Les 18 et 19 novembre 2022 se sont tenus les 20e Entretiens de Valpré sur le thème de l’économie souhaitable. Le premier réflexe qui nous vient, en tant que dirigeant, est de se questionner sur son propre rôle et sa contribution personnelle à cette économie souhaitable. Cette question a été expressément abordée lors des groupes de travail des fameux entretiens de Valpré.
Les 7 défis du Dirigeant vers l’entreprise souhaitable
Une autre réflexion s’offre ensuite à nous assez rapidement, à une échelle plus personnelle : comment définir et s’approcher de l’entreprise souhaitable ? Pour accompagner un certain nombre de dirigeants dans ces questionnements et ces réflexions, nous pouvons constater que définir cette entreprise souhaitable et souhaitée n’est pas une mince affaire. Mais à bien y regarder, cette première étape n’est peut-être pas la plus complexe. En effet, lorsque les contours de l’entreprise souhaitée sont définis, un certain nombre de défis se présentent à lui. Et nous pouvons en énumérer pas moins de sept !
Défi n°1 : Synthétiser et vulgariser
Au fond, la mission attendue d’un dirigeant n’est-elle pas de préparer l’avenir, et donc d’imaginer le ou les futurs possibles ? Ce travail individuel, bien qu’accompagné d’experts ou de collègues avertis, doit servir de première brique à une mission un peu plus large : faire comprendre et expliquer son projet aux autres. Dans sa propre tête, tout est souvent très clair : les différents éléments du projet sont reliés entre eux, font échos à des expériences passées et les différentes hypothèses ont été pesées et analysées. Mais ce qui est dans notre tête est bien souvent abstrait, imagé, impalpable, incomplet. Le premier défi consiste alors à extraire de son mental la complexité de ce projet à multiples ramifications pour en faire un objet simple et compréhensible par d’autres. Il doit alors traduire des pensées, des sentiments, des intuitions en un texte, une note de réflexion, un diaporama PowerPoint ou tout autre support de communication qui permettra de verbaliser sa pensée. Passer de la pensée à l’écrit est déjà une première épreuve.
Défi n°2 : Organiser le pilotage
Le cœur du projet (son sens, ses grandes ambitions, ses principaux objectifs chiffrés) est souvent bien identifié par le Dirigeant. Imaginer et projeter l’entreprise souhaiter fait naturellement partie de son cœur de métier. En revanche, un certain nombre d’aspects nécessitent d’être définis avant même de partager ce contenu. Ces questions pourraient être résumées en une seul mot clé : le comment. Sur qui vais-je m’appuyer ? Comment pourraient être réparties les grandes étapes et comment coordonner les différents intervenants ? Un beau projet « sur le papier » nécessite de prendre vie sur le terrain, faute de quoi le dirigeant aura surtout construit une belle plaquette. Organiser et planifier le pilotage est une brique incontournable de la construction même d’un projet, et cela avant même d’avoir entamé les étapes suivantes. Cette partie doit être considérée comme une part intégrante du projet dès sa construction.
Défi n°3 : Convaincre et embarquer
Dans sa fable « Alerte sur la Banquise », qui reprend les grandes étapes de l’accompagnement du changement, John Kotter insiste sur un point : une des compétences clés du dirigeant est de savoir embarquer les bonnes personnes dans son projet. Avoir raison seul n’a jamais mené très loin. Il est donc nécessaire d’embarquer dans un premier temps un cercle rapproché pour présenter son projet et aiguiser ses arguments. Ce premier cercle, identifié dès la construction, est un relais incontournable. Sans leur « consentement » et leur engagement, tout effort sera vain, car ce premier échelon managérial constitue une courroie essentielle pour la réussite.
Défi n°4 : Accueillir les suggestions et les modifications
En lien direct avec le 3e défi, l’accueil de TOUTES les suggestions est un exercice ardu. Accueillir ne veut pas dire intégrer, et les remarques du premier cercle doivent permettre au dirigeant d’identifier les éléments à faire évoluer, de parfaire les argumentaires ou de compléter les zones d’ombres de sa première esquisse. De plus, le dirigeant, dans ces premiers exercices de partage, doit surtout avoir pour objectif de transformer « son » projet en « notre » projet qui inclue les remarques, commentaires et améliorations suggérées par ses proches. En incluant les autres dans son projet originel, il ne l’affaiblit pas mais au contraire, il le renforce, à la fois par la qualité bonifiée de son contenu mais aussi par le nombre de sponsors prêts à défendre et porter le projet. En résumé, le dirigeant doit développer une qualité qui fait malheureusement souvent défaut : l’écoute réelle, l’écoute active, en éteignant sa radio interne qui lui suggère des arguments et des réponses toutes faites mais au contraire une écoute qui permet au dirigeant de se poser la question suivante : si l’on me dit cela, en quoi cela peut-il servir le projet ? Refuser d’entendre un argument à ce stade revient à se couper potentiellement d’un allié futur.
Défi n°5 : Gérer les émotions
Ce 5e défi est un défi colossal, souvent mis de côté par les dirigeants. Tout d’abord parce que nous sommes dans une société où la raison l’emporte sur l’émotion. Et pourtant, les émotions accompagnent le dirigeant tout au long de sa réflexion et de la mise en œuvre du projet. Des exemples :
Peur que cela n’aille pas assez vite, mais aussi peur de ne pas y arriver, de se tromper
Colère qu’on remette en cause ses idées, colère qu’un concurrent ait eu la même idée plus tôt
Tristesse de voir qu’untel ou qu’un autre n’adhère pas à son projet, de ne pas avoir réussi à obtenir tel budget ou à convaincre tel client
Joie de voir que telle équipe a pris en main une partie du projet et l’a mis en œuvre de A à Z, de voir les KPI’s clés augmenter
La gestion des émotions concerne évidemment ses propres peurs, colères ou tristesses, mais également celles des autres : leurs peurs, leurs joies (et donc les leviers du dirigeant), leurs colères, etc. Se priver de ces informations fondamentales revient à piloter un véhicule en se privant d’une grande partie de ses outils de navigation. Nous avons souvent entendu, lors de nos accompagnements, des « nous n’avons pas peur ici ». Cette phrase interpelle car le principe même d’une émotion est de nous alerter et de nous mettre en mouvement. Si cette peur n’est pas exprimée, elle reste à l’intérieur et grossit, en menant parfois à des décisions contre-productives, car finalement bien plus influencées par la peur que si cette peur avait été exprimée en amont. En organisant des séminaires, nous avons souvent observé des dirigeants revenir en arrière par rapport au projet initial simplement parce que les peurs n’avaient pas été exprimées et donc prises en compte, mais sont revenues en boomerang à quelques jours de sauter le pas. La bonne question pour le dirigeant n’est donc pas de savoir si ses émotions doivent être partagées avec d’autres, mais plutôt avec qui il doit en discuter. Un coaching peut être une réelle solution pour extérioriser ses émotions, se mettre en mouvement en s’appuyant sur elles dans un cadre sécurisé.
Défi n°6 : Percevoir et modifier
La photo de départ d’un projet est rarement la même que la photo d’arrivée. Une fois le projet sur les rails, le talent d’un dirigeant réside dans sa capacité à continuer à percevoir les évolutions de l’environnement, le déploiement et la mise en œuvre de l’entreprise souhaitée et de continuer à implémenter des idées pour bonifier sa première mouture, à l’instar d’un logiciel qui poursuit son développement après même son lancement en des versions 1, puis 1.01, 1.02, etc. Dans cette évolution perpétuelle, nous souhaitons insister sur un aspect particulier : comment passer d’un mode projet à une opérationnalité du quotidien non plus portée par la direction mais bien par telle ou telle entité de l’entreprise ? Cela nécessite une analyse fine de la mise en œuvre du projet mais aussi une capacité de communication rare. Pour cela, impliquer le plus tôt possible les opérationnels permet une transition plus souple vers une mise en œuvre terrain par les équipes.
Défi n°7 : Célébrer les fins d’étapes
Nous l’avons vu plus haut, le pilotage fait partie intégrante du projet et constitue une part non négligeable de sa réussite. Cela concerne bien évidemment le lancement, mais également toutes les étapes clés. Des efforts conséquents sont souvent consentis au démarrage : convention, séminaires, plaquettes, support externes et conseil, etc. Puis plus rien, ou bien trop peu. A minima, une revue annuelle est incontournable. Mais bien d’autres étapes de suivi peuvent être célébrées : la fin d’une étape, d’une partie d’un projet, la conquête d’un nouveau client ou tout autre opportunité qui permet de communiquer avec l’ensemble de l’organisation ou auprès des acteurs clés. Un projet qui vit est un projet sur lequel on communique, il est donc important de faire savoir les avancées du projet et ne pas attendre que tout soit terminé pour prendre la parole. N’existe que ce qui est perçu. Pour cela, développer une culture du retour d’expérience, à chaque étape, est un investissement très rentable pour un dirigeant. Les écueils à éviter, les points clés à partager et les recettes des succès futurs ont plus de chances d’être identifiés et mis en œuvre par la suite. Le chemin vers l’entreprise souhaitée est ainsi plus aisé.
Appréhender ces 7 défis pour un dirigeant est un exercice exigeant, mais qui lui permet de rapprocher sa vision de l’entreprise souhaitée au travail opérationnel quotidien de ses équipes. Réussir ces sept défis, c’est implémenter durablement ses ambitions, son système de valeurs, sa culture, ses process et sa vision des produits. Réduire cette distance entre son projet et le quotidien de ses équipes est un réel travail de tous les jours, qui demande de l’agilité, de l’humilité, et un soupçon de réussite.