Daniel Yergin – L’ère de l’extraction minière

Daniel Yergin, vice-président de S&P Global, est l’auteur de l’ouvrage intitulé The New Map: Energy, Climate and the Clash of Nations (Penguin, 2021).

Daniel Yergin
Par Daniel Yergin Publié le 17 octobre 2023 à 5h00
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Daniel Yergin – L’ère de l’extraction minière - © Economie Matin
650 MILLIONS $General Motors a investi 650 millions de dollars dans un projet de lithium au Nevada

Une pénurie de minerais court-circuitera-t-elle la transition énergétique ? Un certain nombre de gouvernements nationaux – notamment américain, japonais, britannique et canadien – ainsi que l’Union européenne et plusieurs organisations internationales telles que la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et l’Agence internationale de l’énergie tirent actuellement la sonnette d’alarme. Comme l’explique le FMI, l’objectif zéro émission nette d’ici 2050 « entraînera une demande sans précédent autour de quelques-uns des métaux les plus stratégiques », conduisant à « une explosion des coûts » susceptible « de faire dérailler ou de reporter la transition énergétique elle-même ».

De plus en plus exprimée, cette inquiétude est justifiée : les « métaux cruciaux » pourraient en effet devenir le plus important goulot d’étranglement dans la transition loin des combustibles fossiles. La décarbonation nécessite un accroissement considérable des équipements et infrastructures, ce qui implique un besoin immense en métaux utilisés pour le câblage et les batteries indispensables à une avenir électrifié. Comme je l’explique dans mon livre The New Map, transformer la manière dont l’économie mondiale est alimentée nécessitera de passer de l’univers du « Big Oil » (les géants du pétrole) à celui des « Big Shovels » (les géants de la mine). Autrement dit, il faudra énormément d’extraction minière.

La demande autour des minerais nécessaires  augmente déjà considérablement, et le scénario zéro net 2050 de l’AIE annonce qu’elle devrait plus que tripler au cours des sept prochaines années seulement. Cette projection est d’ailleurs optimiste. La multiplication des programmes gouvernementaux d’accélération de la transition énergétique est vouée à faire augmenter la demande encore davantage. D’après une récente analyse de S&P Global, le très important Inflation Reduction Act (IRA) américain alourdira significativement des prévisions déjà élevées.

La course s’intensifie autour de la sécurisation des approvisionnements et de la création de nouvelles chaînes d'approvisionnement. General Motors a investi 650 millions $ dans un projet de lithium au Nevada, afin répondre à la nécessité d’une « chaîne de valeur établie, en soutien de nos ambitions pour les dix prochaines années ». Ford détient une participation dans une installation de traitement de nickel d’une valeur de 4,5 milliards $ en Indonésie. De même, Volkswagen et Stellantis participent à la création d’une nouvelle société minière d’extraction de cuivre et de nickel au Brésil.

La demande croissante n’en demeurera pas moins un défi considérable, comme l’illustre le cas du cuivre. Une grande partie de la transition énergétique concerne l’électrification, à laquelle le cuivre est indispensable. Ce métal est d’ailleurs appelé « Dr Copper » depuis plusieurs années, dans la mesure où les tendances de la demande et des prix sur les marchés traditionnels constituent de solides signaux concernant l’activité économique globale et les perspectives du PIB. Or, voici que la demande liée à la transition énergétique ne concerne plus seulement le cuivre, mais également des métaux tels que le lithium, le cobalt et le nickel.

Les politiques des États autour du zéro net incitent à la production de véhicules électriques qui nécessitent en moyenne 2,5 à 3 fois plus de cuivre qu’une automobile traditionnelle. Le stockage par batteries, les installations éoliennes offshore et onshore, ainsi que les panneaux solaires requièrent également d’importantes quantités de cuivre. Afin d’estimer la quantité de cuivre supplémentaire qui sera nécessaire pour répondre à cette demande nouvelle, S&P Global a commencé par se pencher sur les objectifs climatiques des États-Unis et de l’UE d’ici 2050, puis l’agence a évalué les technologies nécessaires à l’accomplissement de ces objectifs. La conclusion est sans équivoque : l’approvisionnement en cuivre devra doubler d’ici la seconde moitié des années 2030.

Or, il est très peu probable que cette multiplication soit possible, dans la mesure où la mise en service d’une nouvelle mine nécessite 16 à 20 ans, voire plus. À travers le monde, les procédures d’autorisation, de plus en plus contraintes par des controverses politiques, prennent de plus en plus de temps. Bien entendu, les pénuries et les prix élevés inciteront au recyclage, à l’innovation technologique ainsi qu’à des solutions de substitution, mais ces évolutions nécessiteront elles-mêmes un certain temps.

Par ailleurs, la production de cuivre est plus concentrée encore que celle du pétrole. Là où trois pays – États-Unis, Arabie saoudite et Russie – produisent 40 % du pétrole brut au niveau mondial, seulement deux États produisent 40 % du cuivre : le Pérou et le Chili. Le Pérou a connu sept présidents en sept ans, et le gouvernement populiste chilien est déterminé à renforcer l’intervention de l’État ainsi qu’à augmenter les recettes minières, comme l’illustrent ses plans de nationalisation des réserves de lithium du pays, les plus abondantes au monde.

Le plan chilien révèle un obstacle majeur aux nouveaux investissements dans l’extraction minière à travers le monde : ce que l’éminent économiste international Raymond Vernon a appelé « obsolescing bargain ». Le gouvernement d’un État riche en ressources et une société minière internationale conviennent d’un régime fiscal facilitant un investissement de plusieurs milliards de dollars dans un nouveau projet minier. Les années passent, l’argent est investi, et la mine devient opérationnelle. Mais un nouveau gouvernement accède ensuite au pouvoir, constate que les prix des minerais augmentent, et décide de modifier les conditions de l’accord afin d’accroître sa part de recettes.

Ce type d’instabilité conduira la société en question à suspendre les nouveaux investissements. Dans le cas d’une nationalisation pure et simple, tout nouvel investissement par la société initiale sera alors par définition gelé, puisque cette société ne sera plus exploitante. Dans tous les cas, l’augmentation prévue de la production minière n’aura pas lieu. Sachant la croissance prochaine de la demande liée à la transition énergétique, ainsi que des prix qui l’accompagneront, il sera difficile pour les gouvernements des États riches en ressources de résister à la tentation de modifier les conditions d’accords existants. Ces gouvernements fixeront également des modalités d’entrée plus strictes pour les nouveaux projets, ce qui dissuadera les sociétés (et leur conseil d’administration) d’investir dans ces projets.

Intervient par ailleurs une autre complication : la géopolitique. Les chaînes d'approvisionnement destinées au zéro émission net sont enchevêtrées dans la rivalité croissante entre d’un côté les États-Unis et leurs alliés, et de l’autre la Chine, qui jouit d’une position de dominante dans la transformation des minerais en métaux. Environ deux tiers du lithium et du cobalt au niveau mondial sont traités en Chine, comme près de la moitié du cuivre planétaire. Les États-Unis, certes pays producteur de cuivre, importent de Chine du cuivre traité.

La prise de conscience de la dépendance de ces chaînes d'approvisionnement vis-à-vis de la Chine conduit à sonner l’alerte aux États-Unis et en Europe. Les gouvernement s’efforcent aujourd'hui de « dérisquer » les chaînes d'approvisionnement de minerais, en leur faisant contourner la Chine. D’où le lancement par les États-Unis d’un nouveau Partenariat pour la sécurité des minerais entre pays consommateurs et producteurs à l’état d’esprit similaire, ainsi que les dispositions majeures de l’IRA spécifiquement destinées à réduire les dépendances vis-à-vis de la Chine, et à installer aux États-Unis la chaîne d'approvisionnement des batteries électriques.

Ce dérisquage des chaînes d'approvisionnement sera toutefois lent et coûteux, en raison de procédures d’autorisation interminables. Si les tensions dans ce domaine n’atteignent pour l’heure pas les mêmes sommets que le conflit autour des puces électroniques, cela pourrait changer. Si la rivalité sino-américaine s’intensifie, il deviendra encore plus difficile de bâtir de nouvelles chaînes d'approvisionnement, avec pour conséquence un risque accru de voir les minerais cruciaux devenir vulnérables à des pénuries critiques.

© Project Syndicate 1995–2023

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