Les satellites aident l’Europe à protéger ses lacs, ses lagunes et ses rivières.
Veiller sur l’eau, la ressource la plus précieuse sur Terre
Au petit matin, une petite embarcation s’élance sur la lagune de Razelm-Sinoe, en Roumanie, avec ses instruments et ses sondes. Les chercheurs qui sont à bord prélèvent des échantillons d’eau et procèdent à des mesures puis rapportent les données ainsi glanées au laboratoire pour les analyser.
Situé sur les rives de la mer Noire, le lac Razelm fait partie de la zone humide la plus étendue d’Europe et du delta du Danube, inscrit au patrimoine mondial.
De près et de loin
Les chercheurs font partie d’un projet financé par l’UE intitulé CERTO qui surveille la qualité de l’eau le long des côtes et dans les zones qui font la transition entre eau douce et eau salée, comme les lagons, les estuaires et les grands fleuves. Dans son travail, l’équipe est aidée par les acteurs du transport par voie d’eau, mais aussi par quelque chose de beaucoup plus éloigné : un réseau satellitaire.
«Auparavant, les chercheurs sortaient en bateau et prélevaient des échantillons», a déclaré le professeur Steve Groom, coordinateur du projet CERTO et responsable de l’observation scientifique / terrestre au Plymouth Marine Laboratory, au Royaume-Uni. «Mais cela revient cher et ils ne peuvent pas être partout le long de la côte le même jour. Nous utilisons à présent des satellites pour compléter la surveillance in situ.»
La lagune de Razelm-Sinoe a été presque coupée de la mer Noire dans les années 70, dans le cadre d’un plan qui visait à créer une source d’eau douce pour l’agriculture.
Aujourd’hui, elle ne possède qu’une entrée de mer. L’échange limité d’eau avec la mer, combiné au ruissellement des minéraux et des nutriments depuis les exploitations agricoles voisines, a entraîné dans les années 90 une croissance excessive des plantes et des algues et de faibles niveaux d’oxygène qui ont nui aux poissons et à la faune de la lagune.
La diversité de la lagune, y compris ses profondeurs d’eau et ses niveaux de salinité variables, en fait un site d’étude intéressant, et pas uniquement pour les chercheurs. En effet, veiller à la salubrité des eaux côtières est vital pour les écosystèmes mais aussi pour les personnes qui vivent d’activités telles que la pêche, l’agriculture et le tourisme.
L’aide venue du ciel dont bénéficient les chercheurs du projet CERTO passe par Copernicus, le volet du programme spatial européen dédié à l’observation de la Terre. Copernicus utilise des données satellitaires pour observer la quantité d’eau et sa qualité.
«Le projet CERTO met en avant l’utilisation des données satellitaires», a déclaré Adriana Maria Constantinescu, responsable technique d’une étude de cas sur la lagune de Razelm-Sinoe. «Nous pouvons obtenir des données de bonne qualité à partir d’images satellites et le travail que nous effectuons sur place permet d’améliorer les algorithmes.»
Une eau de différentes couleurs
Six lieux sont concernés par les mesures sur site et les données d’observation par satellite du projet CERTO. C’est le cas de la lagune de Venise, en Italie, de renommée mondiale, et de la lagune de Courlande en Lituanie.
Le projet, qui après presque quatre ans d’existence, prendra fin en septembre, étudie des moyens de classer l’eau.
«Sur le plan technique, on parle de ’types d’eau optiques’, mais en vérité, il s’agit juste d’une façon de dire ’cette eau est un peu boueuse’ ou ’cette zone est belle et bleue’», a déclaré M. Groom.
Ce système classe les plans d’eau en fonction de la couleur de la lumière qu’ils reflètent.
Les étangs verts et troubles, par exemple, contiennent davantage de matières organiques (comme des algues) que les étangs transparents et réfléchissent moins la lumière bleue. Une eau trouble est également le signe de la présence d’un surplus de nutriments susceptible d’être nocif pour les poissons et la faune.
Cette utilisation des satellites pour mesurer la quantité de lumière réfléchie par les masses d’eau peut aider à déterminer leur salubrité sans avoir à sortir en bateau et à prélever d’échantillons. Cette méthode fournit également aux scientifiques une base de données sur laquelle ils peuvent s’appuyer pour analyser des eaux classées comme appartenant au même type.
«L’intérêt est que nous ne sommes pas obligés d’aller sur le terrain pour prendre des mesures pour pouvoir valider nos algorithmes sur tous les sites», a déclaré M. Groom. «Nous essayons de partir des lacs et d’aller jusqu’aux océans afin d’aboutir à un ensemble commun de types d’eau applicable à toutes les étendues d’eau.»
Informations pratiques
Le projet CERTO souhaite également faciliter l’utilisation par les scientifiques des informations disponibles sur la qualité de l’eau et combler les lacunes existantes au niveau des données.
Actuellement, trois services Copernicus, qui utilisent chacun des approches différentes, fournissent des informations sur la qualité de l’eau. Les scientifiques ont donc du mal à avoir une vue d’ensemble. Par ailleurs, certaines zones telles que les eaux de transition ne sont couvertes par aucun service.
Une fois arrivé à son terme, le projet laissera en héritage un prototype de logiciel pouvant être «connecté» aux services Copernicus actuels, ainsi qu’un logiciel libre intitulé SNAP, utilisé plus largement dans la communauté des chercheurs.
Mme Constantinescu, responsable d’une étude sur Razelm-Sinoe, s’attend à ce que les travaux du projet CERTO ouvrent la voie à d’autres recherches dans la lagune. Les propriétés filtrantes des roselières, ou leur rôle dans l’atténuation de la houle de vent, pourraient faire partie des solutions naturelles étudiées pour lutter contre l’érosion côtière.
Eau souterraine vitale
Les données satellitaires sont également utilisées pour surveiller les eaux souterraines européennes.
Le projet G3P, financé par l’UE, a suivi les variations des réserves vitales d’eau souterraine pendant trois ans, jusqu’en 2022.
Le projet a utilisé des données fournies par Copernicus et par une mission satellitaire américano-allemande connue sous le nom de GRACE qui, depuis son lancement en 2002, a transformé la vision qu’ont les scientifiques de la façon dont l’eau se déplace et est stockée sur la planète.
«Les eaux souterraines sont l’une des principales ressources de l’humanité», a déclaré le professeur Andreas Güntner, coordinateur du projet G3P, et qui travaille au GFZ, le Centre de recherche allemand pour les géosciences, à Potsdam.
Les eaux souterraines représentent près d’un tiers des ressources totales d’eau douce dans le monde. Dans l’UE, elles fournissent 65 % de l’eau potable et un quart de l’eau utilisée pour l’irrigation agricole.
Le Système mondial d’observation du climat, une organisation non gouvernementale internationale, a aussi déclaré que les eaux souterraines étaient une variable climatique essentielle, un indicateur indispensable de l’évolution du climat de la Terre.
Copernicus ne fournit pas encore de données mondiales cohérentes sur les réserves d’eau souterraine et sur leur évolution.
Quand les données font des merveilles
L’équipe de G3P a créé un nouvel ensemble de données pour combler ce manque.
Les chercheurs se sont appuyés sur les informations du projet GRACE, qui a utilisé des satellites jumeaux. La première mission de GRACE a duré 15 ans et une mission de suivi a débuté en 2018.
La distance entre les deux satellites change constamment en fonction de la répartition de la masse située en dessous d’eux. Par exemple, lorsque l’un d’eux s’approche de masses lourdes comme des montagnes, des calottes glaciaires et de vastes réserves d’eau souterraine, il accélère et la distance qui le sépare de l’autre satellite augmente.
En mettant en place un suivi de la poussée et de la traction gravitationnelles des engins spatiaux lorsqu’ils survolent différents paysages, les scientifiques ont pu cartographier la répartition de l’eau à la surface et sous la surface de la Terre, ainsi que son évolution.
Alors que les pays cherchent à améliorer la gestion des ressources en eau, il est essentiel d’en savoir plus sur les réserves d’eau souterraine, leurs changements et la façon dont elles sont affectées par les activités humaines telles que l’agriculture.
«Dans certaines régions du monde, l’utilisation de l’eau des aquifères pour l’irrigation a entraîné plus de prélèvements que de reconstitutions, autrement dit, une utilisation non durable», a souligné M. Güntner. «Le premier ensemble de données mondial sur les eaux souterraines, fondé sur l’observation, est vraiment quelque chose d’incroyable.»
Pourtant, de nombreuses recherches complémentaires exploiteront l’ensemble de données de façon encore plus intéressante.
«La prochaine étape consistera à procéder à une analyse approfondie des données sur les eaux souterraines que nous avons obtenues. Nous essaierons ainsi de comprendre comment les ressources en eaux souterraines ont évolué au cours des 20 dernières années, comment ces modifications peuvent être liées au changement climatique, à l’évolution des précipitations et dans quelle mesure ces modifications sont dues à l’interférence humaine», a déclaré M. Güntner.
Les recherches réalisées dans le cadre de cet article ont été financées par l’UE. Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.
Plus d’infos
Recherche et innovation dans le domaine de l’eau, financées par l’UE