Le déclenchement de la crise sanitaire Covid-19, début 2020, mais surtout le retour brutal de l’inflation qui en a découlé et le changement de politique monétaire mi-2022, ont entraîné le marché de l’immobilier non résidentiel dans une crise dont l’ampleur est pour le moment difficilement mesurable.
Crises de l’immobilier d’entreprise 2024 : Que nous apprennent 30 ans d’histoire ?
En examinant les cinq grandes crises qui ont secoué le secteur depuis les années 90, cette étude vise à tirer des enseignements pour éclairer la situation actuelle. S'agit-il d'un simple rééquilibrage entre l'offre et la demande ou de véritables changements de paradigme dans l'immobilier tertiaire ?
1990-1999 : L’avènement d’un « marché immobilier » tertiaire
La décennie 1990 a vu l'émergence d'un marché immobilier tertiaire structuré en France, fruit de la tertiairisation de l'économie amorcée dans les années 1970-1980. Cette croissance s'est manifestée par le développement de bureaux en première couronne d'Île-de-France et la création de pôles tertiaires. Cependant, la Guerre du Golfe (1990-1991) et la récession qui s'ensuivit ont provoqué la première crise majeure du secteur. En 1993, l'offre de bureaux en Île-de-France était trois fois supérieure à la demande, illustrant une surproduction massive. La reprise fut lente, nécessitant neuf ans pour que les investissements retrouvent leur niveau de 1989.
2000-2009 : La financiarisation de l’immobilier tertiaire et les deux krachs boursiers
Au cours de la décennie 2000, l'immobilier tertiaire se financiarise, favorisé par des évolutions réglementaires (SIIC en 2002, OPCI et SIIC 3 en 2007) et l'afflux d'investisseurs étrangers. L'immobilier, notamment commercial, est devenu une classe d'actif majeure, avec des volumes d'investissement quintuplés par rapport à la décennie précédente, bénéficiant d'un contexte favorable : baisse des coûts de financement, externalisation des fonctions immobilières, rationalisation de l'occupation des bureaux et production maîtrisée de l'offre. Deux crises financières exogènes ont marqué la période : l'éclatement de la bulle internet en 2002, et la crise des subprimes en 2007, cette dernière ayant eu un impact plus fort en raison de la financiarisation accrue et de l'endettement élevé des acquisitions. Malgré ces chocs, le marché a démontré sa résilience avec des cycles de reprise rapides d'environ deux ans pour les montants investis et la demande placée. Face aux turbulences boursières, l'immobilier tertiaire s'est ainsi affirmé comme un actif de diversification robuste.
2010-2019 : l'immobilier, valeur refuge aux performances dopées par les taux bas
Dans les années 2010, l'immobilier commercial a profité d'un contexte macroéconomique favorable, marqué par la dépréciation des rendements des actifs "sans risque" et l'accès à un crédit bon marché. Malgré l'impact initial de la crise des dettes souveraines européennes sur la demande de bureaux, la politique d'injection massive de liquidités (Quantitative Easing) de la BCE a stimulé l'investissement et la construction neuve dans l'immobilier d’entreprise. Les épargnants, notamment les assureurs et les sociétés de gestion SCPI & OPCI, ont été attirés par le couple rendement/risque attractif de ce secteur. L'immobilier s'est imposé comme une "valeur refuge" face à la volatilité des marchés actions, offrant des rendements performants. Ces rendements ont été dopés par des taux directeurs historiquement bas et des loyers parfois maintenus artificiellement grâce à des mesures d’accompagnement.
Depuis 2020 : Une crise multi-facteurs
Depuis 2020, l'immobilier d'entreprise traverse une crise multi-facteurs complexe. La crise sanitaire a été un élément déclencheur majeur, portant un coup d'arrêt à la demande et développant l'attentisme des investisseurs et des utilisateurs, affectant notamment le secteur technologique. Bien que la modification des habitudes de travail, en particulier la pérennisation du télétravail, soit souvent citée pour expliquer la contraction de la demande, il est encore trop tôt pour en évaluer pleinement l'impact. Cette crise semble être davantage une crise de l'offre qu'une crise de la demande placée, cette dernière pouvant potentiellement rebondir avec une reprise économique.
Le véritable retournement du marché de l'investissement est intervenu mi-2022, lorsque la BCE a initié un resserrement monétaire face à l'inflation, suite à la crise énergétique déclenchée par la guerre en Ukraine. La fin du Quantitative Easing a contribué à une hausse de 400 points de base des taux directeurs. Le secteur des bureaux a été particulièrement touché, avec une hausse du taux de vacance et des livraisons d'immeubles neufs non commercialisés. Les contraintes réglementaires liées à la transition énergétique (objectif ZAN, PLU bioclimatique, décret tertiaire) ont accentué la pression sur les actifs.
Cette conjoncture se reflète dans la sous-performance des indices boursiers immobiliers par rapport aux actions depuis 2016, avec une décote de 40% pour l'immobilier coté contre 10 à 20% pour le non coté.
La crise actuelle de l'immobilier tertiaire est sans précédent, combinant une crise du bureau, de la valorisation et du financement. Notre analyse des cycles longs montre qu'un retour à la croissance nécessitera des ajustements significatifs des valeurs locatives et d'expertise, ainsi qu'une transformation des actifs obsolètes. Ces adaptations sont indispensables pour restaurer la compétitivité du secteur, avec une période d'épuration du stock qui pourrait s'étendre sur 5 à 7 ans, comme l'histoire nous l'a enseigné dans les situations de sur-offre.