On n’y voit rien

Les thèmes expliquant les variations des marchés financiers ont changé en quelques semaines : les craintes de surchauffe de l’économie américaine et les inquiétudes sur la situation en Chine, qui avaient marqué une bonne partie d’août, ont cédé la place à un scénario idéal. L’inflation paraît maîtrisée, la croissance est raisonnable et les autorités chinoises ont multiplié les annonces de soutien au secteur de la construction.

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Par Nathalie Benatia Publié le 18 septembre 2023 à 4h00
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On n’y voit rien - © Economie Matin
0,9%La croissance du PIB devrait refluer à 0,9% en 2023 selon l'OCDE

Doit-on célébrer le retour de Goldilocks, ce scénario idéal dans lequel les niveaux de croissance et d’inflation offrent un environnement parfait aux actifs risqués ? Le récent comportement des actions et des obligations fait hésiter.

Cet article emprunte son titre à un formidable ouvrage de Daniel Arasse qui nous enseigne que nul ne sait vraiment regarder un tableau, y compris ses confrères historiens d’art.

Puisque les banques centrales ont repris leur approche « réunion après réunion » et nous indiquent qu’elles prendront leurs décisions après avoir analysé les données économiques, voyons si les indicateurs économiques peuvent nous éclairer.

Ralentissement en cours dans la zone euro

En août, l’indice PMI composite dans la zone euro a baissé entre la première estimation et le résultat final. A 46,7, il est tombé à son plus bas niveau depuis novembre 2020 sous l’effet d’un recul de l’activité dans le secteur manufacturier mais aussi dans les services. Alors que l’indice s’était redressé de décembre à mai, il est brutalement passé de 50,9 en juillet à 47,9 en août. C’est la première fois depuis décembre 2022 que l’activité dans les services se contracte. Le recul de l’indice a été particulièrement marqué en Allemagne et en France.

Les niveaux de l’indice Composite en juin et juillet font craindre une baisse du PIB au 3etrimestre (après +0,1 % au 2e trimestre) même si, depuis la pandémie, la relation historique entre cette variable et la croissance du PIB paraît s’être distendue. Toutefois, les autres enquêtes mesurant le climat des affaires (pour la zone euro dans son ensemble ou pour les principales économies) mettent en évidence une baisse de la demande et signalent des carnets de commande déprimés.

Les Etats-Unis champions du monde ?

Si la zone euro semble réagir comme l’enseignent les manuels d’économie (une politique monétaire restrictive entraîne un ralentissement de la croissance, notamment via le canal du crédit au secteur privé), la résistance de la croissance aux Etats-Unis déjoue les attentes et déprime les économistes.

Les indicateurs économiques publiées au cours des dernières semaines ont laissé l’impression d’une activité très solide cet été comme l’illustre le GDPNow calculé par la Fed d’Atlanta. En intégrant les données disponibles au 6 septembre, cette estimation en temps réel de la croissance du PIB du 3e trimestre s’est établie à 5,6 % (rythme annualisé). Au 1er et 2e trimestres, le PIB a progressé de 2,0 % et de 2,1 % respectivement.

Les indicateurs pris en compte jusqu’à présent qui expliquent l’accélération depuis la mi-août sont, entre autres l’emploi, la production industrielle, les ventes au détail et, tout récemment, l’indice ISM dans les services, qui, en surprenant à la hausse le 6 septembre, a entraîné des tensions sur les rendements obligataires.

La situation de l’économie américaine est plus difficile à appréhender que celle de la zone euro alors même que la Réserve fédérale américaine a commencé plus tôt le cycle de resserrement de sa politique monétaire (mars 2022 contre juillet 2022 pour la Banque centrale européenne), a monté davantage (+525pb contre 425pb) et porté son principal taux directeur plus haut (5,50 % pour le taux des fonds fédéraux contre 3,75 % pour le taux de dépôt de la BCE).

Comparer les niveaux des taux de part et d’autre de l’Atlantique n’est pas forcément l’argument le plus éclairant. D’une part le degré de resserrement d’une politique monétaire se mesure par rapport aux fondamentaux de chaque économie (et Jerome Powell nous a avoué à Jackson Hole qu’il n’était pas possible de savoir à quel niveau se situe précisément le taux neutre). D’autre part, la BCE a dû sortir d’une politique exceptionnelle de taux directeurs négatifs qui avait profondément modifié le comportement des acteurs économiques et financiers.

Premières conséquences du resserrement monétaire aux Etats-Unis

Comme en juillet, le rapport sur l’emploi en août publié le 1er septembre a signalé un marché du travail moins tendu, une tendance qui apparaît désormais comme étant la plus favorable aux yeux des investisseurs. Les créations nettes d’emploi sont ressorties proches des attentes (à 187 000) mais la révision à la baisse des chiffres des mois précédents a renvoyé la moyenne des créations sur 3 mois à 150 000 seulement contre plus de 300 000 au 1er trimestre. Le rythme enregistré ces trois derniers mois est le plus bas depuis fin 2019 et correspond à une normalisation d’une partie du marché du travail.

La hausse régulière du taux de participation à la population active s’inscrit dans cette même tendance de rééquilibrage entre offre et demande d’emploi. La hausse du taux de chômage en août (de 3,5 % à 3,8 %) ne doit pas être surinterprétée mais le ralentissement régulier des salaires horaires est un signal favorable même si, à 4,5 % en glissement annuel, les hausses de salaires restent encore dynamiques.

Par ailleurs, et cet élément sera crucial dans les prochains trimestres puisque la consommation des ménages a été soutenue par le recours à l’épargne qui avait été accumulée lors de la pandémie et dans les mois qui ont suivis. Sur ce sujet aussi, les incertitudes sont grandes, en particulier pour estimer cet « excès d’épargne » comme l’expose la Fed de San Francisco dans cet article concis. La conclusion la plus probable est que ce phénomène va toucher à sa fin d’ici la fin de l’année.

Dans ce contexte, même si nous avons été amenés à revoir à la hausse notre estimation pour la croissance du PIB au 3e trimestre, nous confirmons notre scénario d’un ralentissement fin 2023 et début 2024.

Quelle allocation privilégier ?

Les dernières évolutions des indices de prix et les perspectives ne font pas craindre un nouveau dérapage de l’inflation (hors choc externe). De ce point de vue, l’horizon semble effectivement se dégager même s’il faudra du temps pour retrouver un niveau compatible avec l’objectif des banques centrales. Les zones émergentes ont déjà parcouru une partie du chemin, permettant de premières baisses des taux, souvent plus importantes qu’anticipées.

En ce qui concerne la croissance du PIB, et donc l’activité et les résultats des entreprises, le scénario consensuel à l’heure actuelle nous paraît trop optimiste, en particulier sur l’économie américaine. Les prochains mois devraient être marqués par un ralentissement de l’activité et une stabilité (avant une détente) des politiques monétaires dans les grandes économies développées.

Cette configuration devrait se révéler favorable aux marchés obligataires. Cette position constitue à l’heure actuelle la principale source de consommation du risque de nos portefeuilles et nous envisageons de la renforcer en diversifiant notre exposition.

Nous nous dirigeons toutefois vers une nouvelle période d’ajustements des anticipations qui risque d’être accompagnée de mouvements erratiques à court terme avant que le scénario le plus probable selon nous, moins d’inflation mais aussi moins de croissance, ne finisse par s’imposer.

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Nbenatia

Nathalie Benatia est macroéconomiste, BNP Paribas Asset Management

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