Les agences de notation financière sont souvent au centre des critiques en raison de leur pouvoir et de leur influence considérables. Le monopole constitué de Fitch, Moody’s et S&P représente 90% des parts d’un marché évalué à environ 5 milliards d’euros par an.
Dans un contexte géopolitique tendu, Fitch et Moody’s ne dégradent pas la note de la France
Cependant, ces agences ne sont pas à l'abri des conflits d'intérêts car elles sont rémunérées par les émetteurs de dette, ce qui soulève des questions sur leur impartialité. Leur passif, marqué par des erreurs de notation notables avant la crise des subprimes et les difficultés financières de la Grèce, a renforcé ces doutes quant à leur compétence.
Pourtant, l'impact de ces notations est immense. Elles sont un baromètre crucial de la capacité d'un État à rembourser sa dette sur les marchés financiers. Les critères évalués vont de la stabilité économique à la gouvernance en passant par les politiques fiscales, influençant non seulement l'accès aux marchés financiers, mais aussi les réserves minimales obligatoires des banques.
Dans ce contexte, depuis plus de dix ans, la France semble protégée par le bouclier que représente la Banque Centrale Européenne (BCE) et le "quoiqu'il en coûte" de Mario Draghi du 26 juillet 2012. Aussi, il aurait été difficile d’imaginer une dégradation de la note de la France par Fitch et Moody's dans un tel contexte géopolitique pour l’OTAN.
Dans les médias, beaucoup s’attendaient vendredi dernier à une dégradation de la note française qui heurterait le CAC 40, notamment. Pour rappel, la seule fois où une agence de notation a véritablement choqué les marchés, c’était le 5 août 2011 lorsque la note des Etats-Unis fut dégradée par S&P, dans un environnement technique favorable à une correction.
Les enjeux budgétaires actuels de la France sont considérables. L’endettement a atteint record, passant la barrière des 3 100 milliards d'euros, soit une augmentation de près de 1 000 milliards d'euros sous la présidence Macron/Lemaire, et un ratio dette/PIB dépassant les 111% en 2023. La cavalerie budgétaire de l’Etat français, devenu obèse depuis la pandémie, s’est récemment accentuée avec les aides attribuées à l’Ukraine fin 2024, qui devraient s’évaluer à 6,8 milliards d’euros à la fin de l’année, et par le coût attendu des Jeux Olympiques Paris 2024 pour l’État, estimé entre 3,3 et 5,2 milliards d’euros. Le déficit projeté par Bercy en 2024 est de 5,1% (contre 5,5% actuellement). Pour atteindre cet objectif, le gouvernement devra trouver 10 milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires, sous peine de sanctions de l'Union Européenne (pouvant aller de 0,2% à 0,5% de son PIB) et d'une augmentation des charges de la dette. Cette situation met en lumière les défis auxquels est confrontée la France pour réduire son déficit et stabiliser sa dette, en particulier dans un contexte de pressions économiques et politiques croissantes au niveau national et international.
Malgré les défis budgétaires, la France bénéficie toujours d'une notation élevée, justifiée par les agences par une forte consommation interne, une inflation déclinante, des institutions publiques fiables, un système de financement public robuste et la résilience de l’économie face aux crises. Cependant, le déficit public plus élevé que prévu et la difficulté à réduire les dépenses publiques sont souvent mentionnés et pèsent sur l'évaluation.
La France a-t-elle fourni aux agences de notation des garanties de hausses d’impôts à venir pour éviter une dégradation?
Nul doute que Fitch et Moody’s ont été rassurées à ce sujet, notamment par la créativité fiscale française. Des mesures comme l'augmentation de diverses taxes (comme la taxe foncière avec une hausse de 3,9% en 2024) ou la liquidation du parc immobilier public (190 000 bâtiments), évalué à environ 5 milliards d'euros, suggèrent cette possibilité. Le fait que les français paient bien leurs impôts est également intégré dans cette équation.
Il convient toutefois de ne pas franchir une certaine ligne rouge, qui semble proche, vis-à-vis d’un contribuable français étouffé par l’inflation et la pression fiscale. La taxation des rentes, des comptes de formation (100€ par compte rapporterait 200 millions d’euros à l’État), des ventes de livres d’occasion, la taxe « lapin » de 5€ en cas de rendez-vous manqué chez le médecin, la nouvelle augmentation de la taxe sur les vérandas et abris de jardin… pourraient s’avérer provocantes. N’oublions pas que la stabilité politique est un critère de notation clé.
Les investisseurs et le gouvernement Macron attendent désormais le 31 mai pour le verdict de la troisième agence, la plus regardée, à neuf jours des élections européennes. S&P note actuellement la France AA, équivalent du Aa2 de Moody's, mais sa perspective est négative.