyaux des actuelles galaxies elliptiques.
Dans ses travaux, M. Toft est parti de l’hypothèse que ces galaxies elliptiques progénitrices se sont formées rapidement dans l’univers avant que quelque chose n’interrompe leur processus de formation d’étoiles.
Puis, au cours des quelque 10 milliards d’années qui ont suivi, elles ont progressivement accumulé d’autres étoiles en engloutissant des galaxies plus petites, lesquelles ont ajouté leurs étoiles aux régions extérieures de la galaxie. Ainsi, bien qu’anciennes et mortes, les galaxies elliptiques ont pu encore grandir pour atteindre des tailles colossales.
Au départ, la croissance des galaxies elliptiques a probablement été provoquée par des fusions de galaxies qui ont déclenché la formation d’étoiles.
«Deux galaxies majeures entrent en collision l’une avec l’autre, et le gaz est comprimé au centre de cette collision», a expliqué M. Toft. «C’est ce phénomène qui induit des taux de formation d’étoiles très élevés.»
Mais ce qui n’était toujours pas clair, c’était comment ces galaxies se sont éteintes. Comment ont-elles arrêté de former des étoiles si rapidement et ont-elles fini par devenir les galaxies mortes que nous connaissons?
«Quenching»
Sirio Belli, astronome à l’Université de Bologne en Italie, étudie ce problème dans le cadre de son projet Red Cardinal, une initiative financée par l’UE (2023 – 2028).
Il utilise le puissant télescope spatial James Webb (JWST), en orbite autour du Soleil, pour sonder ces premières galaxies comme jamais auparavant. L’idée qui se dessine est que ce sont les trous noirs qui se trouvent au centre de ces galaxies qui sont responsables de leur évolution.
Presque toutes les galaxies actuelles, y compris la nôtre, contiennent en leur centre un trou noir supermassif, c’est-à-dire un énorme objet dont la masse est des millions à des milliards de fois supérieure à celle de notre Soleil. Ces trous noirs sont à l’origine de la formation et de l’évolution d’une galaxie, brassant et expulsant du gaz et de la poussière tout au long de son histoire.
M. Belli a découvert que ces trous noirs pourraient aussi être responsables de l’arrêt de la formation d’étoiles dans les premières galaxies, dans un processus appelé «quenching» (ou extinction).
En avril 2024, son équipe a utilisé le JWST pour signaler la découverte d’une galaxie massive en cours d’extinction environ 2,6 milliards d’années après le Big Bang. «C’est une heureuse coïncidence car nous avons observé cette galaxie exactement au moment où le quenching avait lieu», a-t-il déclaré.
La galaxie semblait avoir grandi jusqu’à récemment. «Elle a simplement cessé de former des étoiles», a déclaré M. Belli.
«Parallèlement, nous avons décelé ce vent géant qui émanait de la galaxie. Nous pensons qu’il est dû au trou noir supermassif situé en son centre.»
L’idée est que le trou noir est devenu extrêmement actif, ce qui a eu pour effet de «repousser le gaz loin de la galaxie», a-t-il ajouté. «Il n’y a donc plus de gaz pour former de nouvelles étoiles. Un peu comme une voiture qui tomberait en panne d’essence.»
Ce qui n’est pas clair, c’est pour quelle raison exactement le trou noir est devenu actif. Une des hypothèses soulevées est qu’il est possible qu’après avoir mangé suffisamment de matière et pris suffisamment de masse, le trou noir commence tout à coup à libérer une importante quantité d’énergie, provoquant ainsi un quenching.
«Nous pensons qu’une fois que les galaxies atteignent une certaine masse, à savoir 100 milliards de masses solaires, elles finissent toutes par s’éteindre», a déclaré M. Belli. «Aujourd’hui, aucune galaxie massive présente dans l’univers ne forme encore d’étoiles.»
Un télescope extrêmement grand pour pousser plus loin l’exploration
Des réponses pourraient être apportées par de nouveaux télescopes tels que le télescope géant européen (ELT), en cours de construction au Chili, qui devrait commencer ses observations en 2028.
«Avec l’ELT, nous pouvons observer en détail l’intérieur de ces galaxies dans l’univers primitif, ce que le JWST n’est pas en mesure de faire», a expliqué M. Belli.
Les chercheurs pourront ainsi connaître le taux global de formation stellaire, mais aussi découvrir «où les étoiles se forment», a-t-il déclaré. « Si l’ELT fonctionne comme prévu, nous devrions obtenir les résultats escomptés.»
Déterminer le mécanisme du quenching sera indispensable pour percer l’énigme de la mort des galaxies, un point qui continue de dérouter les scientifiques.
«Ce devrait être impossible car lorsqu’une galaxie est dans l’univers primitif, elle est remplie de gaz», a indiqué M. Toft.
«Comment passe-t-on de la formation de milliers de masses solaires par an à rien? Si nous voulons prouver que les trous noirs sont responsables de ce phénomène, nous devons trouver des galaxies en train de s’éteindre.»
C’est seulement alors que nous comprendrons comment est né le cosmos tel que nous le voyons aujourd’hui.
Les recherches présentées dans le cadre de cet article ont été financées par l’UE, par le biais du Conseil européen de la recherche (CER). Les opinions des personnes interrogées ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission européenne.
Plus d’infos
Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.