Depuis plusieurs mois, des économistes, journalistes et chroniqueurs ont rédigé différents articles sur la perte de vitalité de l’économie européenne comparée à celle des États-Unis. Quelles sont les raisons d’un tel décalage entre le Vieux Continent et ses voisins outre-Atlantique ?
L’Europe en fort décrochage par rapport aux Etats-Unis analysée par des spécialistes économique
En 2023, l’activité a progressé de 2,5% outre-Atlantique, quand elle a plafonné à 0.5% en moyenne dans l’Union européenne. Le PIB par habitant européen ne représentait plus que 49 % du PIB par habitant américain en dollar courant en 2022.
C’est par exemple Jean-Marc Vittori des Echos qui écrit le mythe du décrochage.
C’est Philippe Aghion et Céline Antonin dans Le Monde, qui annoncent que c’est avec l’innovation que l’Europe retrouvera toute sa place dans la concurrence internationale. Ils précisent que l’écosystème d’innovation américain donne une place prépondérante à la recherche fondamentale et au financement des projets à hauts risques.
Olivier Klein va jusqu’à évoquer dans Le Point ; la fatigue des démocraties. La fragmentation des sociétés occidentales, en particulier l’Europe, nourrit en partie une montée de la défiance généralisée. Parallèlement la montée des régimes autocratiques des pays émergents induit une méfiance qui divise, apporte une ruine morale, financière, un financement à bout de souffle d’un système de protection pourtant essentiel. Cette défiance se propage et s’étend vis-à-vis de l’état, des institutions et même des autres. Ces bouleversements ne favorisent pas une cohésion nationale vers un objectif commun pour renforcer les valeurs nationales, redonner du souffle à cette « machine » enrayée depuis plus de quarante ans.
Même Jacques Attali aussi dans Les Echos, y va de son couplet peu réjouissant : Affronter le passé pour préparer l’avenir : Oui mais comment ? Une nouvelle défaite brutale apparemment inexplicable nous menace. Faute une nouvelle fois, d’avoir fait l’effort nécessaire à temps, pour préparer l’avenir social, culturel, politique, financier, industriel, géopolitique du pays. Des anciens historiens comme Cointet et Jackson avec le même recul de jadis, auraient le même regard consterné qu’eux devant un Etat en quasi-faillite. Il décrit ce qui paralyse le pays : Des entreprises moins nationalistes, des minorités mal intégrées, une vie politique d’une extrême violence, un fort retour de l’antisémitisme et de la xénophobie, des ambitions qui s’entrechoquent, des élites souvent narcissiques qui se battent pour des postes en se rejetant les responsabilités. Cet état morose, indescriptible n’enchante pas les foules, n’apporte pas une union sacrée qui pourrait être le prologue d’une confiance retrouvée vers un élan commun synonyme de productivité, rentabilité, une France et Europe plus solides, unifiées vers un objectif commun qui permettrait de repartir de l’avant, rattraper ce retard sur les Etats-Unis.
Augustin Landier et David Thesmar autres chroniqueurs, estiment qu’à ce stade, le seul package crédible est un effort partagé par tous et immédiat même au prix d’un ralentissement conjoncturel.
L’Europe comme la France doivent dégager des marges budgétaires pour être en mesure de réagir aux crises multiples qui les guettent. Ce sont aussi des institutions européennes et françaises qui doivent être renouvelées.
Enrico Letta très pessimiste dans Challenges et Le Monde sur l’économie de l’Europe : « C’est le décrochage du décrochage, on ne peut plus attendre ».
Il existe une faille importante avec le marché intérieur. Aux Etats-Unis et en Chine les entreprises bénéficient de tout le marché intérieur. En Europe, seules 17% des PME en profitent.
Un exemple flagrant : Un opérateur télécom chinois a en moyenne 467 millions de clients, aux Etats-Unis c’est 107 millions, en Europe c’est 5 millions avec 100 opérateurs, on a divisé le marché en 27 ! C’est un désastre industriel.
Jade Grandin de l’Epervier pour l’Opinion, suit le sommet programmé à Bruxelles sur la compétitivité, les affaires étrangères, la sécurité : Un défi qui va demander de grands moyens pour essayer de rattraper notre retard. Mais l’Europe tergiverse, suspendue à une Allemagne pourtant bonne gestionnaire mais paralysée par ses divisions internes et qui de plus « « souffre » depuis la guerre en Ukraine.
Robert Boyer, économiste entre autres à l’Institut des Amériques, évoque que l’impératif de la constitution d’une Europe puissante n’a pas été tenue.
En 2000 le projet de l’Union Européenne était de mettre en place l’économie de la connaissance la plus compétitive, la plus dynamique du monde d'ici à 2010, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative, qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale.
Les réformes sont d’autant plus douloureuses qu’une partie de la population s’est paupérisée. Elle se tourne vers les partis populistes peu favorables à la poursuite de la délégation de la souveraineté nationale aux institutions bruxelloises.
De fait, l’Europe est prise en tenaille entre le protectionnisme des Etats-Unis et la montée en puissance des exportations chinoises. Leur rivalité systémique s’est transformée en une guerre économique ouverte à laquelle l’Europe n’est pas préparée.
Déjà, l’irruption de la pandémie avait fait ressortir l’extrême dépendance productive de l’UE.
Nicolas Baverez dans le Point nous parle du grand décrochage : Le PIB de l’Union européenne ne représente plus que 65% de celui des Etats-Unis, contre 91% en 2013. La richesse par habitant stagne à 35.200 dollars par an sur notre continent, contre 76.350 dollars outre atlantique. Les gains de productivité y sont nuls alors qu’ils atteignent 3% par an en Amérique. C’est un manque d’innovation et de flux de capitaux qui en seraient les principales causes. Ils auraient progressé de plus de 20% aux Etats-Unis alors qu’ils ont plafonnés dans l’UE.
Juliette Le Chevalier d’Alternatives Economiques est sur la même ligne : Pourquoi l’Europe décroche par rapport aux Etats-Unis ? Comme après chaque crise, l’économie redémarre bien plus vite aux Etats-Unis que dans l’Union Européenne. Après la pandémie cela a été encore plus marqué. Comment l’expliquer ? C’est une adaptation de la fable de la Fontaine ; Le lièvre et la tortue. Avec les Etats-Unis dans le rôle du lièvre et l’UE dans celui de la tortue. Les institutions gérées par 27 pays ne sont pas assez réactives et le fait d’avoir l’obligation de signatures de chaque pays est un véritable frein.
Pour Nicolas Bouzou de l’Express, l’Europe fait le choix du décrochage face aux Etats-Unis et de la Chine. Est-ce une fatalité ? Que manque t-il à l’UE pour les concurrencer ? Le seul domaine de la tech où l’Europe est imbattable, est la réglementation et les amendes qui vont avec : une cataracte de 23 milliards d’euros de pénalités en tous genres qui correspondent aux violations diverses de lois en vigueur, en grande partie par les GAFAM. Mais on ne construit pas une industrie avec une obsession bureaucratique. La solution initiée par Loesekrug-Pietri (JEDI) passe par de grands projets et le leadership pour les porter.
Les Experts de BFMTV par la voix de l’AFEP indiquent que le décrochage économique de l'Europe, la croissance chinoise, dépassent les prévisions de celles du FMI en zone euro et que le programme de stabilité que Bercy s'apprête à dévoiler ont été abordés par Guillaume Dard, président de Montpensier Finance, Frédéric Farah, économiste et enseignant à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Christian Saint-Étienne, professeur au Cnam et membre du Cercle des économistes. L'émission était présentée par Nicolas Doze avec Christian Boissieu, professeur à Paris 1 Panthéon-Sorbonne et vice-Président du Cercle des Economistes et Jean-Marc Daniel, professeur émérite à l’ESCP sur BFM Business.
Même le FMI confirme le décrochage de l’Europe face aux Etats-Unis, les prévisions de croissance pour la zone euro ont été revues à la baisse de 0.1% par rapport à janvier. L’activité s’établirait cette année à 0.8%, puis 1.5% en 2025.
Personnellement, je pense que plusieurs points n’ont pas été abordés concernant l’écart qui s’est creusé.
Une immigration très différente entre les Etats-Unis et l’Europe :
Aux Etats-Unis un immigrant pour obtenir un visa, doit être parrainé par un des parents directs résidents permanents ou un employeur américain avec une pétition approuvée. Ceux qui viennent en très grande majorité veulent travailler, réussir et même faire fortune. C’est accepter n’importe quel travail, les règles de la sélection et de prouver ses capacités. Il est toutefois possible de travailler au départ sans papier pour s’intégrer. Un recrutement temporaire et un licenciement très facile sont des procédures rapides contrairement à nos rigidités européennes. Ce ne sont pas les diplômes qui font l’embauche mais la volonté de travailler. La réussite se juge aux résultats.
Ce fonctionnement apporte une très grande souplesse aux entreprises et par ricochet lors des sursauts de l’économie tant à la baisse qu’à la hausse.
La croissance à long terme des Etats-Unis a été fortement boostée par ce système d’immigration et surtout par les hautements qualifiés venus pour une certaine liberté de travail et de réussite possible.
Des conditions de travail très différentes
Aux Etats-Unis, il est possible de travailler 60 heures par semaine et même plus dans certains cas. Les heures supplémentaires sont payées au minimum 1,5 fois les heures normales.
Il n’existe aucune limite de nombre d’heures de travail hebdomadaire, ni même mensuelle.
Les entreprises américaines peuvent très rapidement augmenter ou diminuer leur production, ce qui est très long et compliqué en Europe. Le temps que l’on se réveille, ils ont déjà produit et vendus depuis longtemps.
Autre écart important : les Américains disposent de deux semaines de congés payés, (qui peuvent augmenter avec l’ancienneté). En Europe et en France c’est beaucoup plus, quatre à cinq semaines voire plus. Sans compter tous les congés spéciaux, naissances et autres…
L’Europe : Une productivité globale bien inférieure
Les Etats-Unis ont un PIB légèrement supérieur à celui des européens pour une population inférieure (340 millions contre 448 pour l’Europe à 27) ; cela signifie qu’ils ont un PIB par tête nettement supérieur, donc une productivité bien meilleure.
En 2022, l’institut Bruegel annonçait que le PIB par tête était de 72 % de celui des Etats-Unis. Cela peut s’expliquer par le fait que la démographie américaine est plus dynamique que celle de l’Europe mais aussi que l’UE compte des pays d’Europe de l’Est partis de très bas.
Autre théorie ; une partie des européens, notamment les Français, préféreraient les loisirs aux revenus et surtout les plus jeunes !
En conclusion :
En Europe, la production horaire par tête est supérieure à celle des USA, notamment française, mais comme je l’ai déjà expliqué, si l’on fait moins d’heure, la production globale sera de toute façon inférieure. C’est ce qui se passe notamment en Europe qui a tendance à encore diminuer les temps de travail et d’activité (sur 4 jours) au regard d’une durée de vie qui progresse plus vite qu’au USA. Ce qui aggrava encore le décalage.