Comme chaque année depuis six ans, la grande mobilisation sociale pour la prévention de l’alcool aura lieu en janvier. Intitulée Défi de Janvier, cette opération s’inspire du Dry January britannique et regroupe divers acteurs de santé, y compris des associations, des professionnels, des chercheurs, des villes, des mutuelles et des établissements d’enseignement. Cependant, l’État reste absent, refusant de soutenir financièrement cette initiative malgré les demandes de subventions du collectif inter-associatif.
Dry January : Les lobbies de l’alcool au cœur du Défi de Janvier
Une demande officielle de financement adressée en avril de cette année au Fonds de Lutte contre les Addictions (FLCA) vient tout juste d’être rejetée sans explication alors même qu’un refus se doit d’être motivé comme c'est la règle pour toute décision administrative. Il est difficile de justifier un tel immobilisme face aux dommages sanitaires et sociaux. Faut-il le rappeler ? L’alcool est encore aujourd’hui la 2ème cause de mortalité évitable1, il est impliqué dans 1 féminicide sur 22 et dans 30 % à 40 % des cas de condamnations pour violences3.
Malgré l'intérêt démontré sur les plans scientifique et sociétal, les gouvernements qui se succèdent ne sont donc manifestement toujours pas enclins à revenir sur le veto présidentiel exprimé à l'automne 2019 sous la pression du lobby alcoolier, qui a abouti à l'interdiction à Santé publique France de porter une telle campagne4. La cellule investigation de Radio France a récemment révélé l'influence et les liens étroits entre la représentation politique et le secteur économique de l'alcool dans une enquête édifiante5, qui montre comment le lobby de l’alcool a infiltré le plus haut niveau de l'État.
L'alcool semble en effet bénéficier d'un traitement particulier au sein du gouvernement, à la différence de la cigarette ou du sucre, dont les taxes augmentent régulièrement. L'ancien ministre de la santé, Aurélien Rousseau, a révélé que sa proposition de hausse des taxes sur l'alcool pour le PLFSS 2023 avait été rejetée par Matignon et l'Elysée pour cause de “difficultés économiques du secteur viticole”.
Le nouveau ministre délégué à la Santé Yannick Neuder s’est pour sa part signalé lors des débats sur le PLFSS par un soutien sans faille au lobby viticole. Au mépris des évidences, il a déclaré qu’on ne se saoulait pas avec du vin (surtout ceux en provenance du Bordelais et des Côtes du Rhône). Au nom de cette affirmation erronée, Yannick Neuder a refusé une augmentation de 7 centimes par bouteille de vin ainsi que toutes les autres mesures fiscales visant les alcools. Pour protéger la jeunesse, il a par ailleurs déclaré qu’il fallait sévir contre les mineurs qui se procurent de l’alcool avec de faux papiers, une assertion en total décalage avec la réalité. Lors de ses opérations de testing, Addictions France a en effet montré clairement que les débitants d’alcool demandaient rarement les papiers d’identité et qu’ils vendaient de l’alcool dans plus de 90% des cas. Ce n’est donc pas un problème de faux papiers, mais de non-respect de la loi par les commerçants.
Nous pourrions également citer la nouvelle ministre du Tourisme, qui était jusqu’alors en charge des relations avec le Parlement, Nathalie Delattre, qui a déclaré le 7 novembre dernier lors d’un colloque viticulture de l’ANEV : “Je continue à visiter des exploitations viticoles et des caves, à porter haut et fort le fait que je suis contre le Dry January. Je continuerai à être en soutien et j'ai lu quelques articles de presse comme quoi je serai une affreuse lobbyiste des alcooliers et bien j’assume complètement.” Des propos édifiants et assumés, pour cette ancienne vigneronne et ex-sénatrice de Gironde.
Peu importe, le Défi de Janvier aura bien lieu en 2025 envers et contre les lobbies. Comme l’étude inédite JANOVER vient de le montrer6, plus de 4,5 millions de Français en ont fait l’expérience en 2024 : on peut aussi faire la fête sans alcool, se retrouver entre amis, être drôle... Relever le défi, c’est aussi porter un regard nouveau sur notre rapport avec l'alcool, et réévaluer les multiples incitations à en boire dans notre vie sociale. Les bénéfices de la participation au Défi de janvier sont désormais bien établis par les études internationales, mais aussi françaises : sommeil amélioré, regain d’énergie, meilleure concentration, et des économies non négligeables. Les retours des éditions précédentes indiquent que ces effets bénéfiques se prolongent bien au-delà de janvier, avec des habitudes de consommation plus maîtrisées.
Parce qu’il n’est pas plus acceptable aujourd'hui qu’hier qu’une telle campagne de prévention ne soit pas soutenue par l’Etat, gageons que nous serons encore plus nombreux en 2025 à relever ce Défi de janvier. En cela, nous montrerons que les Français ont pris le parti de la santé publique contre les intérêts économiques. Que le nouveau Gouvernement se le tienne pour dit !
Signataires :
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Dr. Bernard Basset, Médecin spécialiste en santé publique et président d’Addictions France
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Pr. Amine Benyamina, président de la Fédération Française d'Addictologie (FFA), président du RESPADD et président du Fonds Addict’AIDE.
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Dr. Philippe Bergerot, président national de la Ligue contre le Cancer
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Dr. Michaël BISCH, psychiatre addictologue, Centre psychothérapique de Nancy
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Marie Andrée Blanc, présidente de l’Unaf (Union nationale des associations familiales)
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Dr. Nicolas BONNET, pharmacien de santé publique, directeur du RESPADD
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François Bourdillon, ancien directeur général de Santé publique France
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Julien BOUVRET, vice-président du RESPADD
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Marie CONSTACIAS, présidente de la Société Française de la Croix Bleue
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Dr. Patrick Daimé, Médecin généraliste, Praticien hospitalier en addictologie au CHU de Rouen, Vice-président d’Addictions France.
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David Daudignon, Président de France Patients Experts Addictions
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Pr. Bertrand Dauzenberg, pneumologue
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Catherine Delorme, présidente de la Fédération Addiction
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Gérard FAUCONNIER, président Addictions Alcool Vie Libre
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Pr. Serge Hercberg, professeur de nutrition, père du Nutriscore
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Anne-Sophie Joly, présidente du CNAO (Collectif National des Associations d'Obèses)
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Christophe KASSEL, directeur du groupe hospitalier Paris-Saclay
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Dr. Jacqueline Kerjean, Médecin, Praticien Hospitalier en addictologie, Vice-Présidente d’Addictions France
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Julien Léonard, président du CNAFAL (Conseil National des Associations Familiales laïques)
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Jean-Yves Mano, Président de la CLCV (Consommation, logement et cadre de vie)
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Dr. Hervé Martini, Médecin addictologue et tabacologue, secrétaire général d’Addictions France.
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Dr. Wajdi MEHTELLI, psychiatre addictologue, hôpital Fernand Widal - Lariboisière
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Pascal Mélin, Fédération SOS hépatites & maladies du foie
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Jean-Robert MILLE, président d'Entraid'Addict
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Pr. Mickael Naassila, président de la Société française d'alcoologie (SFA)
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Marie-Christine RADENNE, vice-présidente de l'UFC Que choisir
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Gérard Raymond, Président de France Assos Santé
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Dr. Emmanuel Ricard, médecin de santé publique, porte-parole pour La Ligue contre le cancer
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Dr Alain Rigaud, président d’honneur d’Addictions France
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Philippe Sayer, président de la Camerup
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Mathé Toullier, présidente de L'association des familles victimes du saturnisme
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Antoine Tirot et Charlotte Barre, secrétaires confédéraux de la confédération syndicale des familles (CSF)
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Jean-Claude TOMCZAK, président de la Fédération Nationale des Amis de la Santé
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Jean-Gilles VINCENT, président de la Fédération Nationale Joie et Santé dite Alcool Ecoute Joie et santé
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Jacky Vollet, président de la Fédération française des diabétiques
1 https://www.ameli.fr/seine-saint-denis/assure/sante/themes/alcool-sante/maladies-liees-alcool
Inca : https://www.e-cancer.fr/Comprendre-prevenir-depister/Reduire-les-risques-de-cancer/Alcool
2 https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/23/violences-conjugales-l-alcool-est-present-dans-plus-d-un-feminicide-sur-deux_6162956_3232.html
Etude sur les violences sexistes et sexuelles (VSS) en milieu étudiant : https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/une-etude-scientifique-montre-que-l-alcool-est-un-facteur-determinant-des-violences-sexistes-et-97513
4 Interview de Franck Leroy, président de la région Grand Est : «Refuser un verre de champagne, c'est une faute politique» https://avis-vin.lefigaro.fr/economie-du-vin/franck-leroy-president-de-la-region-grand-est-refuser-un-verre-de-champagne-c-est-une-faute-politique-20241025?utm_content=photo&utm_term=Le_Figaro&utm_campaign=Nonli&utm_medium=Social&utm_source=Twitter
Autre article de l’époque dans Vitisphère « Pas de "janvier sec" pour le président de la République » https://www.vitisphere.com/actualite-90897-pas-de-janvier-sec-pour-le-president-de-la-republique.html