Anne O. Krueger – L’économie américaine en ébullition

Anne O. Krueger, ancienne économiste en chef de la Banque mondiale et ancienne première directrice générale adjointe du Fonds monétaire international, s’inquiète des conséquences de l’inflation sur l’économie américaine.

Anne O. Krueger, Anne O. Krueger, ancienne économiste en chef de la Banque mondiale et ancienne première directrice générale adjointe du Fonds monétaire international, est Senior Research Professor en économie internationale à la School of Advanced International Studies de la Johns Hopkins University et Senior Fellow au Center for International Development de l'Université de Stanford.
Par Anne O. Krueger Publié le 22 octobre 2023 à 9h00
Economie Ameriacine Inflation Effet Krueger
Anne O. Krueger – L’économie américaine en ébullition - © Economie Matin
31000 MILLIARDS $La dette des USA dépasse les 31.000 milliards de dollars.

On dit que si l'on met une grenouille dans de l'eau bouillante, elle en sort immédiatement ; mais si on la met dans de l'eau froide et que l'on augmente progressivement le feu, elle ne réagit pas – et finit par mourir ébouillantée. Il peut arriver la même chose aux économies.

Si l'inflation s'accélère, le public exige que les dirigeants maîtrisent les prix par des politiques macroéconomiques plus strictes. En revanche, si les autorités se mettent à intervenir dans des secteurs particuliers par le biais de tarifs douaniers, de contrôles des prix, de subventions, d'impôts et de réglementations ad hoc, cela ne génère aucune réaction populaire de ce type ; les interventions peuvent continuer à créer des inefficacités et à saper la croissance.

Tant l'inflation que les interventions ad hoc – parfois qualifiées de politique industrielle – introduisent des distorsions dans l'économie et entraînent une baisse de la croissance économique. Mais l'inflation déclenche une réaction rapide. Phénomène généralisé à l'ensemble de l'économie, elle prend de l'ampleur au fur et à mesure que les groupes cherchent, les uns après les autres, à rétablir ou à augmenter leurs rendements réels. Néanmoins, à un certain moment, les gens commencent à s'y opposer. Dès lors, à mesure que le taux d'inflation augmente, la pression exercée sur les décideurs politiques pour qu'ils le réduisent s'intensifie. Une fois l'inflation maîtrisée, la croissance peut reprendre.

En revanche, l'impact des tarifs ciblés et des mesures sectorielles à un moment donné, ou dans un secteur donné de l'économie, est généralement relativement faible. Bien que ces interventions contribuent aux pressions inflationnistes, réduisent la flexibilité de l'économie et affaiblissent la croissance, elles sont généralement moins remarquées qu'une poussée d'inflation, de sorte qu'il est peu probable que le public les rejette. En outre, la perspective d'abaisser un tarif ou de supprimer une subvention se heurte généralement à une forte résistance de la part de l'industrie concernée. Ainsi, alors que la lutte contre l'inflation est un impératif politique, il est politiquement difficile de revenir sur des mesures ad hoc qui entraînent des distorsions.

Les États-Unis illustrent aujourd'hui cette dynamique. L'administration du président américain Joe Biden a déploré les pressions inflationnistes et soutenu la Réserve fédérale américaine dans ses efforts pour freiner la hausse des prix. Mais elle a également fortement augmenté les dépenses publiques par le biais de la loi sur la réduction de l'inflation (IRA) et a introduit ou maintenu de nombreuses réglementations sectorielles, dont la plupart sont inflationnistes.

L'inflation a peut-être atteint un sommet aux États-Unis, mais les interventions ad hoc ont encore de beaux jours devant elles. Les droits de douane imposés par Donald Trump sur les importations d'acier et d'aluminium – que M. Biden n'a pas supprimés – ont fait en sorte que les coûts de l'acier soient désormais les plus élevés au monde. Cela signifie que les coûts de production augmentent dans toutes les industries qui dépendent de grandes quantités d'acier – par exemple, les constructeurs automobiles. Pendant ce temps, les producteurs américains de véhicules électriques bénéficient de subventions et d'allègements fiscaux.

L'administration Biden impose également des droits de douane sur les importations de panneaux solaires, malgré son souci de l'environnement. Elle a créé d'importantes subventions et d'autres incitations à l'investissement dans les semi-conducteurs et les batteries. Elle a plafonné le prix de certains médicaments soumis à prescription, comme l'insuline, pour les personnes âgées bénéficiant de Medicare, des plafonds de prix devant être imposés à d'autres médicaments chaque année, et a introduit l'obligation pour le gouvernement de négocier les prix de certains médicaments – des mesures qui pourraient entraîner des pénuries et entraver le développement de médicaments génériques moins chers.

M. Biden a également relevé le seuil de contenu national pour les achats publics et exigé que les marchés publics maximisent l'utilisation d'intrants américains et soutiennent une plus grande production nationale. Ce faisant, il a restreint le champ d'application d'un accord vieux de plusieurs décennies entre les membres de l'Organisation mondiale du commerce, qui les oblige à ne pas faire de discrimination dans les marchés publics à l'encontre des produits des pays participants.

L'accord de l'OMC a entraîné une baisse des coûts pour tous les signataires, ce qui a permis aux contribuables d'économiser de l'argent. Les États-Unis ont payé moins cher les produits qu'ils achetaient tout en exportant des biens vers d'autres gouvernements pour lesquels les coûts américains étaient moins élevés. L'intervention de M. Biden a pour effet d'augmenter le coût des achats du gouvernement américain (y compris les matériaux destinés aux investissements dans le cadre de l'IRA) et d'accroître les risques de représailles de la part d'autres pays, ce qui se traduira par une réduction des achats auprès des États-Unis.

Dans la plupart des économies avancées, l'agriculture est réglementée de manière à soutenir les prix agricoles. Le soutien des prix et les restrictions à la plantation ont fait grimper les prix des denrées alimentaires et réduit l'efficacité du secteur. Les États-Unis réglementent également la quantité de sucre importée, bien qu'il n'y ait plus guère de producteurs de sucre dans le pays, de sorte que les Américains paient le sucre presque deux fois plus cher que la moyenne mondiale. Les producteurs américains de gâteaux et de bonbons sont donc désavantagés sur le plan de la concurrence.

Un dernier exemple d'interventions ad hoc dans l'économie – il serait impossible de les énumérer toutes – concerne le lait maternisé. Lors de la pandémie de COVID-19, il y a eu une pénurie majeure de ce produit crucial après qu'une seule usine clé a été forcée de fermer ses portes. Les producteurs étrangers, comme ceux du Canada, respectent les mêmes normes que leurs homologues américains, mais les restrictions sur les quantités importées et les droits de douane élevés sur les produits qui entrent aux États-Unis empêchent les parents américains d'avoir accès à leur lait maternisé.

Le fait que le programme de nutrition du gouvernement fédéral pour les femmes, les nourrissons et les enfants, connu sous le nom de WIC, ait historiquement limité chaque État à un seul fabricant de lait maternisé approuvé n'a pas aidé. Étant donné que le WIC représente environ la moitié de tous les achats de lait maternisé aux États-Unis, cette exigence a permis à quelques marques de dominer le marché.

L'intervention directe dans des activités ou des secteurs économiques particuliers comporte des coûts élevés, car elle fausse l'activité économique, augmente les prix et réduit la croissance. Certaines interventions, telles que les subventions, peuvent être dangereuses, notamment parce qu'elles peuvent encourager le favoritisme, voire la corruption pure et simple.

De plus, la technologie évoluant rapidement, nous avons besoin de nouveaux entrants sur le marché, pour lesquels les réglementations sont coûteuses. Pour que les régulateurs gouvernementaux fassent bien leur travail, ils doivent comprendre l'activité qu'ils réglementent, ce qui ne fait qu'aggraver le problème. Or, le gouvernement rémunère moins bien ses employés que le secteur privé, et les experts de l'industrie peuvent travailler d'un côté comme de l'autre.

Les États-Unis ont atteint une prééminence mondiale en partie grâce à leur engagement à garantir des conditions de concurrence équitables pour le secteur privé. La politique industrielle qu'ils ont mise en œuvre – comme les investissements dans l'éducation, les infrastructures et la recherche – s'est alignée sur cet engagement. Mais, à mesure que les interventions se multiplient et s'approfondissent, les risques qui pèsent sur la primauté économique mondiale des États-Unis augmentent également.

© Project Syndicate 1995–2023

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Anne O. Krueger, Anne O. Krueger, ancienne économiste en chef de la Banque mondiale et ancienne première directrice générale adjointe du Fonds monétaire international, est Senior Research Professor en économie internationale à la School of Advanced International Studies de la Johns Hopkins University et Senior Fellow au Center for International Development de l'Université de Stanford.

ancienne économiste en chef de la Banque mondiale et ancienne première directrice générale adjointe du Fonds monétaire international, est Senior Research Professor en économie internationale à la School of Advanced International Studies de la Johns Hopkins University et Senior Fellow au Center for International Development de l'Université de Stanford.

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