Défense : deux tiers des Suisses ne veut pas des avions américains

Un contrat de défense stratégique de 6 milliards de francs suisses continue de susciter la controverse. À travers un sondage de grande ampleur, les citoyens suisses expriment une opposition croissante à l’achat des F-35, dans un contexte économique et géopolitique de plus en plus incertain.

Jade Blachier
By Jade Blachier Published on 14 avril 2025 14h34
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6 milliards de francs suissesL'achat du F-35 est estimé à 6 milliards de francs suisses.

Alors que la Suisse s’est engagée en 2021 à acquérir 36 avions de chasse F-35A du constructeur américain Lockheed Martin, un sondage réalisé les 31 mars et 1er avril 2025 par Tamedia révèle qu’une majorité significative de la population s’oppose désormais à cette opération. La publication de ces résultats intervient dans un climat marqué par les tensions commerciales avec les États-Unis et un regain d’intérêt pour des solutions industrielles européennes. L’affaire du F-35 soulève aujourd’hui des questions dépassant le seul cadre militaire, touchant aux enjeux économiques, industriels et de politique extérieure de la Confédération.

Un investissement controversé de 6 milliards de francs

L’achat du F-35 représente l’une des plus importantes dépenses militaires de la Suisse depuis plusieurs décennies. Le contrat, estimé à 6 milliards de francs suisses (soit environ 6,2 milliards d’euros), a été signé à l’issue d’un appel d’offres lancé en 2018 et validé par une courte majorité lors du scrutin de 2021. Toutefois, ce résultat ne portait que sur le principe de renouvellement de la flotte aérienne et ne spécifiait pas le modèle retenu, ce qui laisse une marge d’interprétation quant à la légitimité démocratique du choix final.

Aujourd’hui, selon le sondage Tamedia, environ deux tiers des citoyens interrogés expriment leur désaccord avec ce contrat, remettant en cause tant le choix de l’appareil que son opportunité stratégique. Ce rejet traverse les segments politiques et géographiques, et renforce les incertitudes autour de la mise en œuvre du programme.

Critères économiques et industriels au cœur des préoccupations

Plusieurs éléments expliquent cette remise en question. D’un point de vue strictement économique, le F-35 présente un profil coûteux à l’achat mais surtout à l’exploitation. Des estimations internationales, basées sur les contrats existants dans d'autres pays membres de l'OTAN, évoquent un coût horaire d’utilisation particulièrement élevé, une complexité technique impliquant un fort besoin de maintenance spécialisée, et une dépendance prolongée à des fournisseurs américains, notamment pour les logiciels embarqués.

À cela s’ajoute une inquiétude persistante sur l’absence de retombées industrielles significatives pour l’économie suisse. Contrairement aux projets concurrents européens, notamment le Rafale français ou l’Eurofighter allemand, les compensations industrielles du contrat F-35 paraissent limitées. Certains acteurs économiques regrettent un manque d’intégration des entreprises helvétiques dans la chaîne de valeur du programme, réduisant ainsi l’effet multiplicateur attendu sur l’économie locale.

Préférence marquée pour des fournisseurs européens

Le sondage révèle également une tendance claire en faveur d’une diversification des sources d’approvisionnement en matière de défense. Environ 82 % des personnes interrogées affirment préférer l’achat de matériel militaire auprès d’industriels européens. Cette orientation s’explique en partie par le souhait de maintenir une certaine autonomie stratégique, mais aussi par la volonté d’éviter une dépendance excessive vis-à-vis d’un seul fournisseur ou d’un pays dont les choix politiques sont perçus comme instables.

Le climat commercial actuel accentue cette perception. L’annonce par le président américain Donald Trump, le 2 avril 2025, de nouveaux droits de douane visant les produits suisses, a rappelé la fragilité des accords bilatéraux et la possibilité de mesures unilatérales aux conséquences économiques importantes. Dans ce contexte, un rapprochement avec des partenaires européens pourrait apparaître plus prévisible et mutuellement bénéfique à long terme.

Budget de la défense : augmentation souhaitée, mais arbitrages nécessaires

Contrairement à ce que pourrait laisser penser le rejet du F-35, les Suisses ne se montrent pas opposés à une hausse des dépenses militaires. Selon les résultats du sondage, 42 % des répondants souhaitent augmenter le budget de l’armée, tandis que 34 % jugent le niveau actuel adéquat et 18 % préféreraient une réduction.

Mais l’augmentation du budget de la défense implique nécessairement des arbitrages. Une majorité des sondés se prononce pour un redéploiement des ressources existantes, plutôt que pour une hausse de la fiscalité ou de la dette publique. Les domaines cités comme prioritaires pour les économies sont l’asile, la coopération internationale et la culture. Ces préférences traduisent un recentrage des attentes sur les fonctions dites régaliennes de l’État dans un environnement géopolitique jugé plus incertain.

Redéfinition des alliances stratégiques suisses

La question de l’achat des F-35 s’inscrit aussi dans un débat plus large sur l’orientation stratégique de la Suisse en matière de sécurité. Si le contrat a été signé avec les États-Unis, une majorité des sondés souhaitent un approfondissement de la coopération sécuritaire avec l’Union européenne. Dans le même temps, une large proportion, environ 71 %, se montre favorable à une intensification des liens avec l’OTAN, bien que seuls 37 % soutiennent une adhésion formelle à l’organisation.

Ce positionnement traduit une volonté de coordination accrue, sans renoncement aux principes de neutralité et d’indépendance qui structurent historiquement la politique étrangère suisse. Dans les faits, la Suisse participe déjà à plusieurs initiatives de l’UE en matière de sécurité et contribue activement à des projets de recherche européens liés à la défense, dans le cadre du programme Horizon Europe.

Jade Blachier

Diplômée en Information Communication, journaliste alternante chez Economie Matin.

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