La crise de l’inflation n’est pas terminée

Mario I. Blejer, ancien président de la Banque centrale d’Argentine, ancien directeur du Centre d’études des banques centrales de la Banque d’Angleterre.

Piroska Nagy Mohácsi, professeur invité à la London School of Economics and Political Science.

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Par Mario I. Blejer et Piroska Nagy Mohácsi Publié le 16 août 2023 à 4h30
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La crise de l’inflation n’est pas terminée - © Economie Matin
3%L'inflation en juin 2023 aux Etats-Unis a ralenti à 3%.

Après plus d'un an de durcissement monétaire agressif, l'inflation aux États-Unis et dans le monde est enfin en train de baisser. Une célébration prudente s'impose : la politique monétaire peut être efficace et les banques centrales, après avoir abandonné la fiction de l'inflation « transitoire », ont conservé suffisamment de crédibilité pour réagir efficacement.

Contrairement aux projections des modèles macroéconomiques standards - et bien que la Réserve fédérale américaine ait relevé son taux directeur à son plus haut niveau depuis 22 ans - le processus désinflationniste en cours n'a pas entraîné de pertes de production significatives ni de chômage massif. En dehors de quelques erreurs politiques auto-infligées qui ont causé la faillite de plusieurs banques américaines, la désinflation a été relativement indolore jusqu'à présent.

En outre, les marchés émergents ont pris la tête de la lutte contre l'inflation, en initiant un durcissement de la politique monétaire près d'un an avant la Fed et d'autres grandes banques centrales et ont réussi à éviter les tensions financières qui les ont frappés lors des précédents cycles de durcissement de la Fed.

Mais l'économie mondiale n'est pas encore sortie d'affaire. Bien que les chiffres récents aient été encourageants, la réduction de l'inflation n'est qu'une partie du processus de relance post-COVID-19 et on ne sait toujours pas si ces tendances vont se maintenir.

Ce qui est certain, c'est que le fait d'ignorer le contexte historique des développements économiques fait le lit d’erreurs politiques à venir. Contrairement à la croyance populaire, les racines de la crise inflationniste actuelle sont plus profondes que la crise de la COVID-19. Si la flambée de l'inflation et les hausses des taux d'intérêt qui en découlent sont souvent attribuées à une demande excessive déclenchée par la réponse budgétaire et monétaire à la pandémie, ces mesures n'ont fait qu'exacerber les déséquilibres créés par la réponse politique à la crise financière mondiale de 2008-10.

Les bilans des grandes banques centrales ont plus que triplé depuis 2008, alors qu'une décennie d'assouplissement quantitatif a conduit à une forte croissance monétaire et stimulé une frénésie sans précédent d'achats d'obligations. Même dans les marchés émergents, les bilans des banques centrales ont considérablement augmenté au cours de la pandémie.

Si ces politiques monétaires ultra-expansionnistes ont sans aucun doute joué un rôle crucial dans l'atténuation des pires effets de la crise financière mondiale et de la crise de la COVID-19, elles ont également généré d'énormes déséquilibres macroéconomiques, tels que l'augmentation de la masse monétaire et l'excès de réserves bancaires. Cela à son tour a créé des incitations massives à la prise de risque, a encouragé des niveaux plus élevés de dette publique et privée, gonflé les bulles spéculatives des actifs et a faussé l'allocation des ressources vers les rendements à court terme et les a détournées des investissements réels. Comme nous l'avons déjà fait remarquer, les plans de sauvetage directs et indirects qui ont caractérisé l'ère du « tout ce qui est en notre pouvoir » ont conduit à une énorme accumulation de risque moral.

En outre, les réformes financières post crise financière mondiale ont encouragé par inadvertance l'arbitrage réglementaire, ouvrant ainsi la voie à une augmentation exponentielle des actifs financiers détenus par des institutions financières non bancaires peu réglementées telles que les fonds spéculatifs et les crypto-bourses. Ces institutions représentent actuellement environ la moitié de tous les actifs financiers, ce qui exacerbe les risques systémiques.

Certes la crise actuelle de l'inflation est également causée par d'autres facteurs, tels que les perturbations des chaînes d'approvisionnement liées à la pandémie, à l'attaque à grande échelle de la Russie contre l'Ukraine, à l'escalade de la rivalité entre les États-Unis et la Chine et au nationalisme économique croissant qui se manifeste par des politiques industrielles généralisées. En durcissant rapidement leurs politiques monétaires pour contrôler l'inflation, les banques centrales ont peut-être aggravé certains de ces problèmes, en mettant les banques en difficulté voire en déclenchant potentiellement une récession. Les défis importants à relever pour redresser leur bilan gonflé et s'attaquer aux incitations perverses connexes compliquent encore la situation.

Les banques centrales ont raté l'occasion de se lancer dans un sérieux resserrement quantitatif dans la décennie post crise financière mondiale. Puis lorsque la Silicon Valley Bank s'est effondrée en mars et a menacé de déclencher une crise bancaire, la Fed est intervenue en mettant en œuvre un cycle d'assouplissement quantitatif qui a effectivement renversé les deux tiers de la modeste réduction de bilan qu'elle avait précédemment amorcée. En outre, le gouvernement américain est également intervenu et a garanti tous les dépôts dans les banques affectées, quels que soient leur statut et leur taille, créant ainsi un précédent dangereux pour les futurs plans de sauvetage. En Europe, malgré le durcissement monétaire global, la Banque centrale européenne a continué à mener une politique de sous-assouplissement monétaire avec l'instrument de protection de la transmission (IPT), en vertu duquel elle achète des obligations auprès d'États souverains plus risqués de la zone euro, tels que l'Italie.

Dans l'ensemble, alors que la tendance à la baisse de l'inflation et l'endiguement de la crise bancaire naissante apportent un certain soulagement, les grandes économies mondiales sont toujours aux prises avec des incitations faussées et des déséquilibres hérités massifs, dont certains continuent de s'aggraver.

Ces facteurs sont encore aggravés par de fortes pressions politiques qui promeuvent une participation accrue du gouvernement à l'économie. Dans plusieurs économies avancées, la réponse du gouvernement à la crise de la COVID-19, qui comprenait des transferts gouvernementaux, des dons subventionnés par l'intermédiaire de la banque centrale et de nombreuses exemptions réglementaires, a créé une demande croissante pour une large intervention des pouvoirs publics et pour un gouvernement plus étendu. Bien que cela soit nécessaire dans certains domaines, en particulier lorsqu'il s'agit d'accélérer la transition vers l'énergie verte grâce à des politiques industrielles ciblées, d'autres problèmes importants, tels que les inégalités ou les infrastructures obsolètes, doivent résolus dans le cadre de processus gouvernementaux et de contraintes budgétaires existants.

L'implication croissante des gouvernements dans l'économie a également suscité des attentes de soutien public et de renflouements supplémentaires, alimentés par des politiciens populistes de droite comme de gauche. Quelles que soient ses tendances politiques, aucun gouvernement ne semble disposé à accepter de se trouver en difficulté économique - même mineure - à l'heure actuelle. La crise financière mondiale et la crise de la COVID-19 ont institutionnalisé les plans de sauvetage qui impliquent un risque moral considérable.

Les mesures de résolution de crise ont accru la concentration dans le secteur financier et ailleurs, comme dans l'industrie technologique déjà concentrée. De plus, la prolifération rapide des monnaies privées a remis en question la souveraineté monétaire des banques centrales, les incitant à développer leurs propres monnaies numériques. Comme l'un d'entre nous l'a récemment écrit, cela va encore faire augmenter l'empreinte des banques centrales dans le secteur financier.

Cette confluence de gouvernements populistes, de nationalisme économique, de banques centrales interventionnistes et de marchés oligopolistiques pourrait saper les principes de base du capitalisme entrepreneurial et inaugurer une nouvelle ère de capitalisme d'État dans le monde développé.

Compte tenu de la réticence des gouvernements populistes à augmenter les impôts, le financement du déficit et les pressions inflationnistes qui y sont liées risquent également de persister. À une époque de prise de risques accrue et d'incertitude macroéconomique et géopolitique, toute célébration des progrès dans la lutte contre l'inflation doit être prudente. Il nous reste encore un long chemin à faire.

© Project Syndicate 1995–2023

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Mario I. Blejer, ancien président de la Banque centrale d'Argentine, ancien directeur du Centre d'études des banques centrales de la Banque d'Angleterre. Piroska Nagy Mohácsi, professeur invité à la London School of Economics and Political Science.

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