Le tourisme européen fait peau neuve pour redynamiser les communautés isolées avec le soutien de chercheurs financés par l’UE.
Envie d’échapper aux hordes de touristes européens ? Sortez des sentiers battus
Le monastère de San Estevo de Ribas de Sil, dans le nord-ouest de l'Espagne, est situé à moins de 20 kilomètres du chemin de pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, mais pour Martín López Nores, ces deux lieux paraissent aux antipodes. Cela lui a donné une idée.
En 2019, M. López Nores, professeur au Département de génie télématique de l'Université de Vigo en Espagne, a assisté avec des chercheurs et des représentants locaux à un événement organisé dans le monastère vieux de 800 ans. Les participants s’étaient réuni pour discuter de la meilleure façon de redynamiser les économies rurales.
Ralentir
Le Camino de Santiago, comme on l’appelle en Espagne, est un chemin de pèlerinage très couru qui mène jusqu’au lieu saint où l'apôtre Saint-Jacques serait enterré. De son côté, le monastère est considéré comme l'un des sites les plus spectaculaires du patrimoine de la région de Galice mais il n’en est pas moins souvent délaissé par les touristes.
«Nous étions réunis dans ce lieu magnifique, un véritable joyau ignoré par les milliers de pèlerins qui empruntent le chemin situé à proximité», a déclaré M. López Nores. «Nous avons réalisé que nous devions le rendre plus visible, attirer les gens, et encourager les personnes qui empruntent le chemin de pèlerinage à découvrir la région qu'ils traversent, et les inciter à ne pas se contenter de rejoindre le point suivant indiqué sur leur carte.»
Il a dirigé un projet financé par l’UE qui avait pour but d’aider à lancer en Europe une nouvelle forme de tourisme consistant à s’éloigner des hordes de visiteurs internationaux qui envahissent de nombreuses villes d’Europe presque toute l’année.
À travers ce projet, M. López Nores partage le sentiment exprimé par l’un des plus grands vagabonds du XXe siècle, le regretté écrivain et philhellène britannique Patrick Leigh Fermor. En 1966, M. Leigh Fermor disait du tourisme de masse en plein essor en Grèce qu’il «détruisait l’objet de son amour».
M. López Nores a préconisé une approche différente qu’il qualifie de «tourisme lent», qui encourage les visiteurs à prendre le temps de s'immerger dans leur environnement.
«Le tourisme de masse consomme des lieux, tandis que le tourisme culturel consiste à créer des liens significatifs avec les gens et les lieux», a-t-il déclaré. «C’est une forme de tourisme non destructrice qui profite à tous et qui, d’une façon ou d’une autre, rend votre esprit un peu plus riche et intéressant.»
Répartir la richesse
Les nombreux voyageurs qui parcourent le Chemin de Saint Jacques dépensent des sommes considérables (plus de 300 millions d’EUR en 2019). Mais comme peu de touristes s’éloignent du sentier lui-même, les retombées économiques sont relativement limitées.
Ce phénomène se retrouve dans toute l’Europe, qui jouit d’un riche patrimoine culturel. Il a inspiré un groupe de chercheurs espagnols et portugais, dont fait partie M. López Nores, qui ont décidé d’unir leurs forces pour faire connaître les nombreux attraits des pèlerinages. Intitulé rurALLURE, leur projet a duré trois ans et s’est achevé fin 2023.
L’objectif de l’équipe était de renforcer l’attrait du «tourisme culturel» dans des pays aussi divers que l’Espagne ou la Norvège, et de faire en sorte que les revenus générés par le tourisme bénéficient aussi aux sites sortant des sentiers battus.
Dans le cas du Chemin de Saint Jacques de Compostelle, les chercheurs ont créé un portail Web ainsi qu’une application pour aider à mettre en valeur les points d'intérêt culturels situés à proximité du parcours. Ils répertorient notamment les musées, les sites naturels remarquables, ainsi que les bars et restaurants proposant des mets et des boissons locaux tels que les vins de Ribeira. Au total, ce sont 7 362 sites qui ont ainsi été cartographiés par le projet.
Sont également disponibles des guides écrits et audio, des histoires et des témoignages locaux, ainsi que des informations regroupées par thème sur, par exemple, les sites naturels et les traditions régionales.
Parmi les autres itinéraires de pèlerinage soutenus par le projet rurALLURE figurent des chemins menant à Rome, en Italie, les Chemins de Saint-Olav menant à Trondheim en Norvège, ainsi que le Chemin de Marie, qui traverse l’Europe centrale pour rejoindre Csíksomlyó en Roumanie.
Nouvel état d'esprit
Les chercheurs sont allés au-delà de la technologie pour tenter de faire évoluer la vision des entreprises, des institutions culturelles et des autres organisations associées aux différents itinéraires.
Selon M. López Nores, un esprit de collaboration est venu remplacer l’esprit de compétition qui régnait jusque-là dans certaines régions d’Europe, et qui conduisait même certains à détruire les panneaux signalant les sites touristiques concurrents.
Un réseau de plus de 100 membres issus de toute l'Europe coordonne désormais ces efforts. Tous sont convaincus qu’en travaillant ensemble ils peuvent attirer des visiteurs et aider à mieux faire connaître l’attrait des chemins de pèlerinage en général. Des meilleures pratiques, ainsi que des informations sur ce qui n’a pas très bien fonctionné, sont disponibles gratuitement.
À titre d’exemple, M. López Nores explique que la ville de Vila do Conde, située dans le nord du Portugal, a tiré avantage de ces efforts alors qu’elle était boudée par les touristes qui se rendaient directement à Porto, à proximité, pour aller vers le nord, en direction de Saint-Jacques-de-Compostelle, la destination finale du chemin de pèlerinage de Saint-Jacques.
Un contenu multimédia complet sur la ville figure désormais sur le portail et dans l'application rurALLURE, dans un guide sur le patrimoine littéraire du Chemin de Saint Jacques. Ces efforts ont donc permis à la région de devenir une destination prisée pour les pèlerins et les amateurs de littérature.
«Cette coopération renforce notre communauté culturelle et favorise l'échange de connaissances et de ressources, au bénéfice de tous», a déclaré Ivone Teixeira, coordinatrice du musée de Vila do Conde.
Bien que l’impact de l’application rurALLURE soit difficile à mesurer en termes de nombre total de touristes amenés dans la région, elle fait clairement la différence pour certains sites. La Fondation Otero Pedrayo située à Amoeiro, un village de Galice, a par exemple constaté une augmentation notable du nombre de visiteurs générés grâce au référencement sur rurALLURE des points d’intérêts situés autour de la Via de la Plata, le plus long mais le moins fréquenté des Chemins de Saint Jacques. Le nombre de visiteurs de passage qui se sont arrêtés pour visiter la maison de cette personnalité importante de la culture galicienne et passé de quelques-uns à près de 200 par an.
Centres d’intérêts périphériques
Les communautés périphériques d'Europe étaient au cœur d'un autre projet touristique intitulé INCULTUM, financé lui aussi par l'UE. Acronyme de «INnovative CULtural ToUrisM», le projet s'est achevé en avril 2024 au terme de trois années de travaux.
Les chercheurs ont sélectionné 10 sites pilotes dans neuf pays allant de l'Irlande à la Slovaquie. Ces sites se trouvent dans des zones isolées qui ne figurent pas dans les guides touristiques habituels.
«Nous voulions mettre en avant les atouts et le potentiel d’un patrimoine culturel jusqu’ici ignoré ou caché», a déclaré José Maria Martín Civantos, professeur au Département d'histoire médiévale de l'Université de Grenade en Espagne et coordinateur du projet. «Pour nous, le tourisme est un outil et non un objectif.»
En Irlande, le projet pilote comportait une initiative sur le patrimoine local dans laquelle des groupes locaux réalisaient des enquêtes de terrain sur les anciens cimetières et enregistraient des histoires orales.
L'initiative, intitulée Historic Graves, a été étendue par le biais du projet INCULTUM de façon à inclure les décès dus à la Grande Famine de 1845-1852, au cours de laquelle environ un million de personnes ont perdu la vie.
À cette époque, plus d’un million de personnes ont également émigré d’Irlande. Un grand nombre de leurs descendants installés aux États-Unis, au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande retrouvent leurs ancêtres grâce à Historic Graves, certains se rendant pour cela en Irlande.
En Slovaquie, le projet INCULTUM a porté sur des mines abandonnées situées près de Banska Bystrica, dans le centre du pays. Le site constitue une source de patrimoine industriel, les écoles locales et d'autres groupes travaillant ensemble pour raviver la mémoire de la communauté.
Une carte numérique interactive présentant les «trésors miniers» visitables est en cours d’élaboration.
Il se trouve que cette zone figure aussi sur les cartes numériques du projet rurALLURE car elle figure sur la portion du Chemin de Marie qui traverse la Slovaquie.
Un meilleur équilibre
Avec ces deux projets, l’Europe dispose d’une feuille de route pour mieux répartir les retombées économiques du tourisme et atténuer ses répercussions sur l’environnement.
Pour Martín Civantos, l’Europe doit chercher à revitaliser les zones rurales de manière à préserver leur passé tout en repensant leur avenir. Pour lui, à long terme, une approche telle que celle-ci profite à la fois aux touristes et aux communautés locales.
«Vous visitez un lieu, mais sans avoir d’impact négatif sur l’environnement ou sur la communauté», a déclaré Martín Civantos. «En fait, vous aidez la communauté à préserver ses valeurs et son patrimoine et apportant en échange quelque chose de positif.»
Les recherches présentées dans le cadre de cet article ont été financées par le biais du programme Horizon de l’UE. Les opinions des personnes interrogées ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission européenne.
Plus d’infos
Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.