Guerre en Ukraine : les Émirats arabes unis au chevet de l’économie russe ?

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Par Contributeur Modifié le 19 mai 2023 à 9h47
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Guerre en Ukraine : les Émirats arabes unis au chevet de l’économie russe ? - © Economie Matin
68%L'augmentation des liens commerciaux entre la Russie et les Émirats arabes unis en 2022

Parmi la myriade de pays qui se disent non-alignés, les Émirats arabes unis semblent avoir choisi leur camp. En effet, l’État fédéral de la péninsule arabique est une terre accueillante pour nombre d’oligarques et d’entreprises russes où le contournement des sanctions occidentales est un secret de polichinelle. Une situation qui agace de plus en plus en Europe et aux États-Unis.

Les Émirats, un havre de paix pour l’argent russe

En février 2022, à l’occasion d’un vote au Conseil de sécurité de l’ONU sur un projet de résolution occidentale exigeant le « retrait immédiat » des troupes russes d’Ukraine, les Émirats arabes unis (EAU) ont surpris le monde en s’abstenant aux côtés de la Chine. Quelques jours plus tard, la fédération arabe vote cette fois en faveur d’une seconde résolution appelant à la fin du recours à la force en Ukraine de la part de la Russie. Le 23 février dernier, le pays présidé par Ben Zayed Al Nahyanen se rangeait du côté de la majorité des pays exigeant le départ des troupes russes d’Ukraine. Un pas de deux diplomatique difficile à suivre qui peine toutefois à cacher l’intérêt à rester proche du régime russe.

En effet, depuis le début de la guerre, en février 2022, le nombre d’entreprises créées par des ressortissants russes a explosé à Dubaï et à Abu Dhabi : on en dénombre environ 300 supplémentaires en un peu plus d’un an. « Dubaï est devenu le nouveau Londres pour les riches russes ayant des liens avec Vladimir Poutine », souligne Emilie Rutledge, économiste au sein de l’Open University (Londres) et spécialiste des pays du Moyen-Orient, dont les Émirats arabes unis. Avant la guerre, c’était effectivement la capitale anglaise qui était privilégiée par les oligarques russes, notamment en matière immobilière. « Les investissements des entreprises publiques, des oligarques et même des simples citoyens russes [au Moyen-Orient] ont considérablement augmenté », ajoute la chercheuse.

La communauté russe est d’ailleurs de plus en plus active aux Émirats. Dubaï était déjà connue, avant la guerre, pour abriter de nombreux oligarques russes, mais ceux-ci se sont « massivement repliés sur les Émirats pour échapper aux sanctions qui les frappent désormais en Europe et aux États-Unis », détaille Jean-Pierre Filieu, professeur des universités à Sciences Po. Plus de deux millions de passagers russes ont transité par l’aéroport de Dubaï en 2022, soit 100 % de plus qu’en 2021. Même son de cloche concernant les vols d’avions privés au départ de la Russie, dont le nombre a explosé dans les premiers mois de la guerre, selon le NY Times. Un afflux de fortunes qui a bien profité aux Émirats : les transactions immobilières ont augmenté de 80 % en 2022 à Dubaï, désormais surnommé… « Dubaïgrad ». Le chiffre d’affaires commercial entre la Russie et les Émirats arabes unis a, en outre, augmenté de 68 % en 2022, atteignant un chiffre record de 9 milliards de dollars.

La fédération arabe se défend en mettant en avant les dons réalisés pour l’aide humanitaire en Ukraine. Les observateurs soulignent qu’elle a surtout refusé d’adopter toute forme de sanction à l’égard de la Russie. Une stratégie qui pourrait faire croire à la neutralité des Émirats, mais qui cache un véritable soutien au régime de Vladimir Poutine.

Un système de contournement des sanctions

« La Suisse et les Émirats arabes unis jouent un rôle de plus en plus important [dans le contournement des sanctions]. Tout particulièrement les Émirats qui sont devenus un élément crucial pour Moscou dans l’effort d’échapper aux sanctions », explique la chercheuse Maria Shagina, qui travaille à l’International Institute for Strategic Studies, un think tank londonien.

Les Émirats arabes unis ont effectivement mis en place un véritable système pour aider la Russie à éviter les sanctions occidentales. Comme l’explique Jean-Pierre Filieu, « ce contournement des sanctions est particulièrement visible pour les composants électroniques, dont la vente par les Émirats à la Russie a été multipliée par quinze en 2022 ». Or ces produits viennent, à l’origine, d’entreprises dont le siège social se trouve dans des pays qui interdisent le commerce avec la Russie.

Ce contournement des sanctions est particulièrement frappant dans le commerce de pétrole ou de gaz. Effectivement, à l’image de l’Union européenne, la Suisse — centre névralgique mondial du trading de matières premières et d’hydrocarbures — a mis en place des sanctions concernant les importations d’or noir. Mais cette réglementation ne vise que les entreprises dont le siège social se trouve en Suisse. Rien n’interdit, en revanche, aux filiales de ces sociétés helvètes, au hasard basées à Dubaï ou à Abu Dhabi, de commercer avec la Russie.

Et c’est exactement ce qui se passe, comme l’a révélé l’ONG Global Witness dans un rapport publié le 20 mars 2023. L’entreprise Paramount SA, domiciliée à Genève, en Suisse, a ainsi ouvert une filiale à Dubaï, nommée Paramount Energy and Commodities DMCC, juste après l’annonce des sanctions européennes contre le pétrole russe, en juin 2022, afin de continuer à commercer avec la Russie.

Une faille qui provient de la formulation utilisée dans la réglementation suisse, selon Maria Shagina : « tout le problème vient du fait que les autorités suisses refusent de définir précisément le concept de filiale indépendante, et ce flou peut être exploité ». En effet, contrairement à Bruxelles, qui a fait le choix d’interdire le commerce y compris par les filiales des entreprises européennes, la loi suisse ne prévoit cette interdiction que lorsque la filiale n’est pas « 100 % indépendante » de la société mère.

Une nuance qui a permis à Paramount SA, à travers sa filiale basée dans les Émirats, de vendre du pétrole russe au-dessus du prix plancher fixé à 60 dollars par baril par les sanctions européennes. Si la faute revient en partie au flou instauré par la législation helvète, on constate que le contournement des sanctions est surtout facilité et permis par les Émirats, qui autorisent et encouragent le commerce avec la Russie. La goutte de trop, pour les États-Unis, qui ont récemment décidé de sanctionner les EAU.

Un positionnement qui crée des tensions avec l’Occident

Les Émirats semblent coincés entre deux feux. « Les Émiratis préféreraient sûrement ne pas avoir à choisir entre la Russie et les États-Unis », analyse Jonathan Winer, ancien envoyé spécial américain en Libye et chercheur au Middle East Institute. « Mais dans cette situation, vous ne pouvez pas être neutre. Toute prétendue neutralité est en fait un choix, celui du soutien à la Russie ». Les États-Unis l’ont bien compris et ont décidé de prendre les premières sanctions contre le régime émirati.

En effet, après avoir ciblé des sociétés émiraties engagées en Russie, Washington a inclus la banque russe MTS et sa filiale à Abu Dhabi dans sa liste de sanctions. De plus, début mars 2023, les États-Unis ont officiellement indiqué que les Émirats arabes unis étaient désormais un « pays cible » dans le cadre des efforts déployés par Washington pour réduire les liens entre la Russie et l’économie mondiale. « Nous sommes particulièrement préoccupés par l’augmentation des échanges commerciaux avec la Russie dans le domaine des biens pouvant être utilisés sur le champ de bataille et par l’aide apportée à certaines entités russes », expliquait alors Elizabeth Rosenberg, secrétaire adjointe au Trésor américain. De même, le Groupe d’action financière (GAFI) a inscrit, en mars dernier, les Émirats arabes unis sur leur « liste grise » des pays placés sous « surveillance renforcée » pour cause de défaillance stratégique en matière de blanchiment de capitaux.

Pour Jean-Pierre Filieu, les moyens de pression sur les Émirats sont nombreux et pourraient être efficaces. « L’image internationale est une dimension essentielle [de l’attractivité des Émirats arabes unis] », explique-t-il. Mais, selon lui, il manque une véritable initiative coordonnée de la part de l'Occident pour mettre un terme à l’histoire d’amour entre Émirats et Russie. Avant qu'une telle action soit mise en place, « le Moyen-Orient en général, et les Émirats en particulier, continuera de fournir des ressources essentielles au président Poutine dans sa guerre d’agression contre l’Ukraine », conclut le professeur à Sciences Po.

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