Entre changement climatique et multiplication des normes réglementaires, le secteur de l’immobilier doit se réinventer pour se conformer aux critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) et répondre aux stratégies des organisations. Si les mentalités et les pratiques évoluent, de nombreux défis attendent encore les directions immobilières. Badreddine Kacem, responsable ingénierie durable au sein de la direction de l’immobilier de MGEN et membre de la RICS (Royal Institution of Chartered Surveyors), nous éclaire sur les grands enjeux ESG auxquels le secteur de l’immobilier de bureaux est confronté.
Critères ESG : quel rôle pour les directions immobilières ?
Critères ESG appliqués au secteur de l’immobilier : de quoi parle-t-on ?
Les critères extra-financiers, ou critères ESG, permettent d’évaluer les différents acteurs économiques en dehors des critères financiers habituels que sont par exemple le chiffre d’affaires ou les perspectives de croissance. Il s’agit ici de prendre en compte leur impact et leurs performances via le prisme de l’environnement, du social et de la gouvernance.
Ces critères trouvent leur origine dans l’essor du développement durable et de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), au milieu des années 2000. En 2002, une directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments (EPBD) imposait déjà aux acteurs du secteur immobilier des normes minimales en matière d’efficacité énergétique des bâtiments, ainsi que des certifications et mesures de contrôle.
« Le secteur de l’immobilier doit aujourd’hui faire face à un contexte en pleine évolution, marqué par une hausse du nombre de normes réglementaires. L’objectif ? Aller vers des parcs immobiliers plus responsables. Pour les directions immobilières, deux options : anticiper ou subir », analyse Badreddine Kacem. Si le concept ESG est applicable à tous les secteurs d’activité, il est néanmoins nécessaire de préciser à quoi il fait référence dans l’immobilier. En l’espèce, le critère environnemental rime avec performance et sobriété énergétique, et le sociétal, avec une intégration cohérente des bâtiments dans leur écosystème économique et géographique, ainsi qu’avec le souci du confort de ses occupants. Quant à la gouvernance, elle fait écho à la sensibilisation et à l’implication des diverses parties prenantes à une gestion durable des bâtiments.
Performance ESG : quels enjeux et défis pour les directions immobilières ?
La rénovation énergétique des bâtiments est désormais au cœur de toutes les préoccupations, notamment depuis la mise en œuvre du plan de relance du gouvernement et l’entrée en vigueur du Dispositif Éco Énergie Tertiaire (DEET), ou « décret tertiaire », qui impose une réduction progressive des consommations énergétiques pour les bâtiments tertiaires, avec l’atteinte d’un objectif de 60 % en 2050. « En parallèle, le secteur doit composer avec l’explosion du prix des énergies fossiles et avec l’intégration de solutions innovantes pour réduire l’impact carbone des bâtiments et son coût financier. Grâce au concept ESG, les directions immobilières bénéficient d’une vision transverse, désilotée, de l’entreprise et de ses impacts, qui surpasse les seuls critères environnementaux pour impliquer les occupants, les prestataires, les départements des ressources humaines, des risques, ou encore de la finance », explique le responsable ingénierie durable au sein de la direction de l’immobilier de MGEN.
Pour Badreddine Kacem, « l’immobilier, en ce qu’il agrège la technique, l’humain et le financier, doit être moteur dans l’atteinte des critères ESG. Les directions immobilières ont tout intérêt à adopter une approche projet transverse, ce qui revient à s’enquérir auprès des divers services de l’entreprise de toutes les informations pertinentes disponibles, et à travailler de concert avec les autres directions ». L’accentuation du collaboratif n’est néanmoins pas le seul défi à relever par les directions immobilières qui souhaitent concourir à l’amélioration de la performance ESG de leur entité. Elles doivent non seulement rassembler l’ensemble des données déjà identifiées, comme les consommations énergétiques et émissions de carbone des bâtiments, mais aussi se pencher sur l’efficience de leur gouvernance. Pour optimiser la notation ESG liée à la mise en place d’un process d’achat plus responsable, par exemple, les organisations peuvent ajouter à leurs contrats de nouvelles clauses d’intéressement, de transparence ou encore de transposition des directives ESG auprès de leurs prestataires.
Détenteurs de parc immobilier : comment bâtir sa stratégie de gestion ?
Avant d’élaborer des stratégies leur permettant de se conformer aux critères ESG, les entreprises et leur direction immobilière doivent identifier leurs processus internes de collecte de data, cartographier leurs données, ainsi que confirmer la fiabilité et la disponibilité de ces dernières. Il s’agit d’un préalable pour mobiliser les moyens humains et techniques permettant l’atteinte des objectifs ESG. Une collecte de données qui peut s’avérer complexe, mais qui est grandement facilitée par les outils numériques, une fois les besoins clairement établis. « Notons qu’il est judicieux de prendre en compte les critères ESG dès la phase de conception des bâtiments, afin d’adopter une approche transverse conception-installation-exploitation. Grâce à ce raisonnement en coût global, les économies sont intégrées en tout début de projet, et la maintenance n’est plus une préoccupation entièrement réservée à l’exploitant du bâtiment. Ce dernier peut donc, grâce à la note ESG, s’engager en connaissance de cause et se tourner vers une construction plus économique à moyen et long termes », détaille le responsable ingénierie. En effet, cette approche transverse inclut nécessairement l’intégration des critères ESG dans la maintenance des bâtiments : accessibilité, interventions, standardisation des équipements, interchangeabilité et durabilité des matériaux, ou encore fiabilité et disponibilité des installations techniques. Des éléments dont le coût était jusqu’à présent grandement supporté par les exploitants.
Après la collecte de données, s’ensuit leur analyse. Le classement de la data, sa hiérarchisation et son benchmark, permettent en effet de construire un programme de management et de cotation de la performance de l’ensemble des bâtiments d’un parc immobilier. Ceci implique de noter les actifs en leur attribuant un score, d’en identifier les points forts, les points faibles, et de bâtir une stratégie conduisant à l’obtention d’une vision globale et durable de ses bâtiments. Le recours au Facility Management (FM) comme aux outils digitaux sont à l’évidence un atout supplémentaire pour optimiser la gestion de son parc. « Ces grilles d’évaluation de chaque actif sont essentielles afin de mener de futurs arbitrages - achat, acquisition, cession – et d’identifier les éventuelles provisions à mettre en œuvre. Pour l’acheteur d’un bâtiment, ces évaluations constituent un pilier de négociation important, notamment lorsque des risques sont clairement établis. À l’inverse, pour les détenteurs de bâtiments, face à un faible score ESG, il devient plus aisé de s’éviter des coûts prévisibles en se défaisant des actifs en question. »
Comment évaluer et accroître la performance ESG de ses bâtiments ?
Comment améliorer la performance ESG de son parc immobilier ? Selon Badreddine Kacem, il s’agit d’une question essentielle sur laquelle les directions immobilières doivent se pencher au quotidien et dont la réponse est fortement liée à l’utilisation du digital. « La data est primordiale pour modéliser les comportements des bâtiments par le biais de simulations énergétiques dynamiques, pour rédiger un schéma directeur énergétique, pour affiner les cycles de consommation en vue d’engager des contrats avec intéressement, pour maîtriser le risque, ou encore appréhender les modifications sur les installations de chaufferie, d’isolation, etc. En résumé, le recours au système d’information est indispensable à l’inter-comparaison, à l’analyse de la mesure, à la convergence de la donnée et à sa consolidation. » Un recueil de données fiable qui nécessite au préalable de disposer en temps réel d’une connaissance fine de son parc immobilier, de ses spécificités : configuration des bâtiments, besoins, modalités d’exploitation, intensité d’usage, etc.
« À moyen ou long terme, on peut s’attendre à un durcissement progressif des critères ESG, afin de parvenir à une réduction encore plus marquée de l’empreinte carbone des bâtiments et répondre à l’arrivée de nouvelles normes européennes. Pour les entreprises, l’objectif sera également de concilier davantage leurs performances financières et extra-financières, ainsi que de s’assurer, sur le long terme, de la résilience de leurs actifs immobiliers. A la clé également, une amélioration durable de la marque employeur », précise le responsable ingénierie durable au sein de la direction de l’immobilier de MGEN.
Pour accélérer la transition environnementale et sociétale de ses actifs, MGEN ainsi a signé le 21 septembre 2022 une charte d’investissement socialement responsable sur l'immobilier de placement. Un engagement qui permet à MGEN de poursuivre l’effort de sobriété carbone entamé depuis plusieurs années, et de continuer à améliorer son impact ESG grâce à une évaluation annuelle. La direction de l’immobilier a par ailleurs lancé une démarche de renforcement de ses engagements ESG : performance énergétique, trajectoire carbone, santé et accessibilité des occupants, implication des parties prenantes, etc.
Critères ESG : quelle sera la tendance de demain ?
La tendance de demain consisterait à corréler notation ESG et prise de risque : en apportant à leur assureur et créancier la preuve des précautions prises pour se prémunir de l’aléa climatique, les détenteurs de parc immobilier seraient ainsi en mesure de négocier une baisse de leurs cotisations, d’empêcher la résiliation de leurs contrats d’assurance en raison de risques trop élevés, voire de négocier sur le marché les taux proposés par les fonds labellisés ISR.
Les plateformes de maintenance digitale et de gestion des services, comme SamFM, ont un rôle essentiel à jouer dans la conformité aux critères ESG, destinés à l’avenir à occuper toujours plus de place au sein des stratégies d’entreprises. « Les plateformes de maintenance digitale sont devenues incontournables pour garantir la fiabilité des données collectées, la traçabilité des interventions techniques réalisées, d’ordre réglementaire ou non, et de stockage sécurisé de l’historique des opérations de travaux. Ces plateformes ont aussi l’avantage de mettre en évidence les évolutions positives des données, de les faire converger, et de les rendre facilement disponibles pour les opérationnels, tout en bénéficiant d’une intégration automatisée dans les grilles ESG. Ce sont les éléments de preuve à présenter lors d’un audit pour illustrer la maturité de la collecte de données et de l’organisation en face. Par la maitrise de cette approche globale, la direction immobilière apporte une plus-value tangible sur le parc géré », conclut Badreddine Kacem.
À juste titre, les directions immobilières sont identifiées comme les premières impliquées dans l’atteinte de la performance ESG. Pour autant, ces enjeux dépassent de loin le seul cadre de l’immobilier et concernent également les départements financiers, les ressources humaines, les exploitants, porteurs de projet, ou encore les responsables de maintenance et les energy managers. Les critères ESG doivent par conséquent être considérés au moyen d’une stratégie d’entreprise, transverse, garante de la prise de hauteur nécessaire à l’atteinte de ces objectifs ambitieux.