Depuis l’agression de l’Ukraine par la Russie en 2022, les États membres de l’Union européenne (UE) ont initié une hausse significative de leurs budgets militaires, illustrant un tournant stratégique dans leurs politiques de défense. En 2024, les dépenses militaires des 27 pays de l’UE atteignent 326 milliards d’euros, représentant 1,9 % de leur PIB cumulé, une augmentation de 31 % par rapport à 2021. Ce sursaut, bien que notable, pose des défis et soulève des questions sur l’efficacité et la cohérence des politiques de défense européennes.
326 milliards d’euros : l’Europe muscle sa défense contre la Russie
Une hausse spectaculaire mais encore insuffisante
L’Agence européenne de défense (AED), lors de son rapport annuel présenté le 19 novembre, a souligné l’ampleur des efforts réalisés. Parmi les 326 milliards d’euros investis, 102 milliards sont alloués à l’acquisition d’équipements, soit un tiers des dépenses totales. Cela dépasse largement les directives de l’OTAN, qui préconisent d’investir au moins 20 % des budgets militaires dans les équipements.
Cependant, malgré cette montée en puissance, l’AED estime que ces efforts demeurent insuffisants pour préparer les forces armées européennes à une guerre de haute intensité. Josep Borrell, Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères, a rappelé l’urgence d’une meilleure coordination et d’une coopération accrue entre les États membres.
L’importance de la coopération et les lacunes structurelles
L'AED insiste sur la nécessité pour les pays de l’UE de renforcer leur coopération afin d’harmoniser leurs efforts nationaux et d’éviter une dépendance excessive aux fournisseurs étrangers. Cette fragmentation affaiblit l’efficacité collective et limite la compétitivité de l’industrie de défense européenne.
Des initiatives commencent néanmoins à émerger pour pallier ces problèmes. Plusieurs lettres d’intention ont été signées entre les États membres, couvrant des domaines stratégiques comme la défense antimissile, le développement de technologies contre les drones et les menaces hypersoniques, ainsi que la guerre électronique.
- Défense aérienne et antimissile : 18 États s’engagent à combler leurs lacunes par des achats communs.
- Technologies de guerre électronique : 14 États collaborent sur des systèmes de brouillage.
- Munitions rôdeuses : 17 pays envisagent des acquisitions rapides.
- Navires de combat européens (ECV) : 7 pays projettent de développer une flotte commune à l’horizon 2040.
Les premières commandes conjointes : un progrès lent mais prometteur
e succès des initiatives de coopération reste limité par des lenteurs administratives et des divergences stratégiques entre États. Une commande groupée de 1 500 missiles antiaériens Mistral, impliquant 9 pays dont la France, la Belgique et l’Estonie, a nécessité plus d’un an pour être finalisée. Ce contrat, géré par la Direction générale de l’armement (DGA) française, bénéficie d’un soutien financier européen via le fonds Edirpa, doté de 300 millions d’euros.
Ce mécanisme encourage les commandes groupées et prépare le terrain pour le programme Edip (European Defense Industry Programme), actuellement en discussion à Bruxelles. Ce fonds vise à structurer davantage l’industrie de défense européenne et à renforcer son autonomie stratégique.
Vers une Europe de la défense plus intégrée ?
Malgré les progrès réalisés, le défi de créer une défense européenne cohérente et performante reste immense. Les initiatives collectives, bien que nécessaires, peinent à prendre pleinement forme. La fragmentation persistante des politiques nationales, combinée à une dépendance aux technologies étrangères, limite la compétitivité et l’autonomie stratégique de l’Europe.
Alors que les tensions géopolitiques s’intensifient, la question de savoir si l’Union européenne pourra dépasser ses divisions internes et bâtir une défense véritablement unifiée reste en suspens. Le temps presse, et les leçons tirées des lacunes actuelles pourraient être déterminantes pour l’avenir stratégique du continent.