La pression du groupe, les délais serrés ou les tâches physiquement exigeantes peuvent transformer n’importe quel emploi en un travail particulièrement intense, avec des effets potentiellement néfastes sur le bien-être des employés, aussi graves que ceux de l’exposition au tabagisme passif ou du chômage. Quels sont ceux qui apprécient leurs journées de travail intenses et ceux qui ont envie de tirer leur révérence ?
Comment les employés peuvent s’adapter à un travail intensif
La réponse dépend (en partie) de la motivation individuelle, comme l'expliquent les recherches récentes d'Argyro Avgoustaki et de Hans Frankort. Il serait bon que les décideurs politiques, les travailleurs et les employeurs s'intéressent à la question de l'intensité du travail, ainsi qu'aux aspects du travail liés à la motivation.
Qu'il s'agisse de couper du bois, de faire la mise en rayon d’une épicerie ou de rédiger des documents dans le cadre d'une affaire juridique complexe, tout travail peut être qualifié d'intense. Plutôt que la durée réelle du travail, l'intensité du travail fait référence au taux d'effort physique et/ou mental requis, à la mesure dans laquelle les tâches sont exécutées simultanément ou successivement, et à la « porosité » de la journée de travail, c'est-à-dire les intervalles de repos et de récupération du corps et de l'esprit entre les tâches.
Pourquoi étudier la résistance et la vulnérabilité à l'intensité du travail ?
En plus de nuire à la qualité du travail et à la productivité, l'intensité du travail est l'un des principaux facteurs prédictifs de la baisse de la satisfaction professionnelle (et de son expression extrême, à savoir la volonté de démissionner) et qu'elle est corrélée à toute une série de maux. Plus précisément, les employés qui effectuent un travail intensif éprouvent un bien-être moindre, avec des niveaux de stress et d'anxiété plus élevés, et des symptômes physiques tels que maux de dos, insomnie et risque accru de suicide.
Des études récentes (en anglais) montrent que certains employés connaissent des niveaux d'intensité de travail plus élevés, ce qui conduit à un travail moins durable. Or, le problème n'est pas près de disparaître, comme nous l'avons récemment souligné dans un article scientifique sur le sujet. Compte tenu des preuves de l'intensification durable du travail, cette question devrait figurer en tête des priorités des travailleurs, des employeurs et des décideurs politiques.
S'il est peu probable que les délais serrés ou la pression des heures supplémentaires disparaissent, existe-t-il un moyen d'atténuer les effets néfastes de l'intensité du travail sur la satisfaction au travail et sur la santé mentale et physique des travailleurs ?
Les recherches disponibles, fondées sur des preuves empiriques, montrent que les employés effectuant un travail intensif diffèrent dans leur capacité à faire face, en particulier lorsque les emplois offrent une certaine latitude quant à la manière et au moment d'effectuer les tâches. Cependant, si la latitude laissée par l'emploi - une caractéristique de l'environnement de travail - peut atténuer certains des effets négatifs de l'intensité du travail, elle n'explique que partiellement les écarts observés dans le bien-être des employés attribuable au travail intensif.
Pour mieux comprendre ces différences, nous suggérons de ne pas nous intéresser uniquement aux caractéristiques de l'emploi mais aussi aux motivations individuelles qui poussent à s'engager dans un travail intensif. Pour ce faire, nous introduisons la théorie de l'autodétermination dans le domaine de l'intensité du travail.
Trois types de motivations pour le travail intensif
La théorie de l'autodétermination établit essentiellement une distinction entre la motivation extrinsèque et la motivation intrinsèque. La motivation extrinsèque consiste à effectuer une activité pour obtenir un résultat distinctif, tel qu'une récompense verbale ou tangible (salaire), ou pour éviter une punition ou une critique. La motivation intrinsèque est plus autonome. Elle implique la réalisation d'une activité parce qu'elle est intrinsèquement intéressante ou agréable.
Comment cette approche s'applique-t-elle à un contexte professionnel ?
> En ce qui concerne la motivation extrinsèque, les employés peuvent travailler de manière intensive pour faire face à des exigences professionnelles inévitables et à une charge de travail excessive. En raison de réductions d'effectifs ou de contraintes budgétaires, les entreprises qui manquent de personnel peuvent pousser leurs employés à travailler de manière intensive pour compenser les pénuries de main-d'œuvre.
> Toutefois, l'intensité du travail motivée par des incitations explicites ou implicites - par exemple, le désir d'obtenir une prime - tout en restant extrinsèque, reflète une plus grande autonomie.
> Enfin, les employés peuvent être intrinsèquement motivés à travailler dur simplement parce qu'ils sont intéressés par le travail ou stimulés par le défi.
Selon la théorie de l'autodétermination, ces types de motivation se traduisent par des niveaux variables de bien-être au travail. Plus précisément, plus le degré d'autonomie relative perçue est élevé, plus un type de motivation devrait être associé positivement au bien-être de l'employé. En effet, ces tendances générales ont été observées dans toutes les professions, des employés de stations-service aux membres d'un syndicat du secteur financier : la motivation intrinsèque est associée à un bien-être positif, tandis que la motivation extrinsèque est associée à un bien-être négatif.
Résultats et applications
Pour aller plus loin, nous avons émis l'hypothèse que le travail intensif motivé par des incitations explicites ou implicites est plus positivement associé à la satisfaction professionnelle des employés et plus négativement aux intentions d'abandon que le travail intensif motivé par des exigences professionnelles. Inversement, nous nous attendons à ce que le travail intensif motivé par des raisons intrinsèques soit plus positivement associé à la satisfaction professionnelle des travailleurs et plus négativement aux intentions d'abandon que le travail intensif motivé par des incitations explicites ou implicites.
Pour tester notre théorie, nous avons interrogé plus de 600 travailleurs employés dans 15 succursales d'une grande chaîne de magasins d'alimentation en Grèce, un contexte dans lequel l'intensité du travail est élevée. Après avoir ajusté nos résultats pour tenir compte de l'effet de la discrétion de l'emploi, nos hypothèses ont été étayées par des preuves empiriques.
En fin de compte, il y a donc une part de vérité dans le dicton (apocryphe) : « Choisissez un travail que vous aimez et vous n'aurez pas à travailler un seul jour de votre vie ». S'il est difficile de garantir que l'on n'aura jamais à travailler, aimer son métier signifie ne pas en souffrir et donc ne pas avoir envie de le quitter.
C'est pourquoi nous offrons des conseils similaires aux travailleurs et aux employeurs. Lorsqu'ils envisagent un emploi à haute intensité, il pourrait être bon pour les travailleurs de se faire une idée des motivations les incitant à accepter un travail intensif. Du point de vue du bien-être subjectif, les emplois dans lesquels un travailleur pense avoir une motivation intrinsèque à travailler dur semblent préférables aux emplois dans lesquels l'employé pense n'être motivé que par des mesures d’incitation ou des exigences professionnelles.
Nous recommandons également aux employeurs d'être attentifs à la question de l'intensité du travail en soi, ainsi qu'aux aspects motivationnels du travail. Les employeurs pourraient concevoir les emplois et les tâches de manière à ce qu'ils soient intrinsèquement agréables et intéressants, ce qui peut stimuler la motivation intrinsèque. Au cours du processus de sélection, les employeurs peuvent s'efforcer d'identifier les candidats qui sont plus susceptibles d'être intrinsèquement motivés à travailler dur, peut-être parce que l'emploi correspond particulièrement bien à leurs intérêts.