Extrait du livre de Fabrice Zerah, avec Laure de Charette : Tech ou Toc ? ChatGPT, Métavers, cryptomonnaies, NFT : les nouvelles technologies passées au crible, éditions l’Arpichel.
Innovation technologique : nos dirigeants n’y connaissent rien (extrait)
L'innovation est la clef du développement
En France, et malheureusement aussi en Europe, les grands patrons, les industriels, les cabinets de conseil, les administrations comme les hommes politiques – des gens de pouvoir susceptibles de contribuer à forger le pays et le continent de demain – ont une culture de l’innovation technologique quasiment nulle. Ils ont beau être lettrés pour la plupart, intelligents, voire surdoués, formés dans les meilleures écoles, ils n’ont aucune connaissance en matière de nouvelles technologies. C’est simple : dans un tiers des entreprises européennes, aucun membre du conseil d’administration n’a d’expérience tech, contre 19 % en Amérique du Nord. En Europe, seuls 14,4 % des membres du conseil d’administration des entreprises ont une expérience tech et 13,5 % seulement en France. En France, Stellantis (ex-PSA Peugeot-Citroën et Fiat Chrysler) fait figure d’exception en comptant Kevin Scott, directeur de la technologie et vice-président exécutif chargé de l’IA chez Microsoft, parmi les membres de son conseil d’administration. La plupart de nos ministres en charge du numérique ou des nouvelles technologies n’y connaissent rien. Certains sont juristes, haut fonctionnaire ou enseignant de profession. Ils apprennent sur le tas, mettent deux ans pour se former et se voient ensuite confier un nouveau maroquin ou bien retrouvent leur métier initial. Seul Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État chargé du Numérique de 2017 à 2019 et ex-président du Conseil national du numérique de la France, connaissait bien notre secteur, pour avoir notamment créé La Ruche qui dit oui et French Bureau. Au secrétariat d’État du Numérique, il faudrait plutôt de fins connaisseurs de la tech comme Éric Larchevêque, cofondateur de Ledger. Il a une vraie vision et serait sans doute excellent à ce poste.
Cette absence de culture de l’innovation est grave. Car l’innovation est la clé du développement. Un exemple : Decathlon affiche une croissance annuelle insolente alors que l’enseigne Go Sport a été placée en redressement judiciaire. C’est certainement lié à la volonté permanente de Decathlon d’innover. C’est à cette entreprise qu’UBI Solutions a vendu les premières caisses intelligentes. Vous prenez les articles, vous les déposez dans un bac et en un bip, vous payez. Cette technologie a fait gagner près de 200 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel à Decathlon. À l’inverse, de nombreuses entreprises spécialisées dans le textile ayant refusé d’adopter des solutions comme les nôtres pour optimiser leurs process ou mieux gérer leurs stocks ont mis la clé sous la porte. Elles ont préféré ouvrir de nouveaux magasins plutôt qu’investir dans l’innovation, et ce pari s’est bien souvent révélé perdant. En réalité, très peu d’entreprises françaises sont capables d’innover.
Et le manque d’expertise tech des dirigeants européens coûte cher. Comme le relate un article des Échos au sujet du rapport d’Accenture précité, les entreprises européennes auraient un potentiel de croissance de 3.000 milliards d’euros de chiffre d’affaires d’ici à 2024 si elles comblaient leur déficit technologique.
La France mise sur la touche
Ce n’est pas tout : l’innovation technologique devient également un impératif stratégique. Le rapport de l’Institut Montaigne que j’ai déjà évoqué déplore que la France et l’Europe soient exclues de la nouvelle rivalité sino-américaine en matière d’innovation technologique. Je partage cette analyse, et j’en regrette amèrement les conséquences. Depuis plusieurs mois, la tension monte entre la Chine et les États-Unis sur la Tech. Le président chinois Xi- Jinping a ainsi déclaré que « l’innovation technologique est devenue le principal champ de bataille du jeu global, et la concurrence pour la domination technologique va atteindre des niveaux de férocité sans précédent ». L’ancien PDG de Google alerte l’opinion américaine : « Sur chacune des technologies fondamentales du XXIe siècle – intelligence artificielle, semi-conducteurs, 5G, informatique quantique, biotechnologies et énergie verte –, la Chine pourrait bientôt être le leader global. » En août 2022, le président Joe Biden a signé le CHIPS and Science Act, octroyant 280 milliards de dollars à l’industrie américaine de la tech pour « contrer la Chine ». Les dirigeants américains savent que leur domination mondiale tient autant à leur puissance technologique qu’à leurs porte-avions. Leurs homologues chinois savent que la contestation du leadership américain passe d’abord par la tech. En septembre 2023, ils ont interdit à leurs fonctionnaires de posséder un iPhone, faisant aussitôt perdre à Apple près de 200 milliards de dollars de valorisation en Bourse. Selon les auteurs de ce rapport, Gilles Babinet, ancien conseiller sur les questions numériques, et Olivier Coste, entrepreneur, l’Europe est absente de cette confrontation, faute d’avoir réussi à devenir une véritable techno puissance. Je le regrette également.
Un dernier regret : si de nombreux Français s’illustrent remarquablement dans la Silicon Valley, à l’image de David Marcus (ancien patron des services financiers de Meta), Yann Le Cun (le Monsieur Intelligence artificielle de Meta), Luc Julia (cofondateur de Siri, l’assistant vocal de Google) ou encore Joëlle Barral (directrice scientifique chez Google), j’observe qu’un seul Frenchy s’est hissé à la direction d’une entreprise leader de la tech aux États-Unis : il s’agit de Fidji Simo, une jeune femme née en 1985 à Sète dans l’Hérault (elle est fille, petite-fille et arrière-petite-fille de pêcheurs !), aujourd’hui PDG d’Instacart, l’entreprise de technologie leader dans le domaine des courses alimentaires en Amérique du Nord, qui dirigeait auparavant le pôle de revenus publicitaires chez Facebook. Sur la vingtaine de PDG d’entreprises américaines nés à l’étranger, un seul est donc Français. Alors qu’on dénombre notamment sept Indiens (Alphabet Google, Adobe, IBM, Honeywell, Micron Technology, Microsoft, Starbucks). Quel dommage !