Armement : l’épargne des Français au service de la défense ?

Lors de son allocution du 5 mars 2025, Emmanuel Macron a surpris en évoquant la nécessité de « nouveaux financements privés » pour renforcer la défense nationale. Si les institutions financières sont les premières concernées, l’épargne des Français pourrait également être sollicitée. Livret défense, réorientation des fonds des livrets réglementés, voire emprunt national : plusieurs options sont envisagées pour mobiliser cette manne financière sans alourdir la fiscalité. Mais les épargnants sont-ils prêts à suivre ?

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By Grégoire Hernandez Published on 7 mars 2025 9h09
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Elderly couple sit on sofa at home with laptop sorting out papers, reviewing expenses, feel angry due to utility bills going up. Financial crisis, bank debt notice, bankruptcy, lack of money concept - © Economie Matin
50,5 MILLIARDS €En 2025, le budget de la Défense est de 50,5 milliards d’euros (hors retraites) et devrait atteindre 67 milliards en 2030, selon la loi de programmation militaire.

Une dépense militaire en forte hausse : où trouver les fonds ?

Dans un contexte géopolitique extrêmement tendu, avec la très grande incertitude autour du soutien américain à l’Ukraine et la montée des menaces de la Russie, la France envisage une augmentation sans précédent de son budget militaire. Emmanuel Macron a évoqué sur ses réseaux sociaux un passage des dépenses de défense de 2 % à 5 % du PIB, ce qui représenterait un effort budgétaire conséquent, estimé à près de 90 milliards d’euros supplémentaires.
En 2025, le budget de la Défense est de 50,5 milliards d’euros (hors retraites) et devrait atteindre 67 milliards en 2030, selon la loi de programmation militaire.
Or, les finances publiques étant déjà sous tension, le gouvernement cherche à diversifier ses sources de financement. Selon Éric Lombard, ministre de l’Économie, "les impôts ne seront pas augmentés, mais il faut mobiliser des financements privés". Les banques et assurances, traditionnellement réticentes à financer l'industrie de l'armement en raison des normes environnementales, sociales et de gouvernance (ESG), sont sollicitées. Toutefois, un levier alternatif émerge : faire appel directement à l’épargne des citoyens.

Face à une épargne nationale estimée à 6 200 milliards d’euros, dont 603 milliards placés sur les livrets réglementés, l'idée de canaliser une partie de ces fonds vers la défense prend de l’ampleur. Une des pistes envisagées serait la création d’un "livret défense", un produit d’épargne dédié au financement du réarmement national.

Cette option présente plusieurs avantages :

  • Elle repose sur le volontariat, évitant toute contrainte sur les épargnants.
  • Elle offre une alternative aux investissements classiques, en visant un rendement potentiellement attractif.
  • Elle permettrait d’impliquer directement les citoyens dans l’effort de défense, à l’image des emprunts de guerre du XXe siècle.

D'une part, la mise en place d’un nouveau produit d’épargne est un processus long et complexe. Comme l’explique dans Le Parisien Christophe Plassard, député Horizons, "entre le lancement du livret et la collecte effective des fonds, plusieurs mois, voire années, peuvent s’écouler". D'autre part, il faudra que ce placement soit suffisamment rémunérateur pour convaincre les épargnants de délaisser le livret A ou l’assurance-vie (autour de 2,5 %).

Flécher l’épargne existante : une option juridiquement fragile

Une autre possibilité étudiée consiste à réorienter une partie des fonds du livret A et du LDDS vers le secteur de la défense. Actuellement, près de 60 % des 400 milliards d’euros placés sur ces livrets sont centralisés à la Caisse des Dépôts et affectés au logement social. Modifier cette affectation demanderait cependant un changement législatif.
En 2023, une tentative d’amendement par des députés et validée par le gouvernement Borne pour orienter une partie de l’épargne réglementée vers l’armement a été censurée par le Conseil constitutionnel, soulignant l’absence de cadre juridique clair. Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’épargne, met en garde : "Si l’on ouvre cette porte pour la défense, demain d’autres secteurs en difficulté pourraient revendiquer leur part, créant un dangereux précédent".
De plus, les banques restent très réticentes. Selon Maya Atig aux Échos, directrice générale de la Fédération bancaire française, "le problème du financement de l’industrie de défense n’est pas l’accès au crédit, mais le manque de fonds propres". Une intervention directe de l’État ou des investisseurs institutionnels semble plus réaliste à court terme.

Face à ces obstacles, un retour aux emprunts nationaux pourrait être envisagé. La France a déjà eu recours à cet outil dans le passé, notamment en 1993 avec l’emprunt Balladur qui avait permis de lever 10 milliards d’euros. Ce type d’emprunt volontaire, assorti d’un taux attractif, permettrait à l’État de mobiliser rapidement des capitaux sans passer par la contrainte fiscale. Il rapportait 6 % sur 4 ans, contre 4,5 % pour le livret A à l'époque.
Toutefois, une alternative plus radicale demeure : l’emprunt obligatoire, qui imposerait aux contribuables un placement forcé dans un produit financier spécifique. Un tel mécanisme a été utilisé en 1983 sous le gouvernement Mauroy, où les foyers imposables avaient dû investir 10 % de leur impôt sur le revenu dans un emprunt d’État. Une mesure qui, bien que temporaire, pourrait être perçue comme une taxation déguisée et susciter une levée de boucliers.

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Étudiant en école de journalisme. Journaliste chez Économie Matin depuis septembre 2023.

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