La politique a-t-elle oublié la géographie ?

Extrait du livre de Michel Foucher, Conseiller le prince, à la lumière de la géographie politique, édition L’Aube.

Michel Foucher
Par Michel Foucher Publié le 28 décembre 2024 à 16h08
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La politique a-t-elle oublié la géographie ? - © Economie Matin

Ma trajectoire intellectuelle personnelle part de la géographie, découvre la géopolitique par le hasard d’une recherche sur un terrain lointain avant de revenir à la notion plus classique de géographie politique, en distinguant les deux termes pour ne rien en perdre (1). Il ne s’agit en rien d’une querelle académique mais j’entends tirer les conclusions d’une dérive dommageable dans l’usage du terme de « géopolitique », dans lequel le préfixe « géo » a été perdu en route. Il est devenu un simple synonyme d’étude des relations politiques internationales et la dimension territoriale y est presque toujours négligée. Pourquoi cette inflexion ?

La géographie est le sous-jacent du discours géopolitique, ou du moins devrait l’être. Le terme « géopolitique » serait moins en vogue et d’un emploi plus rigoureux si la signification de son concept sous-jacent, « géographie », n’avait pas connu une double réduction, comme synonyme de milieux naturels et comme discipline scolaire et académique. D’un emploi plus rigoureux, dès lors qu’il ne s’agit pas de déduire une « politique » de conditions géographiques particulières : malgré l’adage célèbre, la politique des États n’est pas dans leur géographie mais elle ne peut pas être indifférente aux faits de situation (une nation ne choisit pas ses voisins et doit tenir compte de son voisinage et du contexte général) et aux atouts et/ou contraintes d’un territoire donné (ressources et nombre des humains, position d’intérêt stratégique et ambitions des autres, sol et climat…), même si elle dépend d’abord des intentions et des moyens des acteurs étatiques.

Moins en vogue, si on se souvient que, dès l’origine, la « géographie » est une description, datée, du monde connu du descripteur, subjective autant qu’objective. Ce sont d’abord les princes et les dirigeants, les clercs et les stratèges, les explorateurs et les marchands, qui eurent, et ont encore, besoin de ces descriptions, puis de leur cartographie, pour mieux connaître et anticiper. En France, le corps des ingénieurs-géographes fut institué pour décider de l’emplacement idéal des places frontières. Et la cartographie (et ses déclinaisons satellitaires contemporaines) est devenue le monopole des états-majors civils et militaires. C’est un attribut régalien, au même titre que la levée de l’impôt, l’exercice de la sécurité ou le dénombrement statistique.

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La géographie désigne des situations concrètes dans leurs coordonnées : où, quoi et qui, pourquoi là, quelles marges, quelles options et quels effets ? Par extension, une situation géopolitique est une combinaison particulière et située d’acteurs et de facteurs politiques, économiques, sociaux, militaires, idéologiques, religieux, selon un dosage variable. Non pas statique mais dotée d’un potentiel de situation, que les acteurs utilisent ou non. Est géographique et, par extension, géopolitique ce qui est cartographiable. La carte renseignée signale les corrélations entre des facteurs localisés et offre au lecteur une faculté de projection dès lors que l’on y introduit une modification des facteurs et un mouvement ; imaginer des scénarios devient possible. On entre là dans le domaine de la stratégie, conduite du mouvement sur un espace, d’abord en temps de guerre.

Mais la géographie, pratique d’état-major, se trouve occultée par le développement, décidé par plusieurs États, d’une discipline universitaire puis scolaire pour accompagner, en Europe, les épisodes décisifs de la construction nationale : en témoigne la création par décret de chaires de géographie dans les universités de Prusse dès 1874 puis dans toutes les universités allemandes à partir de 1883 ; le mouvement fut suivi dans l’Europe centrale germanophone. Le but fut de former des professeurs des écoles. La France, en retard, répliqua et diffusa dans les écoles cette discipline nouvelle, longtemps réservée à l’éducation des princes. C’est aujourd’hui une spécialité offerte aux élèves des lycées qui rencontre un grand succès.

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Michel Foucher

Michel Foucher est géographe et ancien ambassadeur, auteur de L’Obsession des frontières (Tempus, 2012), il a dirigé l’Atlas de l’influence française au XXIe siècle (Robert Laffont, 2013), et écrit Ukraine : une guerre coloniale en Europe.

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